Les Français ne sont à l’abri ni des contrôles ni des sanctions

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« Pour les armateurs et les opérateurs de navires, le souci majeur de la réglementation relative à l’alimentation des navires en combustibles à faible teneur en soufre réside dans les sanctions applicables en cas d’infraction, explique Henri Najjar, avocat associé au cabinet Delviso-Avocats. Il y a un silence des textes alors que l’annexe VI de la convention Marpol et la directive européenne 2012/33 renvoient aux État membre la mission de définir les sanctions adéquates ». À cet égard, l’article 11 de la directive 2012/33 précise- à ce sujet: « Les États membres déterminent les sanctions applicables en cas de violation des dispositions nationales adoptées en application de la présente directive. Les sanctions déterminées doivent-être efficaces, proportionnées et dissuasives et elles peuvent comprendre des amendes calculées de manière à, au minimum, priver les responsables des avantages économiques tirés de leur infraction, tout en augmentant progressivement pour les infractions répétées ». Chaque État membre de l’UE doit donc élaborer des sanctions adaptées aux infractions à la réglementation soufre. « Le législateur français n’ayant pas prévu de sanction spécifique lors de la transposition de la directive 2012/33 par l’arrêté du 14 mai 2014 modifiant l’arrêté du 23 novembre 1987 relatif à la sécurité des navires, certains armateurs ou opérateurs de navires peuvent se croire à l’abri. Tel n’est absolument pas le cas car les sanctions pour infraction à la convention Marpol et à ses annexes se trouvent alors dans les dispositions générales du code de l’Environnement », poursuit Henri Najjar. Deux articles de ce code sont particulièrement importants. Le premier est le L218-15: « Est puni d’un an d’emprisonnement et de 200 000 € d’amende le fait, pour tout capitaine d’un navire, de se rendre coupable d’infractions aux dispositions (…) des règles 12, 13, 14, 16 et 18 de l’annexe VI de la convention Marpol ». Le deuxième est le L218-18: « Les peines prévues à la présente sous-section sont applicables soit au propriétaire, soit à l’exploitant ou à leur représentant légal ou dirigeant de fait s’il s’agit d’une personne morale, soit à toute autre personne que le capitaine exerçant, en droit ou en fait, un pouvoir de contrôle ou de direction dans la gestion ou la marche du navire, lorsque ce propriétaire, cet exploitant ou cette personne a été à l’origine d’un rejet effectué en infraction aux articles L. 218-11 à L. 218-17 et L. 218-19 ou n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’éviter ». Ainsi une responsabilité pénale est clairement prévue avec des peines d’emprisonnement en plus d’amendes substantielles. Ces peines d’emprisonnement pourraient concerner le capitaine du navire alors que celui-ci ne possède aucun pouvoir de décision en matière d’installation d’épurateur de fumée à bord ou d’évolution du navire pour l’adapter à l’utilisation de gaz naturel liquéfié en tant que combustible. Le code de l’environnement, conformément aux dispositions de la convention internationale sur le droit de la mer (dite Montego Bay), rend aussi possible l’immobilisation du navire en cas d’infraction à la convention Marpol et à ses annexes. Autrement dit, le navire peut se retrouver immobilisé pour une durée indéterminée et ne plus effectuer les rotations prévues. L’armateur se retrouve ainsi avec une flotte diminuée et toutes les conséquences économiques que cela peut impliquer, y compris au niveau des affréteurs. Pour Henri Najjar, les dispositions prévues dans le code de l’environnement devraient conduire « les armateurs et opérateurs de navires à inciter le législateur français à mettre en place des sanctions spécifiques aux infractions des règles de l’annexe VI de Marpol et de la directive 2012/33 ». L’intérêt de sanctions spécifiques est d’établir « un régime moins sévère, plus adapté à la nature et la gravité de l’infraction et plus conforme à l’esprit et au texte de la Directive ».

Une règle contraignante pour tous

Une action de lobbying des armateurs pour obtenir des sanctions spécifiques au lieu de celles prévues dans le code de l’environnement aurait peut-être plus de chance d’aboutir que celle portant sur un report de la date d’entrée en vigueur des nouvelles règles d’émission. Si la France et la Grande-Bretagne (voir encadré « Les armateurs français et britanniques veulent obtenir du temps » page 9) mènent ensemble cette revendication, d’autres États membres de l’UE, notamment scandinaves ou baltes, ne soutiennent pas cette démarche et ne souhaitent pas un report de la date du 1er janvier 2015 pour la mise en œuvre des règles d’émissions de la directive soufre. Ces derniers pays ont d’ailleurs annoncé leur volonté de contrôler l’application des nouvelles règles dans leurs ports et en mer quel que soit le pavillon du navire, comme ils en ont la possibilité. Certains d’entre eux ont aussi prévenu qu’ils n’hésiteraient pas à saisir le navire au cas où la loi ne serait pas respectée. Autrement dit, si le gouvernement français a fait savoir aux armateurs et opérateurs de navires battant pavillon français qu’il ne serait pas trop sévère avec eux en cas d’infraction à partir du 1er janvier 2015, ceux-ci ne sont pas du tout à l’abri des contrôles, des sanctions ou des actions judiciaires de la part des autres États membres de l’UE une fois leurs navires en dehors des eaux territoriales hexagonales. En effet, l’annexe VI de la convention Marpol déclinée par la directive 2012/33 s’applique au niveau européen, et non pas seulement français, avec un caractère contraignant identique pour tous les États membres, ses ressortissants et ses entreprises. À ce titre, la France a l’obligation non seulement de transposer les directives mais aussi de faire respecter le droit de l’UE. Et si la Commission européenne estime qu’un État membre a manqué cette obligation, elle émet un avis motivé à ce sujet, après avoir mis cet État en mesure de présenter ses observations. Si l’État en cause ne se conforme pas à cet avis dans le délai déterminé par la Commission, celle-ci peut saisir la Cour de Justice de l’Union européenne, ouvrant la voie à une possible condamnation.

Démontrer l’infraction par la preuve

Un autre point important de la réglementation dite soufre pour les armateurs porte sur les modes de preuves utilisés pour démontrer l’infraction. La directive 2012/33 prévoit 2 types de preuve. La première consiste en « l’inspection des livres de bord des navires et des notes de livraison de soutes ». La deuxième est « l’échantillonnage et l’analyse du combustible marin destiné à être utilisé à bord lors de sa livraison aux navires ou l’échantillonnage et l’analyse de la teneur en soufre du combustible marin destiné à être utilisé à bord et contenu dans les citernes, lorsque cela est réalisable sur les plans technique et économique, et dans les échantillons de soute scellés à bord des navires ». Pour Henri Najjar, « si la preuve de l’infraction apparaît pour l’instant difficile à apporter, elle est possible ». D’autant plus que l’article 427 du code de procédure pénale consacre la liberté de la preuve en matière pénale: « Hors les cas où la loi en dispose autrement, les infractions peuvent être établies par tout mode de preuve et le juge décide d’après son intime conviction (…) ». Ainsi, en pratique, en matière de pollution maritime, d’autres types de preuves ont déjà été admis et reconnues valables par les juges comme les interrogatoires du personnel de bord, les témoignages, les constats d’huissier, la surveillance par satellites, les scanners et les radars, les films vidéo et les enregistrements radio, des appareils de positionnement, etc. Les autorités compétentes peuvent par ailleurs procéder au déroutement du navire en vue de réunir les éléments de preuve nécessaires. Les pays scandinaves envisagent des méthodes alternatives comme le survol du navire par hélicoptère ou drone, l’installation de snifer sur les ponts. « Il est fort à croire que les gouvernements des États membres et leurs opérateurs, soucieux d’une application stricte de la réglementation, vont déployer tous les efforts nécessaires aux fins de développer les moyens adéquats pour démontrer l’infraction, continue Henri Najjar. Notamment parce que le non-respect de la directive soufre peut constituer une atteinte aux règles régissant la libre concurrence au niveau européen » (voir encadré « Des actions possibles pour concurrence déloyale »).

La mobilisation de certains États membres pour s’assurer du respect de la réglementation concernant le taux de soufre à partir du 1er janvier 2015 peut aussi faire craindre l’instauration de types de contrôles très variables d’un pays de l’UE à l’autre. « Il est important de privilégier la démonstration de l’infraction d’une manière neutre et d’éviter les abus possibles ou les discriminations lors des contrôles dans certains pays », souligne Henri Najjar. Toutes les incertitudes sur les conditions de mise en œuvre des textes devraient trouver des réponses si nécessaire après des actions contentieuses. Henri Najjar demeure optimiste: « Dans un an ou deux, le marché devrait s’adapter à la nouvelle réglementation en matière d’émissions ».

Des actions possibles pour concurrence déloyale

Le non-respect de la réglementation soufre et/ou l’abstention d’un État membre à sanctionner les infractions à la réglementation peut ouvrir la voie à des actions judiciaires d’une part, pour concurrence déloyale, et d’autre part, pour infraction aux règles de la concurrence au niveau européen, de la part d’un État membre ou de la Commission européenne. Lorsque celle-ci initie la procédure, sur saisine d’un particulier intéressé ou d’un État membre, elle doit d’abord adresser un avis motivé à l’État membre qui n’aurait pas respecté le droit de l’UE. Si après un certain délai, l’État membre n’a pas mis fin au manquement, la Commission peut exercer devant la Cour de Justice européenne un recours à l’encontre de l’État membre, ouvrant la voie à une condamnation financière de celui-ci. Dans le premier cas, il est important de noter que l’action en concurrence déloyale peut être engagée par tout opérateur s’estimant lésé, devant les tribunaux judiciaires compétents, c’est-à-dire le tribunal du lieu de domicile du contrevenant mais aussi le tribunal du lieu de réalisation du fait générateur du dommage ou du lieu de survenance du dommage. Le propriétaire ou opérateur de navires français qui ne respecterait pas la réglementation soufre est donc exposé à être attrait devant les tribunaux étrangers en concurrence déloyale, soit en référé, pour obtenir la cessation des agissements déloyaux, soit au fond, pour obtenir sa condamnation à des dommages-intérêts. « L’acte déloyal correspond à tout comportement qui s’écarte de la conduite normale du professionnel et qui rompt l’égalité des chances qui doit exister entre les concurrents dans un système d’économie libre, et est constitué en l’occurrence dès lors que le non-respect, volontaire ou involontaire, de la réglementation soufre est établi », explique Anne Bernard-Dussaulx, avocat associée du Cabinet DelViso-Avocats. Au-delà des actions exposées ci-dessus, un État membre peut aussi intervenir par le biais de l’Autorité de la concurrence dont les compétences sont aussi bien nationales que communautaires. Cet organisme « a compétence pour sanctionner les pratiques anticoncurrentielles des opérateurs lorsqu’elles ont lieu à l’étranger mais ayant des effets sur le territoire français et lorsqu’elles affectent le commerce entre États membres, même si elles ne sont pas commises sur le territoire français et n’ont pas d’effet sur celui-ci ». L’Autorité de la concurrence peut s’auto-saisir ou être saisie par un opérateur des mesures conservatoires dans l’attente d’une décision définitive et peut prononcer:

– des sanctions pécuniaires: jusqu’à 10 % du chiffre d’affaires mondial de l’entreprise. Elle est proportionnée dans chaque affaire à la gravité de la pratique, au dommage porté à l’économie du secteur, à la situation de l’entreprise et à l’éventuelle réitération de faits.

– une injonction: l’Autorité peut enjoindre à l’auteur des pratiques anticoncurrentielles de cesser la pratique anticoncurrentielle incriminée ou, de façon positive, de modifier ses comportements afin de se conformer au droit de la concurrence. L’entreprise visée par l’Autorité de concurrence peut recourir à une « procédure d’engagement » qui lui permet de présenter des engagements de nature à mettre fin à ces préoccupations, avant toute notification de griefs.

En cas d’indisponibilité de carburant conforme dans un port

Un armateur ne va pouvoir se réfugier derrière l’argument selon lequel son navire est en infraction car il n’a pas pu trouver de combustible conforme dans le port où le soutage était prévu. En effet, la directive 2012/33 précise que l’armateur doit fournir « la preuve que le navire a cherché à acheter du combustible marin conforme à la présente directive compte tenu du plan de voyage et que, si ce combustible n’était pas disponible à l’endroit prévu, il a essayé de trouver d’autres sources de combustible marin et que, malgré tous les efforts qu’il a faits pour se procurer du combustible marin conforme à la présente directive, il n’y en avait pas à acheter ». Toutefois, « le navire n’est pas tenu de s’écarter de la route prévue ni de retarder indûment son voyage afin de satisfaire à ces dispositions ».

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