La réglementation relative à l’alimentation des navires en combustibles/carburants à faible teneur en soufre va s’appliquer en Manche, mer du Nord et Baltique à partir du 1er janvier 2015, comme prévu par l’annexe VI de la Convention Marpol de l’Organisation maritime internationale (OMI) décliné dans la directive européenne 2012/33/UE. Sauf retournement de dernière minute qui serait le résultat de la pression toujours intense des organisations représentatives des armateurs, notamment françaises et britanniques, pour obtenir un report de la Commission européenne (voir ci-contre « Les armateurs français et britanniques veulent obtenir du temps »). Cette réglementation impose une teneur en soufre de 0,1 % pour les combustibles utilisés par les navires naviguant dans la zone de contrôle des émissions de soufre (ZCES) de la Manche/mer du Nord/Baltique (voir encadré « Les règles d’émissions à respecter le 1er janvier 2015 et au-delà »). Dans le préambule de la directive 2012/33, la Commission européenne rappelle que « la politique de l’Union dans le domaine de l’environnement (…) vise notamment à atteindre des niveaux de qualité de l’air exempts d’incidences négatives et de risques notables en termes de santé humaine et d’environnement ». Le texte du préambule continue: « Les émissions des navires dues à la combustion de combustibles marins présentant une teneur élevée en soufre contribuent à la pollution de l’air sous la forme d’émissions de dioxyde de soufre et de particules qui nuisent à la santé humaine et à l’environnement et contribuent aux dépôts acides. En l’absence des mesures énoncées dans la présente directive, les émissions dégagées par le transport maritime auraient bientôt dépassé les émissions générées par l’ensemble des sources terrestres ».
Préserver la santé et l’environnement
Ainsi, la décision de la Commission européenne d’aligner la directive sur l’annexe VI de la convention Marpol relève de considération portant principalement sur la santé des citoyens de l’UE puis la préservation de l’environnement. Pour Françoise Odier, membre de l’Association française du droit maritime, ce point ne doit pas être sous-estimé: « La réglementation relative à l’alimentation des navires en combustibles à faible teneur en soufre doit être envisagée dans son contexte, c’est-à-dire l’existence d’un mouvement pour la défense de l’environnement qui, dans le cadre européen en particulier, a pour vocation d’englober tous les secteurs des transports aussi bien terrestres que maritime. Cette préoccupation contribue et justifie la rigueur des États. Ceux-ci, pour des raisons politiques, hésiteront à assouplir, dans la mesure où ils le pourraient, le contenu d’un dispositif lié à des impératifs de santé des citoyens ».
À plus ou moins long terme, toutes les sources d’émissions polluantes ayant des conséquences sur la santé humaine, aussi bien le soufre que l’azote, le CO2 ou les particules fines, devraient faire l’objet de mesures de réduction au niveau européen si ce n’est mondial. La décision de la Commission européenne d’aligner la directive sur l’annexe VI de la convention Marpol répond aussi à la nécessité de « garantir la cohérence avec le droit international tout en veillant à assurer la bonne mise en œuvre dans l’Union des nouvelles normes établies au niveau international pour le soufre », souligne le préambule de la directive. Étant donné également qu’en vertu de leurs engagements internationaux, la plupart des États membres de l’UE, y compris la France, sont tenus de se conformer aux règles de l’OMI. « Pour sa mise en œuvre, la convention Marpol est imbriquée avec les dispositions européennes dans le cadre de la complémentarité qui existe dans ce domaine entre droit international et droit communautaire, précise François Odier. Et c’est dans le cadre de cette complémentarité que s’inscrit la directive 2012/33 ».
Nul n’est censé ignorer la loi
« La Convention Marpol dont les annexes, en particulier l’annexe VI qui est en cause pour les pollutions atmosphériques, ont toutes été ratifiées par la France et lui sont applicables directement sauf pour ce qui concerne les sanctions qui restent du domaine des législations nationales », continue Françoise Odier. La Commission européenne ayant décliné l’annexe VI de la convention Marpol par une directive, il revient à chaque État membre de l’UE de transposer ce texte dans sa propre législation nationale pour le rendre applicable. Les États membres devaient mettre en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la directive 2012/33 au plus tard le 18 juin 2014. En ce qui concerne la France, la directive 2012/33 a été transposée par un arrêté du 14 mai 2014 modifiant l’arrêté du 23 novembre 1987 relatif à la sécurité des navires, (division 213, chapitre 213-6) publié au Journal officiel le 5 juin 2014. « Comme le code de l’environnement intègre toutes les pénalités encourues au titre des infractions à la convention Marpol, l’arsenal juridique en France est bien au complet et les textes pourront être appliqués dès le 1er janvier 2015 selon le calendrier fixé par la directive. Comme nul n’est censé ignorer la loi, les armateurs pourraient être dans une situation juridiquement difficile s’ils ne respectent pas la réglementation en France mais aussi dans les autres pays européens », explique Françoise Odier. Ceci étant dit, les conditions pratiques de mise en œuvre de ces textes présentent plusieurs difficultés, continue ce membre de l’Association française du droit maritime. D’une part, une directive nécessite une transposition nationale dans chaque État membre, certains textes diffèrent légèrement d’un pays à l’autre. D’autre part, la directive 2012/33 laisse à chaque État membre le soin de définir ses propres dispositions nationales pour les sanctions en cas d’infraction. Dans ces conditions, pour les sanctions, « les dispositions relèvent du droit interne de chaque État membre, peuvent donc varier et être source de discrimination entre pavillon », indique Françoise Odier. Il en va de même pour les contrôles de vérification du taux d’émission de soufre des navires: « Il y aura une grande difficulté à mettre en place un système de constatation des dommages et un régime de preuve harmonieux au sein des États membres. Il serait utile de confier un rôle de régulation en ce domaine à l’Agence européenne pour la sécurité maritime » (EMSA), estime Françoise Odier (voir encadré « L’EMSA pourrait se saisir de la problématique des contrôles »).
Des installations dédiées
Une autre difficulté concerne les mesures « insuffisantes » prévues notamment pour les installations d’approvisionnement en combustible respectant la norme de 0,1 % de soufre et de réception des déchets des épurateurs de fumée. Les ports situés dans la zone ZCES Manche/mer du Nord/Baltique vont devoir accepter les déchets des épurateurs de fumée dès le 1er janvier 2015. Cela suppose des installations dédiées et implique des initiatives portuaires- qui peuvent être source de discrimination ou de concurrence exacerbée (voir encadré « Les ports sont concernés dès maintenant »).
Une dernière difficulté porte sur la répartition des surcoûts engagés pour respecter la nouvelle réglementation. Si cette répartition apparaît plutôt facile pour les navires affrétés et au tramping, il en va différemment pour les navires de ligne. Au final d’un point de vue juridique, il faut retenir que la mise en œuvre de la réglementation relative à l’alimentation des navires en combustibles à faible teneur en soufre ne présente pas d’obstacle majeur. Les textes sont applicables et vont s’appliquer à partir de la date prévue, soit le 1er janvier 2015. Le droit ne va pas retarder la mise en œuvre de la directive dite « soufre ». Ce sont seulement les conditions de mise en œuvre des textes d’un point de vue pratique qui vont devoir être éclaircies par des actions contentieuses si nécessaires.
Les armateurs français et britanniques veulent obtenir du temps
Le 18 juin 2014, Armateurs de France a organisé une conférence de presse sur « l’application de la directive soufre au 1er janvier 2015 » et ses conséquences pour le transport maritime à courte distance (TMCD). Armateurs de France souligne que la directive 2012/33 a repris officiellement « le calendrier irréalisable posé par l’OMI » en fixant au 1er janvier 2015 le passage à 0,1 % de soufre dans les ZCES. « Une transposition mécanique, sans interprétation, sans aucune prise en considération des réalités entrepreneuriales et techniques », estime l’organisation patronale pour laquelle « le compte à rebours a donc bien commencé pour les armateurs français et européens ». Armateurs de France rappelle que si l’industrie a toujours affirmé son attachement au principe d’une réduction des émissions de soufre, elle a aussi besoin d’un « calendrier réaliste » pour les entreprises concernées. « L’échéance très serrée du 1er janvier 2015 » impose aux armateurs français opérant des routes à courte distance dans la ZCES Manche, mer du Nord, Baltique, et soumis à la concurrence d’autres modes de transport, « une adaptation lourde et coûteuse de leur flotte, pourtant une des plus jeunes d’Europe ». Avec elle, « c’est tout l’écosystème économique en Manche/mer du Nord qui sera impacté ». La première victime de cette réaction en chaîne serait l’activité ferry, porteuse de nombreux emplois marins, continue l’organisation. Pour cette dernière, « le calendrier apparaît d’autant plus dommageable économiquement et techniquement que, fait inédit, la nouvelle réglementation s’applique aux navires existants et pas uniquement aux navires neufs ». Abandonner le fioul lourd pour du marine gasoil revient à renchérir le poste combustibles de 40 à 50 % alors que celui-ci constitue lui-même une part importante des coûts opérationnels. Les compagnies maritimes actives dans le TMCD, toujours en concurrence avec le mode terrestre verront leur compétitivité fortement atteinte.
Aménager une période de transition
« Si un aménagement du calendrier n’est pas obtenu, l’équation économique sera simple: diminution du trafic, fermeture de lignes, destruction de plusieurs centaines d’emplois, report des trafics vers la route. » Aussi, Armateurs de France et la UK Chamber of Shippings portent auprès de leur gouvernement respectif une demande de report de l’entrée en vigueur de la directive dite soufre, déclinaison de l’annexe VI de la convention Marpol prévue le 1er janvier 2015, baptisée « route to compliance ». Celle-ci, face au constat que le calendrier du 1er janvier 2015 n’est pas viable économiquement, veut obtenir de la Commission européenne l’aménagement d’une période de transition. Et ce afin de permettre aux compagnies maritimes d’être matures, tant dans leurs outils techniques alternatifs que dans leur modèle économique, pour le passage à 0,1 % de soufre dans la ZCES européenne. « Il ne s’agit pas d’un chèque en blanc aux armateurs: pour bénéficier de cette période de transition limitée, ils devront être confrontés à un risque de report modal inverse et présenter un plan de transition solide. Dans le dossier du soufre, ce que les armateurs français et britanniques réclament, c’est du temps pour mettre au point techniquement leur transition écologique, pour préserver et développer un modèle économique viable, garant des emplois marins », conclut Armateurs de France. Il revient aux gouvernements des deux pays de porter la revendication de leurs armateurs auprès de la Commission européenne et de convaincre les autres États membres de l’UE de la justesse de la démarche.
L’EMSA pourrait se saisir de la problématique des contrôles
L’Agence européenne pour la sécurité maritime (EMSA) a été créée en 2003 et est installée à Lisbonne. L’EMSA est le « résultat d’une impulsion politique européenne majeure suite aux naufrages des navires Erika en 1999 et Prestige en 2002 ayant provoqué d’énormes dégâts environnementaux et économiques pour les côtes de l’Espagne et de la France suite aux déversements d’hydrocarbures en mer », précise le site internet de l’agence. L’EMSA fournit une assistance technique et un soutien à la Commission européenne et aux États membres dans l’élaboration et la mise en œuvre de la législation européenne sur la sécurité maritime, la pollution par les navires et la sûreté maritime. « Dans ce cadre, l’EMSA a toute légitimité pour se saisir d’elle-même de la problématique des contrôles des émissions de soufre que doit mettre en place chaque État membre », souligne Françoise Odier. Et aucun État membre ne pourra s’opposer à l’EMSA car elle est le bras armé de la Commission européenne dans le domaine de la pollution par les navires. Pour Françoise Odier, cette agence pourrait jouer un rôle d’harmonisation pour la réalisation de contrôle uniforme d’un État membre à l’autre en proposant des méthodes identiques partout au sein de l’UE, en désignant des experts indépendants, etc. « Cela permettrait de réduire les risques de discrimination d’une compagnie à l’autre, d’un État membre à l’autre. »
Les règles d’émissions à respecter le 1er janvier 2015 et au-delà
Adoptée par l’Organisation maritime internationale (OMI) le 10 octobre 2008 et entrée en vigueur le 1er juillet 2010, une révision de l’annexe VI de la convention sur la prévention de la pollution par les navires (dite Marpol) impose une teneur en soufre de 0,1 % pour les combustibles utilisés par les navires naviguant dans la zone de contrôle des émissions de soufre (ZCES) de la Manche, mer du Nord, Baltique à partir du 1er janvier 2015. Cette mesure a pour objectif de réduire les émissions d’oxyde de soufre (SOx) dangereuses pour la santé humaine. Les contraintes internationales en matière d’émissions atmosphériques des navires ont été reprises, et pour certaines renforcées, par la directive européenne 2012/33/UE du 21/11/2012 (dite soufre) modifiant le texte précédent 1999/32/CE. Ainsi, une norme de teneur en soufre de 0,5 % sera applicable dès le 1er janvier 2020 pour toutes les zones maritimes de l’Union européenne (UE) qui ne sont pas classées en tant que ZCES. La directive prévoit aussi que les navires à quai au moins deux heures dans les ports de l’UE doivent utiliser un combustible marin dont la teneur en soufre ne dépasse pas 0,1 %. D’autres obligations en matière d’émissions d’oxydes d’azote (NOX) vont s’ajouter à partir du 1er janvier 2016. Des mesures sur les gaz à effet de serre pourraient entrer en vigueur en 2020 ou 2025.
Les ports sont concernés dès maintenant
Dès le 1er janvier 2015, les ports situés dans la ZCES de la Manche, mer du Nord, Baltique, devront faire en sorte de pouvoir réceptionner les déchets issus des épurateurs de fumée (scrubbers) installés à bord des navires pour réduire les émissions d’oxyde de soufre (SOx) dans les gaz d’échappement. Pour respecter la règle d’une teneur en soufre de 0,1 % en matière d’émissions pour les combustibles par les navires circulant dans cette ZCES, les armateurs peuvent en effet soit utiliser du marine gasoil soit installer des épurateurs de fumée. Les places portuaires sont ainsi concernées par la nouvelle réglementation. Jean-Marie Millour du Bureau de promotion du short sea shipping (BP2S) rappelle que trois solutions pour la réception des déchets des épurateurs de fumées peuvent être mises en place par les ports. Ils peuvent soit gérer eux-mêmes la réception, soit sous-traiter soit laisser venir des opérateurs extérieurs. « Proposer aux armateurs une solution de réception des déchets des épurateurs de fumée relève d’un choix stratégique pour la place portuaire, estime Françoise Odier de l’Association française du droit maritime. Il y aura les ports qui proposent une solution aux armateurs et ceux qui n’en proposeront pas. Le risque pour ces derniers est de voir leur échapper des navires d’armateurs faisant le choix de faire escale là où la solution existe. La règle de concurrence entre les ports va fonctionner tout simplement. » Les responsables des places portuaires devraient se souvenir de ce qui s’est passé lors de l’entrée en vigueur de l’annexe I de la convention Marpol pour la réception des déchets pétroliers. Les ports du nord de l’Europe et des opérateurs ont su être prêts au bon moment. Ils ont capté le marché au détriment notamment des opérateurs français. Par ailleurs, les places portuaires ne doivent pas oublier que les solutions d’avitaillement pour des carburants de substitution, notamment le GNL, doivent être mises en place pour 2025. Il s’agit pour eux de se mettre en conformité avec la directive « pour le déploiement d’une infrastructure pour carburants de substitution » approuvée par le Parlement européen le 15 avril. Sachant que le GNL permet non seulement de respecter la règle d’une teneur en soufre de 0,1 % en matière d’émissions pour les combustibles car il ne produit quasiment pas de Sox. Il permet de réduire de 80 % la production d’oxydes d’azote, de 20 % celle de CO2. Il n’émet aucune particule. Il permet ainsi non seulement de respecter la règle applicable à partir du 1er janvier 2015 mais aussi celle sur les Nox à partir de 2016 et celle sur les particules à venir sans doute dans les années 2020. « Les ports ne doivent pas considérer l’échéance de 2025 pour la fourniture de carburant comme lointaine, souligne Jean-Marie Millour. S’ils veulent obtenir des aides européennes pour financer la réalisation des études et/ou des infrastructures, les dossiers sont à préparer et les opportunités sont à saisir dès maintenant. Ils ne doivent en effet pas oublier la règle européenne selon laquelle les demandes d’aides ne sont pas recevables et les financements ne sont octroyés/octroyables que jusqu’à la date d’application d’une directive. » Les ports peuvent aussi associer à leurs projets d’infrastructures pour des carburants de substitution un ou des armateurs, clients réguliers de la place. Une démarche qui peut aider les deux partenaires à anticiper la mise en place en 2016 des règles d’émissions concernant les Nox et les particules mais aussi l’extension des règles d’émission hors de la ZCES Manche/mer du Nord/Baltique. Pour le port, une telle association constitue également un enjeu stratégique pour conserver ses clients armateurs et ses trafics maritimes. Enfin, 2025, c’est maintenant, étant donné que la mise en place de solutions d’avitaillement au GNL à l’intérieur des places portuaires suppose de respecter un certain nombre de procédures et d’adaptations qui peuvent sembler complexes, mais au fond tout à fait réalisables en toute sécurité (voir JMM no 4936-4937 du 11/07/2014). Il faut toutefois bien les définir, les anticiper, les planifier et en prévoir les coûts.