« Le Costa-Concordia est né à Gênes et mourra à Gênes »

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JOURNAL DE LA MARINE MARCHANDE (JMM): COMMENT ET QUAND LE COSTA-CONCORDIA FERA-T-IL SA DERNIÈRE CROISIÈRE?

LUIGI MERLO (L.M.): Le paquebot sera en mesure de quitter définitivement l’île du Giglio à partir du 19 juillet. Cela veut dire qu’il va falloir d’abord contrôler sa stabilité pour éviter les dérapages pendant la traversée. Le Costa-Concordia sera traîné par deux remorqueurs et escortés par des navires de la sécurité maritime. Les gardes-côtes seront aussi présents car ils sont impliqués dans l’opération. Il faudra aussi tenir compte des conditions météorologiques. Nous devons avoir au moins quatre jours de beau temps et de mer calme à disposition. La vitesse de croisière sera de deux nœuds et le voyage devrait durer entre quatre et cinq jours. À moins d’un changement exceptionnel au niveau de la feuille de route, le paquebot devrait donc être à Gênes d’ici la fin du mois de juillet.

JMM: POURQUOI GÊNES A-T-IL REMPORTÉ DEVANT LES AUTRES PORTS ITALIENS CE CHANTIER, ET COMMENT RÉAGISSEZ-VOUS?

L.M.: Le Costa-Concordia est né à Gênes et mourra à Gênes. C’est un cycle qui s’achève. La presse italienne a souvent fait état d’une véritable guerre entre les ports candidats au démantèlement du paquebot. C’est faux! La course s’est jouée entre des privés, et les armateurs implantés à Gênes ont gagné. À un certain point, l’affaire a même pris une tournure politique. L’argument utilisé était que la démolition du paquebot pouvait aider à la relance de certaines régions comme Piombino, par exemple. Mais ce port manque cruellement d’infrastructures. Le Costa-Concordia ne peut plus rester sur l’île du Giglio. Il doit partir et on ne pouvait pas attendre que les ports soient prêts à l’accueillir. C’était trop risqué car le Costa-Concordia aurait pu, à ce point, être expédié en Turquie, un pays qui ne respecte pas les critères environnementaux de démolition appliqués en Europe. Je comprends parfaitement qu’ayant été la région la plus touchée par le naufrage dramatique du Costa-Concordia, la Toscane voulait l’épave.

JMM: DANS QUELS CHANTIERS DU PORT LE PAQUEBOT SERA-T-IL DÉMANTELÉ?

L.M.: La phase de démolition se fera en trois temps et dans trois chantiers. Dès son arrivée, le Costa-Concordia sera placé dans la digue de Prà-Volti pour la première étape. Une structure unique en Italie, la profondeur de l’endroit où sera ancré le paquebot étant de vingt mètres. Le mobilier et tout le matériel se trouvant à bord et qui représente l’équivalent de 18 t, sera évacué pour alléger le navire. Cette première phase devrait durer entre quatre et six mois. Après quoi, le Costa-Concordia sera transféré dans le deuxième chantier qui se trouve à quelque six milles du premier bassin. Les ponts seront découpés et les équipements éliminés comme les circuits électriques, par exemple. Il faudra aussi retirer les caissons qui soutiennent le paquebot depuis sa remise à flot et nettoyer toute la cuisine. Actuellement, le tirant d’eau du paquebot est de 18 m, il faut le réduire à 10 m. C’est la mesure estimée au terme des opérations de « nettoyage », c’est-à-dire l’élimination des matériaux, le découpage des structures pontières et des substances liquides. La dernière phase, qui comprend le découpage, aura lieu dans le bassin de radoub numéro 4. Les tonnes d’acier seront expédiées dans les fonderies.

JMM: QUELLES SONT LES SOCIÉTÉS QUI PROCÉDERONT À LA DÉCONTRACTION ET DANS QUELLES CONDITIONS?

L.M.: Nous n’avons pas besoins d’outils spécifiques. Les sociétés San Giorgio del Porto et Cantieri Mariotti, spécialisées dans la démolition des navires et paquebots (San Giorgio del Porto est d’aileurs impliqué dans le port de Marseille), sont chargées de toutes les opérations. Il faut aussi tenir compte des sociétés qui œuvreront en régime de sous-traitance. En ce qui concerne la main-d’œuvre, nous n’avons pas encore de détails. Il est évident toutefois, que la démolition représente des enjeux économiques essentiels en termes de retombées pour la région, notamment au niveau de l’emploi. Il va falloir recruter et la présence de l’épave va permettre aussi de recourir à la main-d’œuvre spécialisée, actuellement « en sommeil » par manque de travail et en raison de la crise. Si nous partons du principe que toute l’opération de décontraction devrait durer au moins 22 mois, cela veut dire beaucoup de travail et de travailleurs sur le terrain.

JMM: QUEL EST LE COÛT GLOBAL DE L’OPÉRATION?

L.M.: J’ai cru comprendre que c’est de l’ordre de 80 M€. Cet aspect ne concerne pas l’autorité portuaire mais les entreprises privées impliquées dans cette affaire, les assurances et la compagnie Costa Croisières.

JMM: LE CHANTIER OCCUPERA-T-IL DES TERMINAUX AUJOURD’HUI UTILISÉS POUR LE TRAFIC DE MARCHANDISES?

L.M.: Pas du tout. Le premier chantier est une digue inutilisée. Les deux autres servent seulement à la démolition des navires et sont situés dans la zone industrielle du port. Il n’y a donc pas de trafic de marchandises et pas de retombées sur les activités quotidiennes du port. À terre, dans le terminal VTE situé en face de la digue, un chantier sera mis en place sur une superficie mesurant 14 500 m2 plus un bassin de 1 800 m3. Le matériel récupéré sur le paquebot sera transbordé sur des pontons et placés dans le terminal. Tout ce qui pourra être recyclé sera vendu. Par exemple, les armateurs pourront revendre les tonnes d’acier.

JMM: AVEZ-VOUS LE SENTIMENT QUE CE CHANTIER POURRA APPELER À L’AVENIR D’AUTRES NAVIRES À DÉCONSTRUIRE AU REGARD DE LA CONVENTION DE HONG KONG QUI PRÉVOIT QUE LE NAVIRE DOIT ÊTRE DÉCONSTRUIT DANS LE PAYS DANS LEQUEL IL A ÉTÉ EXPLOITÉ?

L.M.: C’est tout à fait possible car nous avons le savoir-faire et les infrastructures nécessaires pour ce type d’opération. Il faut toutefois que la politique internationale effectue un virage important. Les conditions ou plutôt les critères environnementaux qui ne sont pas appliqués par certains pays doivent être respectés au niveau mondial. Je pense par exemple à la Turquie qui souhaitait accueillir l’épave du Costa-Concordia et aussi aux pays asiatiques comme le Bangladesh. Nous ne pouvons plus accepter que les critères environnementaux ne soient plus respectés et appliqués dans le cadre des démolitions. Ce n’est pas seulement un problème européen qui doit être affronté dans le cadre d’une discussion entre les pays de l’Union européenne. Il faut aborder la question dans un contexte mondial.

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