JOURNAL DE LA MARINE MARCHANDE (JMM): QUELLES PERSPECTIVES DESSINE LE DEUXIÈME PLAN STRATÉGIQUE SUR LEQUEL VOUS TRAVAILLEZ?
JEAN-PIERRE CHALUS (J.-P.C.): En 2009, le premier plan stratégique était très lié à la transition imposée par la réforme portuaire, cession d’outillage, convention des terminaux. Avec sa révision aux terme des cinq ans, ce nouveau plan ne contredit pas le précédent mais il veut marquer un élan, avec du cœur et de l’esprit. Plus articulé entre différents ports, GPM ou non. En ne faisant pas l’extension à Donges-Est, on s’est privé d’un scénario d’avenir à vingt ans. Mais c’est compliqué: construire un quai s’envisage pour 50 à 100 ans, alors que ce qu’on imagine du trafic sera déjà faux dans dix ans… Le strict minimum, c’est d’augmenter les quais et de se donner plus de tirant d’eau à Montoir. Mais au-delà du métier classique d’aujourd’hui, vracs liquides et solides, espaces dédiés au conteneur, au roulier, il faut penser à la logistique, aux entrepôts, aux terre-pleins aménagés. Le client veut suivre sa marchandise, il faut donc rendre plus fluides, plus intégrés les systèmes d’information d’un port à un autre, les rendre compatibles. Un sujet à travailler ensemble.
La mise à disposition du Carnet (pour le prototype d’éolienne offshore) a paru satisfaire tout le monde, association de l’environnement incluses, mais a montré les manques de foncier industriel qui n’a pas besoin d’infrastructures lourdes, quais par exemple. Les industriels ont plein d’idées, il faut pouvoir les accompagner.
JMM: QUEL AVENIR HORS DE LA DÉPENDANCE AUX TRAFICS ÉNERGÉTIQUES?
J.-P.C.: Sur cinq à dix ans, on reste dans des logiques de volume pour le pétrole, le gaz et les vracs solides. Avec la baisse du GNL, la structure de nos trafics doit 60 % à 70 % à l’énergétique. Le reste est surtout constitué de vracs secs dont la nature diffère d’il y a juste cinq ans, le colza remplaçant par exemple les tourteaux de soja. L’activité est moins prévisible sur le long terme. Il faut donc être plus souple, imaginatif, pour offrir plus de répondant. Les infrastructures doivent être capables d’évoluer sans tout refaire. Jusqu’ici, on a fait des infrastructures pour des besoins, il faut réutiliser les installations sans les détruire, tout en prévoyant des espaces de respiration, des zones tampon. Il faut se rappeler que le terminal sablier a dû être installé avec deux chausse-pieds… Si on remplit tous nos espaces, on ne prépare pas l’avenir. Ce port d’estuaire est étiré, il n’a pas une inscription compacte dans une métropole. C’est plus compliqué, notamment du fait des contraintes environnementales, désormais évaluées par des procédures similaires aux Scot ou au PLU.
JMM: QUEL EST LE CALENDRIER PRÉVU POUR CE PLAN STRATÉGIQUE?
J.-P.C.: L’ensemble du texte et des contributions (Union maritime, CCI, collectivités) sera prêt début 2015 pour un conseil de surveillance fin février ou mars.
JMM: L’ACTUEL MODÈLE ÉCONOMIQUE D’UN GRAND PORT MARITIME PEUT-IL ÊTRE AMENÉ À ÉVOLUER?
J.-P.C.: Aujourd’hui, 30 % de nos recettes fixes viennent du domanial, 70 % des droits de port, navire et marchandises. Sauf sur les vracs liquides, ces droits marchandises sont majoritairement à zéro sur les terminaux manutentionnés. Ce qui relativise les objections des râleurs. Il faut d’autres revenus, sans investissements démesurés. Mieux valoriser notre domaine, louer des bureaux. Nous avons vu à Lisbonne la valorisation des espaces portuaires loués, du type du Hangar à bananes à Nantes. C’est à voir avec les collectivités locales, mais la première étape, c’est déjà de se poser la question.
Dans les charges, on a diminué et optimisé les dragages, en réduisant les volumes. Mais la dotation dragages a été rabotée de 20 % en 2014. Question équilibre financier global, on est tangent. La traînée de la réforme portuaire est encore sensible par quelques mesures d’accompagnement social. On liste les frais généraux, l’entretien du patrimoine. On est sur des schémas tendus. Quand on perd 4 Mt de GNL, ça fait forcément mal, question recettes. Il faut, par une évolution lente, garantir des recettes domaniales plus importantes qu’à présent. Tendre vers 50 %. Pour les autorisations d’occupation temporaires, il faut davantage tenir compte des investissements, de ce que ça produit en valeur ajoutée, mais il faut souligner qu’on est sur un espace rare. On est d’accord pour partager la valeur, mais aussi les risques. Le système d’AOT doit s’appréhender un peu différemment.
JMM: LES COLLECTIVITÉS POURRAIENT-ELLES AVOIR UNE IMPLICATION PLUS IMPORTANTE, PAR EXEMPLE EN ENTRANT AU CAPITAL DU PORT?
J.-P.C.: On peut déjà se poser la question, même si elle n’est pas inscrite dans les schémas du projet stratégique. L’augmentation du capital ne serait pas illogique, ni choquante intellectuellement sur la structure globale ou sur un financement de projet donné. Certes, c’est un peu innovant dans le monde portuaire. Mais le port autonome de Strasbourg est sur ce modèle, État et Ville de Strasbourg. C’est peut-être le seul mais le texte de loi le permet, comme pour les aéroports. Déjà présentes dans le conseil de surveillance, et pour l’accompagnement des subventions, les collectivités cherchent à être très investies dans la gestion du port. Ce qui pourrait évoluer de manière différente, avec un montage plus partagé avec les collectivités. Une logique de « port participation », une forme d’accompagnement de la mutation du modèle économique. Le débat a commencé à émerger autour des énergies marines renouvelables et les orientations industrielles, au-delà des seules éoliennes offshore.
JMM: ET L’ACTIVITÉ CONTENEUR?
J.-P.C.: Quoi qu’il arrive, on reste un petit port derrière Le Havre et Marseille. Pas question de les concurrencer, on restera complémentaire. On n’atteindra pas le million. Et l’activité ne se mesurera pas qu’en mètres cubes et nombre de boîtes, ça sera plus subtil que ça. Notre développement ne me paraît pas envisageable sans une structure d’offre à plusieurs ports. Il faut créer de nouveaux circuits maritimes. Parce que la logistique terrestre seule ne peut pas tout absorber. Mais même un port feeder doit devenir un peu plus gros. Exemple avec les conteneurs réfrigérés: pas assez de trafic, donc pas d’entrepôt. Il faudrait un portage qui favorise le développement de l’activité.
JMM: CET AUTOMNE S’ANNONCE AVEC L’ARRÊT POSSIBLE DE LA LIGNE GIJÓN. COMMENT LE PORT VOIT CE DOSSIER?
J.-P.C.: Nous soutenons ce projet depuis le début. Aucune ligne n’a autant été accompagnée. Elle représente de l’emploi et marche très bien, avec un taux de remplissage de plus de 70 % et un trafic passager que personne n’avait modélisé. Chapeau bas! À ce stade, l’exploitant Louis-Dreyfus, qui n’a pas eu que des expériences heureuses dans le domaine, n’a pas dit stop formellement. Soit le système fonctionne avec deux États, soit il faut un dispositif juridique défini à l’échelon européen. Même si je ne suis pas sûr que ce soit compatible avec les aides européennes. Au port, on retravaillera de toute façon sur le sujet.