Créé en 2009, le conseil de développement a convié à sa table les écologistes, qui ont accepté de siéger avec ceux qu’ils ont combattus (et on pourrait dire vaincus) devant les tribunaux administratifs et les instances européennes. Les trois associations qui ont porté le recours contre Donges-Est, Loire vivante, Bretagne vivante et la Ligue de protection des oiseaux (LPO), y côtoient désormais professionnels portuaires, syndicalistes, industriels, élus, collectivités et les membres du directoire du port. Présidé par Jean-Luc Maillet, directeur du terminal méthanier de Montoir, ce conseil de développement n’a qu’un rôle consultatif sur le projet stratégique. « C’est aussi un lieu pour déminer les conflits éventuels, même si ça ne marche pas à tous les coups, note Guy Bourlès, qui siège pour la LPO. Il y a des échanges, une meilleure compréhension des périmètres de chacun, des constats de désaccords. Le conseil n’est que consultatif, mais on le sait depuis le départ. On n’attendait pas un droit de veto accordé aux associations qui ont obtenu l’abandon de l’extension de Donges-Est, ce qui plane toujours beaucoup sur les débats de cette instance. Les ingénieurs des ponts et chaussées du port, qui ne sont pas devenus amoureux de la nature d’un seul coup, connaissent notre capacité de nuisance, qui est d’ailleurs notre seul levier pour faire avancer les idées de défense des milieux naturels depuis vingt ans. » Il constate que l’autorité portuaire fait « attention à ce qu’on dit », mais qu’il y a encore « beaucoup de progrès à faire ». Il remarque que le port a désormais la compétence « très nouvelle et un peu encombrante » de la gestion des milieux naturels, mais que les naturalistes manquent nettement d’informations sur cette mission dont les impacts sur les milieux naturels intéressent particulièrement les écologistes. Autre regret, les échanges quasiment nuls avec le conseil scientifique.
La subvention de 10 000 € accordée par le port aux éditions du festival ornithologique Birdfair à Paimboeuf sert-elle à anesthésier la LPO qui organise ce festival? « Ce n’est pas insignifiant, mais sur un budget de 300 000 € à 350 000 €, c’est insuffisant pour peser, dit Guy Bourlès. Pour le port, c’est plus un affichage, une question d’image. Le conseil général avec qui on est en conflit sur le projet d’aéroport à Notre-Dame des Landes nous accorde 100 000 €: avec un tiers du budget, la pression est plus importante. »
Le dialogue est plus sain
Ce conseil de développement, Jean-Pierre Chalus, le directeur du port, le voit « plus comme une démocratie participative, pour qu’on arrive à une logique de partage autour du projet portuaire, réserve naturelle nationale incluse. L’état d’esprit de chacun n’a pas forcément évolué, mais le dialogue est plus sain ».
Lors de l’enquête publique pour l’extension du quai à conteneurs, les associations Bretagne vivante, FNE Pays de la Loire, LPO 44 et Loire vivante ont regretté « l’absence d’une vision globale des impacts sur l’estuaire et son artificialisation qui interdit à ce jour de prendre en compte les effets cumulés des différents projets », mais sans intenter de recours contre ces travaux.
Si des conflits peuvent être anticipés, voire apaisés en amont au sein du conseil de développement, le dossier de la vasière de Méan reste sensible. Avec ces 71 ha au pied du pont de Saint-Nazaire, cette enclave classée Natura 2000 est briguée par le port pour y déplacer le terminal roulier en libérant terrain et quais en faveur de l’usine Alstom de nacelles et turbines d’éoliennes offshore.
« Le besoin d’espace pour les activités portuaires n’est pas avéré, objecte l’écologiste Gilles Denigot, ancien leader syndical des dockers. L’usine Alstom pouvait trouver 15 ha pour s’installer sur les 120 ha des chantiers navals STX. Maintenant que l’usine est là, détruire la vasière n’est pas non plus utile: cette usine peut fonctionner en même temps que le terminal roulier. C’est très gérable en l’état. Du point de vue portuaire, il n’y aucune justification à annexer cette vasière. »
Le préfet a voulu esquisser un terrain d’entente en tentant de faire cosigner en février 2013 un « pacte pour l’estuaire », document cadre non contractuel qui posait juste les bases de la création d’une réserve naturelle nationale sur 12 000 ha à 15 000 ha, tout en faisant admettre le bien fondé de la disparition de la vasière de Méan par les associations écolos. Aucune n’a marché dans la combine. « Cette règle du donnant, donnant, c’est une forme de chantage », dit Hervé Le Strat de Bretagne vivante.
« Jusqu’au milieu des années 1970, la légitimité d’action du port était entière: super-acteur économique, il contribuait directement à l’augmentation du niveau de vie en générant richesses et emplois. Puis la montée des préoccupations environnementales va remettre cet ordre suprême en question: d’une part, la valeur des milieux humides estuairiens est prouvée scientifiquement, et, d’autre part, les nouveaux outils réglementaires de protection [nationaux et européennes] se montrent de plus en plus exigeants et efficaces », note Jacques Fialaire, chercheur en droit public à l’université de Nantes, dans son ouvrage Les stratégies de développement durable paru en 2009.
« Dindons des sites Seveso »
Le développement du port butte aussi sur les oppositions de riverains. Le préfet a signé l’avis d’approbation du PPRT de Donges en février 2014, destiné à la prévention des risques d’incendie, de fuite de gaz et d’explosion. « Un PPRT qui nous ennuie, alors qu’on a été plutôt bon élève », dit Jean Pierre Chalus. L’association de défense du Brivet et de la Brière considère ce plan comme « une tromperie », et s’est insurgée contre les dépenses imposées aux riverains, contraints de financer un vitrage capable de résister à une surpression de 50 mbar parant aux risques d’explosion, alors que « c’est la raffinerie qui s’est étendue au détriment des habitations et non l’inverse ». Frais estimés: autour de 25 000 € par maison. L’ ADZRP, Association dongeoise des zones à risques et du PPRT, parle de « dindons des sites Seveso ». Tous les candidats aux dernières élections municipales se sont dits favorables à une contestation du PPRT devant le tribunal administratif. Nouvellement élu, l’avocat François Cheneau a saisi le tribunal. Il devrait être rejoint par l’association de défense du Brivet et de la Brière. Pour France Nature Environnement, Yves Lepage souligne que le plan de prévention des risques ne prévoit pas de révision si un des produits stockés et traités par la raffinerie changeait. Économie, écologie, riverains, la coexistence n’est pas simple.