L’Oprag doit accélérer les réformes pour devenir un tigre sous-régional

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Ce début du mois d’avril a mis Libreville en pleine effervescence. La capitale du Gabon a fêté les 40 ans de l’Office des ports et rades du Gabon, l’Oprag. Plus qu’une fête, l’organisme en charge de la gestion des ports a voulu organiser une conférence internationale de réflexion sur le thème « modernité portuaire et croissance africaine: quelles contributions de lutte contre la pauvreté? » Pendant deux jours, des experts internationaux sont venus présenter des orientations stratégiques pour améliorer le passage portuaire et ainsi alléger le coût du panier de la ménagère. « Les ports, les aéroports et les routes apparaissent de facto comme le squelette indispensable pour garantir l’échange des biens et la mobilité des personnes », a souligné Paulette Mengué M’Owono, ministre des Transports de la République du Gabon. Pour la responsable politique des transports au Gabon, le « déficit en infrastructures est devenu chronique. Il impacte la compétitivité de nos produits nationaux et handicape le pouvoir d’achat des Gabonais ».

Yann Alix, délégué général de la fondation Sefacil, a mis en évidence des chiffres pour expliquer la position de l’Afrique dans le monde des transports. « Un indicateur mis en place par le fonds monétaire international estime le trafic aux alentours de 150 EVP pour 1 000 habitants. En Afrique subsaharienne, le trafic est entre 12 EVP et 29 EVP pour 1 000 habitants. » Le rattrapage est nécessaire, mais « l’Afrique a déjà entamé ses réformes », constate Yann Alix. Et pour lutter contre la pauvreté, l’amélioration des infrastructures des transports est une voie à prendre, a continué le délégué général.

Arrivé à l’âge de la maturité, l’Oprag a donc décidé de mener la réflexion sur son avenir. Le directeur général de cet organisme, Rigobert Ikambouayat-Ndeka, a commencé par dresser un bilan des quarante premières années. Pour le directeur général de l’Oprag, le constat établi dès 2009 se caractérise par une insuffisance de l’offre portuaire. Un manque qui se décline sur les conditions nautiques et notamment sur les limitations des profondeurs du chenal d’accès et la faiblesse des tirants d’eau. De plus, les linéaires de quai tant à Owendo (455 ml) qu’à Port Gentil (400 ml) font défaut, et ce malgré la présence de postes privés. Enfin, les ressources pour le développement portuaire sont absentes. En outre, aux manques en infrastructures viennent s’ajouter des inadaptations juridiques, la multiplication des procédures administratives et l’obsolescence des outils de manutention. Face à ce constat, il était devenu urgent de repenser l’avenir des ports gabonais. Après le vote de la réforme de l’Oprag, le gouvernement a décidé d’investir dans des infrastructures et des moyens pour passer à la vitesse supérieure. « Nous étions dans une vision sectorielle. Nous sommes passés à une vision globale du secteur portuaire gabonais », a rappelé Rigobert Ikambouayat-Ndeka. Un changement de cap qui permettra, selon le directeur général de l’Oprag, de « briser le cercle vicieux entre congestion portuaire, files d’attente, coûts de fret élevés, coûts de passage élevés et cherté de la vie ».

Pour entrer dans cette spirale vertueuse, l’Oprag a déjà investi dans des nouveaux moyens: deux grues mobiles Gottwald, le démarrage de travaux pour un nouveau linéaire de quai, l’ajout d’un scanner, la construction d’une nouvelle capitainerie et la mise en service d’un VTS (Vessel Traffic System). Tous ces nouveaux outils participent déjà à améliorer la compétitivité du port d’Owendo, a confirmé Rigobert Ikambouayat-Ndeka. Ainsi, le temps d’escale d’un navire a baissé de 45 % à 4,2 jours en moyenne. Au total, les gains de productivité générés par ces mesures permettent déjà de réaliser des économies évaluées à environ 35 M€ par an. De surcroît, les armateurs alignent de plus en plus des navires non gréés et des hubs de transbordement, ce qui permet un service plus rapide et moins cher. Ces premières mesures engagent l’Oprag dans une démarche de réduction du coût de la vie au Gabon.

Le transbordement prend le pas sur les services directs

Le directeur général de Delmas Gabon, filiale du groupe CMA CGM, Thierry Millot, a abondé dans le sens du directeur général de l’Oprag. « En 2020, nous aurons le double du trafic à opérer sur le continent. Il faut construire aujourd’hui les conditions de demain. » Déjà CMA CGM, sur l’ensemble du continent africain, aligne des chiffres à la hauteur du gigantisme de l’armement. Avec 1,2 MEVP transportés en 2013 en Afrique, il se situe dans les premiers armements présents sur le continent. Au Gabon, CMA CGM se place en tête des armements, avec une courte avance sur Mærsk Line. L’armateur dessert le port d’Owendo par transbordement depuis Tanger pour les flux en provenance d’Europe et des États-Unis, et de Port Klang pour les conteneurs en provenance d’Asie. Plus tôt dans l’année, Mathieu Friedberg, vice-président de CMA CGM en charge de l’Afrique, a souligné l’ambition africaine de l’armateur français. « L’Afrique est clairement pour nous un vrai relais de croissance pour la suite. » Et plus précisément sur le Gabon, Thierry Millot a constaté une amélioration des conditions de transport. « Les choses s’améliorent et nous trouvons avec nos services par le hub de Tanger une solution logistique qui convient parfaitement. Il est désormais nécessaire d’appuyer l’évolution des infrastructures. » Avec la baisse du nombre de jours d’attente, le taux de fret accompagne cette diminution. « Nous avons fait des efforts pour baisser les taux de fret face aux améliorations. Nous regardons aussi à l’ouverture d’un hub en Afrique de l’Ouest, d’où notre investissement dans le port nigérian de Lekki. » En outre, pour le groupe français, rendre la logistique plus fluide nécessite d’être aussi présent sur le transport terrestre. « Nous sommes des acteurs sur de nombreux corridors en Afrique de l’Ouest et du centre. Nous disposons déjà de dépôts intérieurs dont deux à Dakar et un au Cameroun qui ouvrira dans les prochaines semaines. Nous regardons ce qui se déroule actuellement dans la région et restons ouverts à toutes les opportunités », a continué le directeur général de CMA CGM Gabon. Quant à mettre en place des services directs sur Libreville ou sur Port Gentil, la CMA CGM ne l’envisage pas à court terme. « Un port de rivière reste compliqué. Sans amélioration du tirant d’eau, de quais nouveaux et une augmentation significative des volumes, les ports gabonais resteront feederisés depuis nos hubs régionaux. » Une position que les concurrents du groupe français partagent. Pour le responsable de MSC au Gabon, l’arrivée de grues mobiles est un atout pour le port, mais c’est en fonction du volume que se décident les services directs pour aligner des navires adaptés. Une opinion partagée par le responsable local de Mærsk qui confirme que le transbordement demeurera tant que les volumes n’auront pas enregistré une croissance significative.

La question de la tarification portuaire

Pour se projeter dans l’avenir, les conférenciers ont abordé la question de la tarification portuaire comme élément de marketing et de stratégie portuaire.

Dans sa réflexion vers une plus grande compétitivité du système portuaire gabonais, l’Oprag réfléchit au système de la tarification portuaire. Alexandre Antonakas, directeur de la coopération internationale du Grand port maritime de Marseille-Fos, est venu exposer les différents éléments à prendre en compte pour un juste équilibre entre tarification et marketing. « La réalité portuaire change tous les jours. Il faut établir une tarification qui prenne en compte cette réalité », a souligné Alexandre Antonakas. Le processus d’élaboration de la tarification doit tenir compte de la cohérence institutionnelle, de l’acceptabilité commerciale et du positionnement concurrentiel du port. La stratégie tarifaire ne doit faire que répondre à la stratégie portuaire. Cette dernière doit s’inscrire dans une déclinaison de la stratégie de l’État. Ensuite, l’identification objective des moyens doit prendre en compte les différents leviers à actionner. « Il existe suffisamment de leviers dans la tarification pour savoir lesquels actionner. » Enfin, le soutien effectif d’un projet stratégique offre une pertinence et une objectivité pour mettre en place un tarif transparent et clair pour l’ensemble des acteurs locaux.

Dernier élément qui participe au développement des ports subsahariens, les partenariats publics-privés (PPP). « Le recours au PPP comme levier d’un processus de développement économique rapide s’inscrit dans une politique de réformes des services publics d’infrastructure », a commencé par rappeler Laurent Thorance, CEO de Axelcium, cabinet de consulting spécialisé dans les partenariats publics-privés. Et il continue par souligner que les PPP ne sont en aucun cas une privatisation mais plutôt un moyen de financement avec l’aide du privé de ce que le secteur public ne peut assumer. Ces PPP doivent se faire avec une préparation minutieuse. « Les trois P sont aussi l’acronyme de: préparation, préparation, préparation. » Dans la phase amont de ces PPP, le temps joue en faveur des intervenants afin de mettre en place une procédure précise et d’attirer les acteurs du marché en maximisant les éléments de concurrence. Quant à la phase avale du projet, elle doit prévoir les modalités de régulation de ce contrat et notamment par un contrôle tarifaire pour un équilibre entre la rémunération juste du partenaire privé et les exigences demandées dans le PPP.

Document de référence pour les PPP

Au Gabon, une ordonnance de 2011 pose les principes d’une réforme du système portuaire. Elle prévoit un document de référence pour les PPP. Déjà depuis le début des années 2000, le gouvernement gabonais a mis en place de nouvelles structures en attribuant une concession de réalisation et d’exploitation du terminal à conteneurs sur le port d’Owendo en le concédant à STCG, appartenant aux groupes Bolloré et Necotrans, d’une part. D’autre part, la concession exclusive pour les investissements et diverses activités de service et de police portuaire à Gabon Port Management, filiale du groupe Portek. Pour Laurent Thorance, cette ordonnance est « la première étape d’un processus visant à atteindre les objectifs visés par l’État. » La seconde étape sera de donner à l’Oprag un cadre pour qu’il joue pleinement ses rôles de planification des investissements et d’autorité de régulation. Rigobert Ikambouayat-Ndeka analyse la mise en place de cette ordonnance comme l’ouverture vers de nouvelles perspectives. « Ce texte nous permet d’avancer avec de nouvelles perspectives. Il faut désormais que l’autorité nationale adopte des textes pour nous donner les outils de notre mission. » Quant à la phase amont et avale de ces PPP, la question du déséquilibre entre les partenaires privés et publics lors de la phase de négociation est revenue sur la table. « Il s’agit d’un contrat international qui n’a pas de solutions modèles. Chaque contrat obéit à des impératifs locaux et il faut que chaque camp se fasse accompagner par des avocats et des consultants internationaux pour que la négociation ne soit pas déséquilibrée », a indiqué un avocat international. Quant aux règles de suivi, elles sont inscrites dans le contrat. Au Gabon, parfois les autorités portuaires n’ont pas été au bout de leur rôle, reconnaît la direction de l’Oprag qui dit vouloir examiner les points qui ne fonctionnent pas avec l’ensemble des acteurs. Malgré tout, « c’est grâce à ces conventions avec Gabon Port Management que nous avons pu acquérir des grues mobiles. Le bilan est loin d’être négatif », explique le directeur général de l’Oprag.

L’inauguration de la capitainerie

La nouvelle capitainerie du port d’Owendo a été inaugurée lors de la cérémonie d’anniversaire de l’Oprag. Construit en recul du port, ce bâtiment de cinq étages met à disposition toutes les infrastructures pour une meilleure coordination de la sécurité du plan d’eau du port. Outre le bâtiment, la société Mobilis a installé un VTS (Vessel Traffic System). « Ce système va permettre de prendre en charge le navire dès son entrée sur le plan d’eau du port et d’anticiper les risques d’accident », précise François Juniet, p.-d.g. de Mobilis.

Les six recommandations pour l’Oprag

À l’issue de la conférence internationale lors des 40 ans de l’Oprag, six recommandations ont été prises par les acteurs. Elles ont été présentées par Yann Alix, délégué général de la fondation Sefacil. Elles se découpent en trois parties. La première partie vise au renforcement du rôle de l’autorité portuaire de l’Oprag. La première recommandation demande à assigner des moyens supplémentaires afin de renforcer le rôle d’autorité portuaire de l’Oprag avec un statut juridique renforcé et des moyens pour mettre en action l’ordonnance de 2011. La seconde recommandation propose d’affiner la stratégie tarifaire de l’Oprag afin d’optimiser les rendements économiques et financiers de l’organisme public tout en réduisant les coûts finaux de passage portuaire.

La seconde partie de ces recommandations porte sur la modernisation des infrastructures. Elles demandent, dans la recommandation 3, l’accélération du rythme des investissements publics et privés pour moderniser les infrastructures portuaires d’Owendo et de Port Gentil. La quatrième recommandation vise à l’accroissement des performances logistiques des pré et post-acheminements aux abords des terminaux portuaires.

Le troisième volet de ces recommandations doit fluidifier, simplifier et dématérialiser la gestion des flux documentaires en utilisant les forces vives du pays. Un volet qui se décompose en deux recommandations. La première propose de mettre en place un système d’information portuaire pour soutenir une gestion efficace de l’information entre les différents départements de l’administration portuaire de l’Oprag. La dernière concerne l’élément humain. Elle propose de renforcer la formation professionnelle par un programme qui doit se décliner pour toutes les strates d’opération et de décision de l’Oprag.

Dans son discours de clôture, la ministre de la Prévoyance sociale et la Solidarité nationale, Brigitte Mba Anguillet, représentant le président de la République Ali Bongo, a pris note des recommandations. Elle a confirmé le souhait du gouvernement et de la présidence d’accélérer les réformes du système portuaire. « Nous avons déjà entrepris des réformes pour l’amélioration du secteur portuaire, mais nous ne nous satisferons pas de ce minimum. Nous devons continuer avec le schéma directeur des infrastructures nationales comme fil directeur », a souligné la ministre. Et pour continuer dans ce sens, elle a confirmé que dans les prochaines semaines, un guichet unique portuaire sera mis en place sous l’égide du Premier ministre et de la ministre des Transports.

Les trafics des ports gabonais

Dans les deux ports gabonais, le trafic marchandise à fin septembre 2013 s’élève à 4,46 Mt. Il est en progression de 16 %. Une hausse malgré les mauvais résultats de septembre. Dans le port d’Owendo, le trafic a progressé sur les neufs premiers mois de 17,5 % à 4,23 Mt. À Port Gentil, la situation est inversée avec une diminution de 5,7 % à 226 528 t.

Le trafic conteneurisé des ports s’est élevé en 2013 à 130 729 EVP, en hausse de 15,3 %. Les deux principaux opérateurs sont Mærsk avec 39 % de parts de marché, suivi par CMA CGM avec 32,4 % et MSC avec 16,9 %. Les trois armateurs du futur P3 représentent 88,5 % de parts de marché. Le solde, 11,5 %, se répartit entre Nile Dutch, PIL et les autres opérateurs.

L’Oprag en quelques dates

Avant même la création de l’Oprag, le Gabon a disposé de ports. En 1870, l’administration coloniale a construit deux jetées qui seront abandonnées sous l’effet de la houle. En 1930, l’administration coloniale aménage des wharfs pour la réception du trafic maritime. Jusqu’en 1960, date d’accession à la souveraineté nationale du Gabon, différents moles seront construits mais sans qu’il s’agisse de véritable établissement portuaire. La construction du port d’Owendo commence en 1969. En 1970, l’entrée en vigueur d’un nouveau régime du port de Libreville ouvre le système portuaire sur de nouveaux horizons. Jusqu’en 1974, les ports sont gérés par les chambres de commerce sous le contrôle du ministère des travaux publics.

Le 1er avril 1974, l’Office des ports et rades du Gabon est créé. Le président de la république du Gabon, El Hadj Omar Bongo, décide de créer cet organisme dans un souci de modernité et de développement des infrastructures portuaires. Il assure la gestion de l’ensemble des ports maritimes et rades de la république gabonaise ainsi que la mise en œuvre des programmes de développement des infrastructures et des équipements.

En 1998, le gouvernement entreprend des réformes politiques et un désengagement de l’État de certaines activités, dont les ports. Le 20 septembre 2003, le gouvernement concède à la Sigeprag (Société d’investissement et de gestion des ports et rades du Gabon) une partie de Port Gentil et d’Owendo. Ce document prévoyait l’exploitation, la maintenance, la remise à niveau et l’investissement dans les infrastructures du port. Le bilan après quatre ans de cette convention s’avère négatif. « Le non-respect du cahier des charges contraint le gouvernement gabonais à rompre le contrat de concession », explique un document émanant du gouvernement. Le 5 août 2007, le gouvernement signe alors une convention avec Gabon Port Management, filiale du groupe Portek, d’origine japonaise mais basé à Singapour. Il restreint les pouvoirs aux missions régaliennes de police portuaire, de sûreté, de sécurité des installations portuaires, de gestion du domaine et d’exploitation des ports non concédés.

Un bureau d’embauche pour les dockers

La création d’un bureau d’embauche pour les dockers ne semble pas faire l’unanimité sur les quais d’Owendo. Idée émise à l’origine par des syndicats d’acconiers et de dockers, ce bureau veut mettre fin à la précarité de la main-d’œuvre temporaire. Il devrait permettre de garantir l’équité de l’embauche et l’encadrement du processus tout en préservant la sécurité de l’emploi. Ce bureau devrait voir le jour en 2014. Avec ce bureau, les manutentionnaires conserveront leur main-d’œuvre mais disposeront d’un dispositif pour pallier les pointes de trafic. « Il s’agit d’un système qui permet une garantie de voir employer les dockers sous un tarif réglementé pour éviter tout dumping social », explique le responsable d’une société de manutention. Pour d’autres, ce bureau pourrait être un frein au développement du port. « En embauchant des employés depuis ce bureau pour les entreprises dont les activités sont erratiques, le risque d’être à la merci des syndicats, comme ce fut le cas en France pendant des années, est grand. » Pour ou contre, chacun devra faire avec puisque le bureau d’embauche est prévu d’entrer en fonction dans les prochains mois.

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