« Nous allons tous les chasser, ces politiciens, ces industriels, ces journalistes inutiles et nous organiserons des procès virtuels sur Internet, et ils seront condamnés! À Bruxelles, nous retournerons le parlement comme une vieille chaussette. » À quelques jours des élections européennes, Beppe Grillo, ex-comique et fondateur du Mouvement 5stelle (M5s), multiplie les anathèmes. Il prévoit que Matteo Renzi, président du Conseil du gouvernement d’unité nationale, subira le sort des mafieux qui trahissent, c’est-à-dire « la lupara bianca ». Une expression utilisée en Italie pour désigner un crime commis par la mafia qui fait ensuite disparaître le corps soit en le coulant dans le béton d’un immeuble soit en le jetant en pleine mer. Le comique promet aussi qu’en cas de victoire aux élections européennes, il marchera sur la présidence de la République pour exiger le départ du chef de l’État « et de sa clique qu’il a placé au gouvernement ».
Sondages inquiétants
Au-delà du côté folklorique, les élucubrations haineuses du trublion suscitent de nombreuses inquiétudes. D’autant que les sondages qui circulent sous le manteau – les estimations officielles sur les intentions de vote étant interdites depuis le 5 mai selon la loi – attribuent soit une parité de score entre le Mouvement 5stelle et le parti démocrate, soit une victoire du M5s. « Il s’agit de sondages dits de scénario. On ne se base pas sur les intentions de vote mais sur les éventuels scénarios en interrogeant un certain nombre d’électeurs, et on dresse des statistiques. En général, ces sondages sont utilisés par les banques et les partis », explique Luigi Crespi, ancien spin-docteur de Silvio Berlusconi.
Vote de protestation
Reste que ces chiffres inquiètent au plus haut point la classe politique, les banquiers et les industriels tous secteurs confondus. « Je comprends tout à fait la colère des Italiens et leurs discours sur la nécessité de casser le système de privilèges de la classe politique. Je comprends que leur envie de voter pour Beppe Grillo correspond à un mouvement de protestation. Mais le pays a besoin de stabilité pour pousser les entrepreneurs comme le groupe Grimaldi à investir », explique Paul Kyprianou, responsable des relations extérieures et du marketing de l’armateur Grimaldi. Il ajoute que cette tournée électorale n’a pas une grande valeur politique pour l’Italie puisqu’elle concerne le Parlement européen. « Il faut aussi tenir compte d’un taux d’abstention probablement élevé car pour les Italiens, Bruxelles c’est loin, même si les électeurs en période crise rendent l’Union européenne responsable des maux économiques et financiers de leurs pays en raison de la rigueur bruxelloise », estime Paul Kyprianou.
Alors que faire? « Le pays a besoin d’un leadership fort et d’une ligne politique courageuse pour permettre le développement de certaines activités essentielles pour l’Italie comme le secteur maritime », assène Paul Kyprianou. Il ajoute que l’importance stratégique du secteur portuaire n’a jamais été véritablement perçue par les institutions. « Cela fait des mois qu’on nous parle de la réforme du système portuaire mais rien de plus. Les ports italiens ont chacun leur spécialité, Venise les croisières, Palerme les chantiers et ainsi de suite. L’Italie est baignée par la Méditerranée, l’activité maritime est un point fort de notre économie et il faut la pousser et pousser les acteurs de secteur à investir », assène Paul Kyprianou.
Cet appel du pied sera-t-il entendu? Rien n’est moins sur. L’action du gouvernement d’unité nationale dépendra du résultat des élections européennes. En cas de victoire, les démocrates devront concrétiser les promesses faites par le président du Conseil notamment en ce qui concerne les baisses d’impôts et la relance de l’emploi. En cas de défaite même sur le fil du rasoir, ils devront étudier de nouvelles mesures pour éviter d’être pris au piège par le Mouvement 5stelle qui se prépare déjà à bloquer les travaux parlementaires pour pousser l’exécutif à jeter l’éponge.