La décision chinoise a été prise selon les lois sur les fusions. Terme que les trois principales compagnies maritimes conteneurisées ont toujours rejeté. En conséquence de quoi, elles mettent fin à leur projet qui avait été annoncé le 18 juin 2013. Mærsk et CMA CGM soulignent que la Federal Maritime Commission avait donné son accord le 24 mars dernier; accord soumis à un suivi détaillé du fonctionnement interne du P3, faudrait-il rappeler. La Commission européenne a informé le 3 juin qu’elle ne s’opposera pas à la création de cette alliance tout en « restant attentive au bon respect par l’alliance du droit communautaire de la concurrence ». « Cette décision est une surprise pour nous car les partenaires ont travaillé dur pour répondre aux questions des régulateurs, souligne le président d’A.P. Møller, Nils S. Andersen. Le P3 aurait permis à Mærsk de réduire encore plus ses coûts et ses émissions de CO2 tout en améliorant les services rendus aux chargeurs grâce à un réseau de navires plus efficient. Cependant je suis sûr que Mærsk atteindra ses objectifs, de toutes les façons ». La non-mise en place du P3 n’aura aucune conséquence sur les résultats attendus du groupe en 2014, assure-t-on.
CMA CGM est plus vague, assurant qu’elle maintiendra sa performance opérationnelle et qu’elle continuera à « superperformer » le marché. Fidèle à sa tradition historique, MSC n’a fait aucun commentaire et son site internet, consulté le 17 juin, ne mentionne même pas la décision chinoise.
Dans la version électronique du Financial Times du 17 juillet 2013, le d.g. de Mærsk Line, Søren Skou, avait expliqué qu’il était impératif de ne pas augmenter l’offre de transport compte tenu de la faiblesse durable de la demande. Il fallait donc retirer des navires âgés au fur et à mesure de l’arrivée des Triple-E (18 000 EVP géométriques). Cela constituait l’une des raisons de former le P3. Interrogé sur le risque de voir les agences chargées de la concurrence s’émouvoir de la puissance du P3, Søren Skou avait répondu: « Nous payons des fortunes des avocats spécialisés pour nous dire comment faire mais nous devons y arriver ». C’était il y a presque un an.
Cours de l’action A.P. Møller en baisse
Selon l’agence Reuters, à 11 h GMT, le 17 juin, le cours de l’action A.P. Møller-Mærsk a chuté de 6,2 % (−4,58 % à 11 h 40) alors que l’indice de la Bourse baissait de 0,7 %. « C’est très mauvais pour Mærsk. Ils ne parviendront pas à réaliser environ 1 Md$ de réductions de coûts, l’équivalent de 5-6 % de leurs coûts unitaires », a commenté Jacob Pedersen, analyste de Sydban, rapporte Reuters. La constitution du P3 avait poussé ses concurrents à renforcer leurs VSA. Ainsi l’extension du G6 (American President Lines, Hapag-Lloyd, Hyundai Merchant Marine, Mitsui OSK Lines, NYK et OOCL) au transpacifique et au transatlantique a-t-elle été autorisée par la FMC le 4 avril. Le G6 ne serait-il pas le grand gagnant de toute cette agitation?
La Chine mène le jeu
Pour les grands groupes internationaux, les divergences d’appréciation entre autorités chargées de la concurrence devraient poser de plus en plus de problèmes. D’autant que les autorités chinoises et européennes, uniquement, sont venues à Washington, invitées par leur grande sœur américaine afin d’accorder leurs violons sur le P3. La musique chinoise a prévalu sur celle de l’Occident.
Le Wall Street Journal du 17 juin souligne que les puissances d’achat et de production de la Chine l’ont amené à accroître sa capacité de régulation en matière de concurrence depuis 2008. Mêmes les très grands groupes américains, ou non, doivent obtenir le feu vert chinois. Microsoft l’a obtenu pour le rachat de Nokia en 2014 et Google PLC pour celui de Motorola en 2012. La Chine peut, dans certains cas, conditionner son accord à une cession d’actif. Ainsi a-t-elle autorisé la fusion de Glencore PLC et d’Xstrata d’un montant de 62 Md$ à la condition que le premier se sépare d’une très importante mine de cuivre au Pérou.
Quel impact sur Le Havre?
Le 28 octobre a été diffusé un communiqué quelque peu hâtif sur le thème « Haropa-Port du Havre devance ses concurrents immédiats pour le nombre de services attribués par le Réseau P3. En effet, cinq services Asie-Europe sur les huit seront mis en place en 2014 […] et trois services transatlantiques. […] ». Il va falloir attendre quelque temps pour déterminer, avec une relative précision, les conséquences de l’abandon du projet.
L’impact sur Anvers de la non-mise en place du P3
Le projet de réaliser à Anvers, au Deurganckdok, le plus grand terminal à conteneurs d’Europe vient d’être indirectement stoppé par la Chine qui a refusé de donner son feu vert au P3. Cette évolution aura un impact mécanique sur la stratégie des armements concernés comme sur les ports et terminaux impliqués, notamment à Anvers. P3 signifiait pour le port scaldien la réception de quatre services hebdomadaires et un surplus de quelque 200 000 EVP. D’autre part, le déménagement des trafics de MSC (4,6 MEVP/an) de son Home Terminal à la darse Delwaide derrière les écluses rive droite, au Deurganckdok darse à marée rive gauche, dans le cadre d’un nouveau joint-venture avec PSA, s’inscrivait dans la foulée de l’apparition du P3. MSC procédera vraisemblablement à ce déménagement étant donné que c’est à Anvers que l’armement veut poursuivre son expansion et, partant, il lui faut plus de capacité. Enfin, il a été jugé préférable d’éviter à l’avenir le transit d’ULCS par les écluses et d’opter pour un terminal à marée. Par contre, il est probable que le projet de réaliser dans cette darse le plus grand terminal à conteneurs d’Europe (3 500 m de quai et 39 portiques pour une capacité de 9 MEVP) ne pourra être réalisé comme prévu, du moins rapidement. En effet, il devient difficile pour le port, compte tenu des nouvelles circonstances, de récupérer une partie de la concession (800 m de quai) du terminal d’Antwerp Gateway au Deurganckdok, d’autant plus que cette initiative est combattue par DP World. Néanmoins, le joint-venture PSA/ MSC sur l’actuel site du premier partenaire cité représenterait fin 2015 un trafic de 6,1 MEVP, et ce avec encore une capacité de réserve.
Pour le reste, c’est l’expectative. Les trois armements en question vont poursuivre leurs activités comme elles le font actuellement sur la base d’échanges d’espaces, CMA CGM collaborant avec MSC, de même que chacun d’eux à des accords avec Mærsk Line.
P3: les chargeurs européens soutiennent la décision chinoise
Le 17 juin en après-midi, le Conseil des chargeurs européens (ESC) se félicitait de la décision chinoise de ne pas autoriser l’alliance P3.
Reconnaissant n’avoir aucune précision sur la justification de cette décision*, l’ESC dit la comprendre car ainsi qu’il l’avait déjà souligné, la part de marché du P3 entre la Chine et l’Europe aurait été de l’ordre de 44 %. Ce risque de position dominante a également été perçu par la FMC, estime l’ESC, qui a conditionné son autorisation à de strictes mesures de « contrôle » alors que l’Union européenne a donné son accord sans restriction (accord qui n’a fait l’objet d’aucune publication à ce jour; ndlr). Les chargeurs européens en profitent pour rappeler qu’ils sont opposés au renouvellement du règlement de l’exemption de groupe dont bénéficient les vessel sharing agreements ainsi que le propose la Commission européenne.
Il n’est peut-être pas inutile de rappeler que les chargeurs asiatiques étaient hostiles à la mise en œuvre du P3 alors que les chargeurs nord-américains étaient partagés ainsi que la procédure américaine a permis de s’en rendre compte. Le niveau de transparence entre la FMC, la Commission européenne et les autorités chinoises pourrait faire l’objet d’intéressants colloques. M.N.
* Consultés le 18 juin, les sites internet francophone et anglophone du ministère chinois du Commerce ne font aucune mention de la décision concernant le P3.