JOURNAL DE LA MARINE MARCHANDE (JMM): COMMENT DÉFINISSEZ-VOUS L’ÉVOLUTION DES TRAFICS PORTUAIRES SUR CES CINQ DERNIÈRES ANNÉES?
JEAN-FRÉDÉRIC LAURENT (J.-F.L.): Depuis cinq ans, les vracs solides sont stables et pèsent pour la moitié de nos trafics. Côté liquides, en 2008, les produits pétroliers représentaient 25 % de l’activité portuaire. Ils ne sont plus que de 15 % aujourd’hui. Voilà pour ces deux grands postes traditionnels du port. Pour le reste, les frets conventionnels stagnent. En revanche, les marchandises diverses ont beaucoup progressé. Les conteneurs ont augmenté à eux seuls de 50 % entre 2010 et 2013, passant de 200 000 EVP à 300 000 EVP. Sur cette même période, 2010-2013, La progression du fret transmanche a également été très appréciable. De 11 Mt, il est passé à 12,5 Mt.
JMM: UN GROS EFFORT A ÉTÉ RÉALISÉ EN MATIÈRE DE CONTENEURS. FAUT-IL Y VOIR UNE NOUVELLE ORIENTATION STRATÉGIQUE?
(J.-F.L.): En développant le conteneur, nous n’oublions certainement pas nos métiers de base. Il est hors de question d’abandonner les autres piliers d’activité. Le port réalise des investissements et construit des projets, que ce soit pour les vracs liquides ou les vracs secs. Dunkerque continue à miser sur la diversification de ses trafics. Nous réécrivons notre projet stratégique pour les cinq ans à venir.
JMM: PRÉCISÉMENT, OU EN EST LE PROJET DE CREUSEMENT DES NOUVEAUX BASSINS BALTIQUE-PACIFIQUE?
(J.-F.L.): Ce projet a été renommé Cap 2020, car nous avons une vision à long terme. D’ores et déjà, le dossier d’étude, cofinancé par l’Union européenne à hauteur de 2,3 M€, a été bouclé en 2013. La Commission nationale du débat public doit être saisie cette année. Le projet porte notamment sur la création d’un nouveau quai et d’un bassin sur la base de l’activité conteneurs. Il vise à renforcer le positionnement de Dunkerque sur l’axe conteneurs.
JMM: QU’EN EST-IL DE L’AXE VRACS (LE BASSIN PACIFIQUE) QUI FIGURAIT DANS LE PROJET STRATÉGIQUE DÈS 2008?
(J.-F.L.): Il est toujours d’actualité. Le but est de créer un effet levier sur la partie Est afin d’amener des vracs sur le site d’Arcelor Mittal par bandes transporteuses. L’idée est de créer un bassin maritime ouvert, sans écluses, et d’acheminer les grands vracs par bandes transporteuses sans rechargement. Cela dit, nous poursuivons également notre réflexion sur la biomasse, l’éolien offshore et la possibilité de redéployer nos activités sur des secteurs nouveaux.
JMM: RESTE UN AUTRE GRAND PROJET, MAIS EN PHASE DE FINALISATION: LE TERMINAL MÉTHANIER.
(J.-F.L.): Les travaux seront achevés fin 2015. Le planning est parfaitement respecté. Pour notre part, nous avons livré les parcelles prévues avec trois mois d’avance. Il reste à réaliser les bassins d’eau salée. C’est prévu pour cette année. Mais surtout, nous travaillons sur la station d’avitaillement des navires en GNL. Les études seront terminées cette année. Cette station sera un véritable atout pour le port.
JMM: POUR EN REVENIR AUX VRACS LIQUIDES, COMMENT COMPENSEZ-VOUS L’ARRÊT DE LA RAFFINERIE TOTAL?
(J.-F.L.): Cette fermeture reste le choc le plus ancien. Un trafic annuel de 8 Mt de vracs liquides a été perdu. Le port ne va pas les récupérer du jour au lendemain. À cela s’est ajouté l’arrêt de Diester Industrie, l’an passé, soit la disparition de 300 000 t. Mais nous travaillons à conforter les autres liquides. Aujourd’hui, les vracs liquides représentent 6,5 Mt sur un total de trafic, en 2013, de 43,5 Mt, soit 15 % de l’activité portuaire. Il s’agit essentiellement de produits raffinés comme le gazole ou l’essence, d’huile (avec l’usine Lesieur) et d’alcool (Ryssen).
JMM: COMMENT DUNKERQUE SE POSITIONNE-T-IL PAR RAPPORT AUX PORTS DU NORD?
(J.-F.L.): D’importants investissements ont été réalisés dans les ex-bacs de la raffinerie Total. D’autre part, Rubis Terminal, spécialiste du stockage d’hydrocarbures et liquides agroalimentaires, a investi pour relier ses installations du port Est, au môle 5, au réseau des oléoducs nationaux. Cela permet d’acheminer des produits raffinés vers l’est de la France, mais aussi le Benelux et l’Allemagne. Par rapport à des concurrents comme Anvers, nous sommes donc plutôt bien positionnés en réorientant nos produits pétroliers et en élargissant notre hinterland.
JMM: QUELLE EST VOTRE STRATÉGIE POUR RELANCER LES VRACS SECS?
(J.-F.L.): La fermeture de Florange en 2010 représente une perte de 2,5 Mt, celle de la centrale de charbon E.ON de Kingsnorth, en Grande-Bretagne, porte sur une perte de 3 Mt à 4 Mt par an. Le marché des charbons en France ne va pas redécoller de sitôt. Il n’y a pas de gros projet thermique en France. Au contraire. D’ici 2015, EDF va fermer plusieurs tranches comme celles de Bouchain ou Blénod. Face à ces retraits, nous nous efforçons de trouver des trafics de transbordement. C’est notamment ce que nous avons fait avec l’approvisionnement de l’usine allemande de Brême. Nous l’approvisionnons avec des charbons qui arrivent au port Ouest et qui sont transbordés sur des navires allégés pour Brême. L’alternative porte donc sur la desserte du marché allemand. On estime que le port de Dunkerque constitue une solution pertinente pour l’Allemagne du Sud et de l’Ouest.
Par ailleurs, nous sommes persuadés que les activités de transbordement sont appelées à se développer pour les minerais. Nous cherchons notamment à nous positionner sur l’Amérique du Nord. Les transbordements représentent un potentiel de plusieurs millions de tonnes.