« Les rendez-vous de l’assurance transports aiment à souligner les potentiels de croissance résultant des évolutions de l’économie mondiale », a rappelé Patrick de la Morinerie, président de la Comat et directeur général adjoint d’Axa Corporate Solutions, dans son discours introductif au colloque organisé par le Cesam les 12 et 13 mai. C’est la raison pour laquelle le thème retenu pour cette édition a porté sur les « nouvelles ressources de la mer » car « la mer, après avoir contribué à la création et à l’essor de l’économie mondiale, semble devoir jouer un rôle primordial pour assurer sa pérennité ». Parmi les nouvelles ressources de la mer, les énergies marines renouvelables (EMR) sont les plus connues et font l’objet de toutes les attentions pour plusieurs raisons. Les EMR figurent parmi les énergies les plus propres: leur production et leur consommation n’entraînent pas d’émissions de gaz à effet de serre (GES). Cet atout majeur en fait un des moyens privilégiés de lutte contre le réchauffement planétaire dans un contexte où le secteur énergétique est « responsable de deux tiers des émissions de GES », selon l’Agence internationale de l’énergie, et explique l’importance des subventions accordées au développement des technologies d’exploitation de ces nouvelles ressources de la mer. La deuxième raison est indiquée par leur nom même, elles sont renouvelables, contrairement aux énergies fossiles « dont le spectre d’épuisement menace l’économie mondiale ». En troisième lieu, elles se renouvellent sans requérir l’intervention de l’homme à la différence d’autres énergies renouvelables comme le bois, par exemple. Enfin, elles sont un moyen pour les nations, à terme, de mieux conserver leur compétitivité économique dans un environnement marqué par une hausse durable des coûts de l’énergie et des écarts de prix importants entre les régions du monde. « L’exploitation de ces nouvelles ressources de la mer n’est toutefois pas sans poser des défis techniques complexes ni sans comporter d’importants risques » pour les professionnels du monde des assurances, a relevé Patrick de la Morinerie.
Des acteurs très divers
Une analyse partagée par Gilbert Canaméras, directeur du management des risques au sein d’Eramet, président de l’Amrae: « Les EMR constituent un champ immense de potentiel de risques. » Pour Stanislas Chapron, président du directoire de Marsh France, il faut d’abord comprendre que « les projets EMR sont complexes avec des acteurs présentant des historiques très divers car ils sont tous issus de secteurs d’activités très différents les uns des autres: des industriels, des armateurs, des entreprises de services ». Comme les projets EMR présentent des coûts très élevés, par exemple 2 Md€ à 3 Md€ pour de l’éolien offshore, les intervenants comprennent aussi « des financiers qui n’ont pas toujours l’habitude des risques d’envergure ». Aussi, il revient à l’assureur de faire comprendre aux financiers que si une indemnisation se présente au cours du projet, il est préférable que les indemnités aillent au projet pour permettre à celui-ci de se poursuivre au lieu de leur être versées. Le calendrier étalé sur plusieurs années des projets EMR est un autre paramètre à prendre en compte par les assureurs, a souligné Christophe Parizot, directeur du pôle grandes entreprises du cabinet Bessé. D’une part, les échéances lointaines ne facilitent pas l’évaluation précise des coûts des assurances: les porteurs des projets doivent en être conscients. D’autre part les risques, donc les garanties, varient selon les étapes d’avancement du projet et selon les acteurs intervenant lors des différentes phases. « Les assureurs doivent veiller à définir les frontières des différents risques pour les différents intervenants sur les projets », a conseillé Christophe Parizot. Pour Patrick de la Morinerie, les assureurs doivent être partie prenante le plus tôt possible: l’idéal serait dès le commencement de l’ébauche de la réflexion sur le projet, en tout cas bien avant la phase de lancement des travaux. Par exemple, une éolienne, c’est 10 ans de construction, qui se décompose en sept ans de phase d’investissement et trois ans de travaux, puis 20 ans d’exploitation. Être associé dès la phase d’investissement permet à l’assureur de prendre connaissance de l’intégralité du projet, de ses difficultés techniques, de ses impératifs. Cela lui permet de mener sa réflexion en fonction des besoins de couverture des risques qui apparaissent au fur et à mesure de l’avancement des projets, et ce d’autant plus que les projets EMR sont entièrement nouveaux. Ces derniers sont particulièrement complexes étant donné leur caractère industriel hors normes auquel s’ajoutent les caractéristiques spécifiques des milieux marin et maritime. « Les projets EMR mélangent le monde de l’énergie et de ses industriels ainsi que le monde de la mer et de ses acteurs avec leurs contraintes différentes et respectives, a indiqué Christophe Parizot. Pour l’assureur, ces projets nécessitent de combiner les capacités des marchés du secteur, assurance et réassurance, et celles des acteurs de l’assurance maritime et industrielle. » L’assureur doit également prêter attention à la possible méconnaissance des acteurs du secteur de l’industrie vis-à-vis des risques liés aux mondes marin et maritime et à leurs spécificités (voir encadré).
Des incertitudes fortes
Après la phase d’investissement, un projet EMR entre dans une période de réalisation avec des travaux en plusieurs étapes. Par exemple, pour un projet éolien offshore, il y a tout d’abord la fabrication des turbines, nécessairement marinisées, puis la réalisation des fondations en mer, ensuite l’installation du câblage sous-marin, enfin la pose des éoliennes elles-mêmes. À chacune de ces étapes correspond une multitude de risques à couvrir. Sachant que « c’est l’étape du câblage qui connaît les plus gros risques avec des taux de prime jusqu’à six à huit fois supérieurs aux trois autres étapes. Et sur les deux ou trois projets éolien offshore déjà réalisés, c’est lors de l’installation des câbles que des sinistres ont été enregistrés », a noté Patrick de la Morinerie. La troisième phase d’un projet EMR est celle de l’exploitation qui peut s’étendre sur une durée de 20 à 30 ans et entraîne pour les assureurs la mise en place de garanties sur une période identique. « Il n’existe aucun historique sur la tenue d’équipements de type éolien offshore en milieu marin hostile, a déclaré Patrick de la Morinerie. Les assureurs doivent bâtir des modèles, mener des études avant de proposer des tarifications spécifiques pour la période d’exploitation. » Cette dernière présente beaucoup d’incertitude pour les assureurs, notamment pour les coûts des réparations. La durée des travaux peut aussi entraîner une longue rupture de l’exploitation. L’assureur doit essayer de prévoir tous les paramètres pour l’établissement des contrats de garantie de la phase d’exploitation. Il doit mettre en place un plan de réduction des risques pour les personnes et les équipements afin de prévenir au maximum la survenance des sinistres. Comme les projets EMR sont situés en mer, il faut aussi prendre en compte les risques de tempête et de guerre. Ces projets n’étant à l’abri ni des aléas de la météorologie ni des attaques de terroristes. Au final, avec les projets EMR, les assureurs se retrouvent devant des risques parfois inédits, en tout cas d’envergure inhabituelle même s’ils peuvent se fonder sur les modèles de contrats établis pour les réalisations de projets liés à l’énergie ou à l’aérospatiale. Avec une valeur comprise entre 2 Md€ et 3 Md€ pour un projet éolien offshore, c’est le montant maximum acceptable pour le marché de l’assurance mondiale, a relevé Patrick de la Morinerie. Au total, ce sont 130 Md€ de projets qui vont devoir être assurés au cours des vingt prochaines années. « Les assureurs vont devoir s’organiser pour faire face à la gestion des risques de ces projets », a alerté Patrick de la Morinerie. L’optimisme reste toutefois de mise: « Les assureurs vont apprendre comme ils l’ont fait pour tous les autres projets innovants industriels ou maritimes », a estimé Christophe Parizot. « Les risques nouveaux parviennent toujours à être assurés, a conclu Patrick de la Morinerie. Les projets EMR peuvent conduire à la création d’une nouvelle branche d’assurance dédiée comme cela a déjà été le cas pour l’aviation ou l’aérospatiale. Cette nouvelle branche d’assurance pourrait être liée à celle de l’assurance transports plus particulièrement maritime. » Le chiffre d’affaires concernant les primes, estimé à 1,3 Md€, devrait motiver les assureurs.
Les industriels ne doivent pas sous-estimer les risques maritimes
Alain Le Guillard, directeur des opérations de Louis Dreyfus armateurs, a souligné la nécessité pour les industriels de se rapprocher des armateurs pour intégrer ces derniers dès le début à tous les projets EMR, plus particulièrement ceux d’éoliennes offshore. « Au défi industriel s’ajoutent les contextes marins et maritimes et leurs risques. Et ces derniers sont souvent mésestimés par les industriels, ce qui entraîne un danger élevé pour les personnels et les équipements », a expliqué Alain Le Guillard. L’implication la plus précoce que possible des armateurs par les industriels dans les projets EMR est la seule solution pour diminuer les risques. Alain Le Guillard a rappelé combien la mer est un environnement difficile et un espace très fréquenté par des acteurs très différents avec des activités très diverses. Les industriels peuvent y trouver leur place. Les armateurs peuvent les y aider car ils côtoient le milieu marin et pratiquent des activités maritimes depuis longtemps. Ils maîtrisent la logistique maritime et disposent de navires adaptés.