JOURNAL DE LA MARINE MARCHANDE (JMM): QUELS ONT ÉTÉ LES RÉSULTATS D’ELENGY EN 2013?
MARTIN JAHAN DE LESTANG (M.J.D.L.): Elengy est le deuxième opérateur en Europe avec trois terminaux de regazéification exploités en France, deux à Fos et un à Montoir-de-Bretagne. En 2013, la tendance en France a été la même que celle constatée en Europe, soit une baisse des volumes reçus dans le service traditionnel que constitue pour Elengy l’activité de regazéification. Le taux d’utilisation moyen a été de l’ordre de 45 %. Nos terminaux sont très souscrits mais moins utilisés qu’autrefois. Avant la crise économique et avant les changements des flux de GNL repartant d’Europe vers l’Asie, les taux d’utilisation atteignaient traditionnellement 70 %. L’activité apparaît plus soutenue sur les terminaux de Fos, avec un taux d’utilisation de 50 % à Cavaou et de 70 % à Tonkin où les volumes reçus restent importants. Cela est lié à la congestion sur le réseau du sud de la France pour lequel il est indispensable de décharger du GNL. À Montoir, le taux d’utilisation s’est réduit à 10 % en 2013. La tendance est globalement la même sur le premier semestre 2014 au terminal de Montoir. Cette conjoncture s’observe partout en Europe sur l’activité de regazéification. Elengy possède tout de même les sites les plus utilisés en base par rapport à ses homologues européens.
JMM: QUELLES SONT LES SOLUTIONS D’ELENGY POUR DÉVELOPPER L’ACTIVITÉ SUR SES TROIS TERMINAUX?
M.J.D.L.: Nous avons renforcé l’attractivité de nos sites en offrant des services de rechargement et de transbordement, ce qui donne à nos clients la plus grande flexibilité possible pour renvoyer les cargaisons vers d’autres zones de consommation, éclater éventuellement les volumes, etc. Le rechargement permet de décharger du GNL d’un navire, de le stocker dans les cuves du terminal et de le recharger dans un autre navire. Cela peut se faire immédiatement ou après quelques jours de transit dans les cuves. Une dizaine de rechargements ont été effectués en 2013. Nous menons actuellement des travaux importants à Fos Cavaou pour permettre de recharger à plus grand débit. Actuellement, le rechargement se fait à 1 250 m3/h, soit trois à quatre jours pour recharger un méthanier de taille moyenne. La capacité va passer à 4 000 m3/h à partir de fin juillet. Cela donnera la deuxième vitesse la plus élevée de rechargement après celle de Montoir. Elengy disposera alors de deux terminaux parmi les trois en Europe permettant les rechargements les plus rapides. Le transbordement est une activité de rechargement de GNL d’un navire à l’autre sans que le GNL transite dans les cuves du terminal. Les deux navires doivent être amarrés sur les deux jetées du terminal et le gaz transite d’un navire à l’autre. Ce service a été testé pour la première fois à Montoir en août 2013. C’était une première mondiale dans un terminal de réception pour des navires méthaniers de grande capacité. La procédure a été rôdée et est bien maîtrisée: nous en sommes déjà au quatrième transbordement depuis l’été dernier. Ces deux activités sont très importantes pour Elengy car ce sont elles qui donnent toute leur valeur aux réservations de nos clients dans nos terminaux. Les rechargements depuis la France sont certes significativement moindres comparativement à ceux effectués depuis la Belgique ou l’Espagne. Dans ce dernier pays, il faut rappeler que, d’une part, il y a davantage de terminaux offrant ce service et, d’autre part, les flux de GNL entrants non détournables sont traditionnellement plus importants. Le rechargement et le transbordement constituent pour Elengy des services à grande échelle. Ce sont des sources de revenus importantes et intéressantes. Nous les offrons à un prix très attractif à nos clients, ce qui leur permet de réaliser de belles opérations d’arbitrage.
JMM: QU’EN EST-IL DES ACTIVITÉS DE GNL AU DÉTAIL, NOTAMMENT EN TANT QUE COMBUSTIBLE POUR LES TRANSPORTS?
M.J.D.L.: Le GNL de détail constitue pour Elengy une activité d’échelle plus réduite mais à fort potentiel. Les Espagnols en ont été les initiateurs suivis des Belges. Le GNL de détail, c’est toute l’activité de rechargement de camion-citerne qui permet ensuite d’alimenter les clients. Ces derniers peuvent être de petits industriels non raccordés au réseau, dont les process ont intérêt à tourner au gaz naturel livré sous forme de GNL. Deux raisons peuvent expliquer ce choix: soit le GNL est moins cher que des carburants alternatifs, soit des contraintes réglementaires font qu’il est plus écologique de fonctionner au GNL qu’au fuel. Nous avons lancé un tel service à Montoir en juillet 2013 avec une capacité de chargement de 1 000 camions par an, que nous nous apprêtons à doubler. Le service vient d’être mis en place à Fos Tonkin début juin avec la même capacité. Il s’agit de la première étape d’un dispositif qui devrait nous amener à prendre position sur le marché de soutage de navire. Soit par camions-citernes soit par microméthaniers, navires qui viendraient sur nos terminaux ou dans d’autres ports avec des dépôts de GNL permettant de ravitailler les navires utilisant du GNL comme combustible marin. Ce marché en est à ses débuts, il se met en place doucement. Il est porté par la réglementation européenne sur le soufre. Nous sommes à l’affût de ce que souhaitent les affréteurs et les ports en matière de développement d’infrastructures, en commençant évidemment par nos sites.
JMM: COMMENT ELENGY ENVISAGE LES OPÉRATIONS DE SOUTAGE AU GNL?
PIERRE COTIN (P.C.): Pour les plus petites utilisations, il est envisageable que le client charge du GNL dans une citerne routière dans nos terminaux, via nos stations de chargement. Puis il ravitaille directement les navires sur un quai qui serait dédié à cette activité. Un camion-citerne représente 40 m3 de GNL, cela peut constituer une quantité suffisante pour des navires de taille réduite. Pour des navires plus grands, comme le Pegasis de Britanny Ferries avec un réservoir de 1 200 m3, il faut d’autres solutions que les camions-citernes. Il faut prévoir un avitaillement traditionnel de navire, c’est-à-dire un navire ravitailleur avec toutes les procédures de sécurité possibles. Si l’avitaillement devient plus régulier, il est possible d’installer un réservoir tampon qui serait rempli soit par un navire de petite taille quand il est disponible, soit par des camions. Il faut envisager une progressivité dans le déploiement de ces solutions. Le navire ravitailleur est un maillon essentiel pour le développement de ces projets. Ce que nous pouvons proposer, c’est de permettre à ces petits navires ravitailleurs de venir charger du GNL dans nos installations. Cela demande seulement quelques adaptations tout à fait réalisables, étudiées et chiffrées. Il faut juste bien comprendre que ce navire ravitailleur doit être construit, affrété par celui qui vend le GNL, c’est-à-dire notre client et non pas par Elengy. De son côté, Elengy saura adapter ses infrastructures à la nouvelle demande de GNL, soit venir charger des camions soit venir charger des navires ravitailleurs. Nous sommes déjà prêts, soit parce nous faisons déjà ces opérations soit parce que notre temps de déploiement est très court. Les problèmes de sécurité sur nos terminaux ont leur réponse. Le déploiement de GNL carburant en Norvège a pris son essor. Il n’y a pas de raisons qu’il n’en soit pas de même en France.
M.J.D.L.: Nous saurons répondre à la demande. Nous savons dimensionner nos investissements et le délai de réalisation de manière à être à l’heure au rendez-vous du marché. Les solutions ont été testées. L’ensemble de la chaîne doit être mobilisé pour assurer un haut niveau de sécurité à l’image de l’industrie du GNL actuellement. Après, c’est de la formation des acteurs, de la précaution. Et aussi des adaptations de réglementation localement dans les ports. Fort de ses 50 ans d’expérience, Elengy proposera des services de formation dédiés à chacun des acteurs.
JMM: QUELS SONT LES PROJETS DE DÉVELOPPEMENT D’ELENGY EN FRANCE ET DANS LE MONDE?
M.J.D.L.: Il y a eu une concertation publique en 2013 à Fos Cavaou pour le projet d’augmentation des capacités éventuelles du terminal qui pourrait passer par un ou deux réservoirs supplémentaires (Capmax). Un tel projet nécessite de gros investissements avec des engagements d’assez long terme d’un certain nombre de nos clients. Aujourd’hui, nous sommes toujours en phase de prospection clients. Le cas échéant, nous pourrons lancer très rapidement la réalisation du projet Capmax. Ce n’est pas d’actualité en ce moment avec les besoins réduits de GNL en Europe et les incertitudes sur les volumes de ressources en provenance du Maghreb et du Machrek, zones les plus immédiates pour Fos Cavaou. Plus globalement, sur tous nos sites, nous menons régulièrement des projets de modernisation avec l’objectif de rendre nos services les plus flexibles possible pour nos clients. Cela concerne notamment une très grande flexibilité à l’émission pour nos clients et une durée de stockage satisfaisante. Nous nous assurons ainsi que nos sites demeurent dans le meilleur état de l’offre de service possible par rapport à nos concurrents européens, alors même que Montoir ou Fos Tonkin sont de conception plus ancienne que nombre d’autres sites européens plus récemment développés. Il s’agit pour Elengy de rester à la pointe du marché. En tant qu’investisseur, Elengy a choisi de se développer hors d’Europe. Nous savons que nous sommes sur une commodité, le gaz, qui est plutôt appelé à progresser dans le mix énergétique mondial et sur une chaîne de valeur, le GNL, qui va croître deux à trois fois plus que la moyenne des échanges gaziers. Il s’agit d’un marché porteur. 80 % de la demande devrait se concentrer en Asie (Inde, Chine). Nous essayons de prendre position sur ces marchés avec une offre de services assez large. Nous nous positionnons, par exemple, sur l’assistance à maîtrise d’ouvrage en proposant notre expertise et nos retours d’expérience d’exploitant de terminaux. Au-delà de la prestation de service, le modèle d’affaires d’Elengy est de co-investir sur des projets qui nous paraissent bien dimensionnés et d’offrir des perspectives de rentabilité intéressantes. Nous étudions la situation en Asie mais aussi en Amérique latine et dans certains pays du Golfe. Nous avons déjà trois salariés expatriés depuis 2013. Nous espérons en avoir davantage dans les années à venir.
P.C.: La présence d’Elengy à l’international s’inscrit dans une tradition assez ancienne. Les salariés d’Elengy ont été très souvent impliqués dans des projets à l’étranger. En Algérie, avec la liquéfaction à l’époque de la coopération technique avec Sonatrach sur toutes ses usines. En Inde, avec Petronet où GDF Suez détient une participation de 10 %: Elengy est un partenaire technique qui fournit des prestations d’audit et de conseil en matière d’organisation et de sécurité. Nous sommes connus et reconnus à travers le monde pour notre compétence sur le GNL. À chaque fois, nous avançons sur les projets avec des partenaires locaux et nous apportons la crédibilité de notre expérience de 50 ans d’opérateurs de terminaux de réception de GNL.
JMM: QUELLE EST VOTRE ANALYSE CONCERNANT LA SITUATION DU MARCHÉ DU GAZ ET DU GNL ACTUELLEMENT ET POUR LES ANNÉES À VENIR?
P.C.: Les pays européens ont tous développé d’importantes capacités d’importation ou d’interconnexion: beaucoup d’entre eux se retrouvent en capacité d’importer beaucoup plus de gaz qu’ils n’en ont besoin. En Europe, la raison de ces développements correspond à un accompagnement de l’ouverture des marchés et à la volonté d’amener un choix. Celui-ci en Europe actuellement, vu le prix élevé du GNL en Asie, est de privilégier le gaz via gazoduc et de laisser le GNL repartir vers l’Asie. Mais il est prématuré de dire que l’Europe n’a plus besoin de GNL. L’Europe a le choix pour une partie de ses approvisionnements gaziers. Aujourd’hui, les niveaux de prix poussent à privilégier le gaz via gazoduc de Russie, de Norvège ou d’Afrique du Nord. La hiérarchie des prix est quelque chose d’assez changeant sur le marché gazier. Rien n’interdit de retrouver demain une situation avec plus de GNL en Europe. C’est notamment la raison pour laquelle Elengy reste prêt à démarrer un projet d’augmentation des capacités à Fos Cavaou.
M.J.D.L.: Cette description concerne le marché des cargaisons de GNL arbitrables entre différentes zones de marché. L’idée dominante est en effet qu’il y aura des cycles assez volatils. Sachant qu’il suffit que les Chinois changent de 1 % la place du gaz dans leur mix énergétique pour que cela déplace les volumes. D’où la difficulté de faire des prévisions. Globalement, il est possible de dire qu’il y aura des périodes où le GNL partira d’Europe et d’autres où il y reviendra massivement. L’autre point est de savoir si nous saurons développer un marché premium du GNL, non substituable, c’est-à-dire qu’il ne pourra pas être consommé dans d’autres zones du monde parce qu’il aura un usage privilégié en Europe. Il s’agit notamment de l’utilisation du GNL carburant. Si cela représente 5 Gm3, c’est à peine plus de 10 % des volumes de GNL déchargé en Europe actuellement. Si c’est 60 Gm3 d’ici 2025, c’est le point bas en matière de déchargement de GNL actuellement. Ce deuxième marché s’ajouterait au marché d’ajustement. Pour Elengy, l’important est de travailler sur les deux marchés et d’être toujours prêts à capter les flux quand ils reviennent. Nous anticipons aussi une situation de concurrence entre les opérateurs européens de terminaux peut-être plus sévère qu’autrefois notamment parce que le réseau européen est davantage maillé. En déchargeant ici ou là, vous pouvez servir des zones de consommation beaucoup plus vastes qu’autrefois.