Pas besoin d’attendre l’automne prochain que soit adoptée la loi autorisant les gardes armés privés à bord de navires battant pavillon français. Si le texte repasse à l’Assemblée nationale le 19 juin, certains armements ont un peu « anticipé », recourant aux services de sociétés françaises de protection paramilitaire basées à l’étranger (Madagascar ou ailleurs), ou embarquant de tels gardes sans le déclarer; sans cadre légal, notent des auditeurs du colloque. La protection par des militaires en exercice a ses limites: « L’État ne répond qu’à 70 % de la trentaine de demandes par an des armements », note Valérie Boré-Eveno du CDMO, Centre de droit maritime et océanique de l’université de Nantes, qui organise le colloque. La protection armée sous statut privé? Un vrai marché, déjà bien occupé par les Anglo-Saxons. De manière opérationnelle, les juristes s’inquiètent des responsabilités lors d’une décision d’ouvrir le feu en mer contre d’éventuels assaillants. Sur le papier, l’autorité du bord reste le capitaine. « Si les gardes à bord dissuadent l’attaque ou qu’il y a légitime défense, pas de problème. Mais que se passe-t-il si le capitaine est opposé à la décision d’ouvrir le feu? A-t-il compétence pour juger si le choix est pertinent? », interroge Patrick Chaumette, directeur du CDMO. Comme « la convention entre l’armement et la société de sécurité relève d’une négociation commerciale », pas d’un cadre juridique opposable. Pour baliser les prérogatives entre le capitaine et le chef de l’équipe de paramilitaires, le code de bonnes pratiques prévoit juste le partage des prérogatives et de la décision, pas le partage des responsabilités en cas d’incident ou de drame. Certains parlent des dangers d’anciens militaires mués en « Lucky Luke » des mers, tirant plus vite que l’ombre d’une menace.
Code de conduite
Il y a un an, à Yaoundé, une vingtaine de chefs d’État d’Afrique centrale et de l’Ouest ont adopté un code de conduite pour la prévention et la répression des actes de piraterie. Sur le papier, très bien. Mais en réalité? Professeur au CDMO, Martin Ndende reste sceptique: « Déjà le code de bonne conduite de Djibouti [adopté par les États d’Afrique de l’Ouest en 2009] n’est pas très respecté par les États signataires. » Le financement est pour l’instant amorcé via un fonds spécial de l’OMI, le Japon et la Norvège ont proposé d’abonder ce budget mais celà s’est arrêté là. Après Yaoundé, aucun des États pétroliers concernés (et donc économiquement bien dotés) n’a proposé un apport budgétaire précis. « Comportement irresponsable », selon l’universitaire, inquiet de l’absence de structure d’évaluation: « Il y a bien une structure de coordination, mais si on n’étudie pas les phénomènes criminels, on n’aura pas de solutions adaptées ni de stratégies. Le seul pourvoyeur d’information sera l’OMI avec son Gisis, système mondial intégré de renseignements maritimes. » Outre des conflits de prérogatives et l’empilement des structures et institutions aux compétences similaires dans la même zone du golfe de Guinée, ce qui compliquera l’application du code, il pointe aussi les inerties des « militaires jaloux de leurs compétences et de leurs galons », et le « projet moribond de création d’un corps intégré de gardes-côtes », évoqué puis disparu dans le texte du code. Autres zones de flou: « Va-t-on former des magistrats, créer des juridictions spéciales pour juger les pirates? » Sans insister sur le fait qu’un code de conduite relève du droit mou, cette « soft law » exempte de coercitions? Ce texte qui exprime des valeurs, des orientations et des principes, risque d’être suivi par des États volontaristes et beaucoup moins par d’autres plus réticents, moins menacés pour leurs richesses et que les groupes criminels peuvent utiliser comme base d’appui et de repli. Pas réjouissant.