JOURNAL DE LA MARINE MARCHANDE (JMM): QUE REPRÉSENTE L’ENTRÉE EN VIGUEUR EN FRANCE DE LA CONVENTION DU TRAVAIL MARITIME DE L’ORGANISATION INTERNATIONALE DU TRAVAIL (OIT) LE 28 FÉVRIER?
CLEOPATRA DOUMBIA-HENRY (C.D.-H.): La ratification de la convention du travail maritime de l’OIT par la France est très importante, et aussi symbolique. Il faut rappeler que Jean-Marc Schindler, l’un des représentants du gouvernement de la France à l’OIT, a été le président de la session extraordinaire de la conférence internationale du travail qui a adopté ce texte le 23 février 2006. Il a aussi dirigé plusieurs des réunions tripartites organisées entre les représentants des gouvernements, des employeurs et des travailleurs du secteur du transport maritime depuis 2001, dont une à Nantes, qui ont conduit à l’adoption de la convention en février 2006. La France possède un intérêt de longue date pour le secteur maritime et a joué un rôle de leader essentiel dans l’adoption du texte.
JMM: LA CONVENTION DU TRAVAIL MARITIME A ÉTÉ SIGNÉE PAR 56 PAYS. QUELLES SONT LES ZONES DU MONDE OU ELLE N’EST PAS ENCORE SUFFISAMMENT RATIFIÉE?
C.D.-H.: Il faut célébrer la rapidité et l’étendue des ratifications de la convention du travail maritime qui ont conduit à une couverture d’au moins 80 % de la flotte mondiale, en fonction du tonnage brut, avec tous les marins travaillant sur ces navires. Adoptée le 23 février 2006, le texte est entré en vigueur le 20 août 2013 pour les 30 pays l’ayant ratifié. En février 2014, 56 États membres de l’OIT ont ratifié la convention. Il demeure des lacunes dans certaines parties du monde. Il est important d’obtenir davantage de ratifications en Asie, une région en forte croissance économique et une source importante de la main-d’œuvre maritime mondiale. Il y a aussi trop peu de ratifications dans les pays situés au Moyen-Orient, dans l’océan Indien et en Amérique latine. Du côté de l’Union européenne, les États qui n’ont pas encore ratifié devraient le faire rapidement, dans la suite des instruments juridiques adoptés au niveau de Bruxelles grâce au travail des partenaires sociaux.
JMM: QUELLES ONT ÉTÉ LES RAISONS QUI ONT CONDUIT À L’ÉLABORATION DE CE TEXTE?
C.D.-H.: La convention du travail maritime est le résultat d’une initiative commune aux représentants des armateurs et des gens de mer initiée en 2001. Il a fallu ensuite plus de six ans de consultations internationales intensives entre les trois parties concernées, à savoir les représentants des gouvernements, des armateurs et des gens de mer avec l’implication de plus de 100 membres de l’OIT pour aboutir au texte de la convention. Celle-ci est spécifiquement conçue pour aider à atteindre les objectifs jumeaux de garantir des conditions de concurrence équitables pour les armateurs et de fournir des mesures concrètes assurant un travail décent pour plus de 1,2 million de marins dans le monde.
L’ambition des représentants des armateurs et des gens de mer, quand ils ont proposé en 2001 un projet de texte, était de trouver des solutions concrètes à certains des problèmes les plus graves concernant les conditions de travail des gens de mer. La plupart des solutions envisagées avaient pour objectif de s’assurer de la mise en place d’un nouvel instrument international réellement opérationnel, qui ne serait pas « un tigre de papier », et donc différent de ceux du passé. Les solutions proposées sont destinées à s’assurer que les normes sont correctement mises en œuvre, non seulement dans les lois nationales mais aussi à bord du navire. Et au cas où les normes ne sont pas respectées, il y a des conséquences au niveau national mais aussi à bord du navire. Les représentants des armateurs et des gens de mer ont aussi voulu s’assurer que la convention serait largement ratifiée avant d’entrer en vigueur afin d’éviter une concurrence déloyale entre les armateurs respectant les normes et ceux dont les navires seraient « sous-normes ».
JMM: QUELLES SONT LES FORCES ET FAIBLESSES DU TEXTE?
C.D.-H.: La convention a été conçue pour mettre à niveau les pratiques de l’industrie du transport maritime dans le domaine des droits sociaux fondamentaux et répondre de manière rapide à l’évolution des besoins. Sa grande force est d’être très accessible et de présenter en un seul texte, sorte de guichet unique, toutes les questions en matière de normes internationales minimales pour les conditions de travail et de vie des marins. Les dispositions très renforcées relatives à l’inspection portant sur le contrôle par les États de la mise en œuvre des mesures prévues par la convention à bord des navires sont très importantes pour les marins. Ces aspects constituent aussi sans doute la grande faiblesse de la convention. En effet, le caractère global du système d’inspection constitue un défi à relever pour les armateurs et les gouvernements qui cherchent à mettre en œuvre correctement les exigences du texte.
JMM: QUELS SONT POINTS À AMÉLIORER?
C.D.-H.: Il existe des réponses qui n’ont pas été complètement élaborées lors de l’adoption de la convention en 2006. L’une d’entre elles concerne le problème de l’abandon de marin. Une autre porte sur les détails de l’indemnisation des gens de mer en cas de décès ou d’incapacité de longue durée résultant d’un accident du travail, d’une maladie professionnelle ou d’un risque professionnel. Ces deux points sont l’objet de discussions internationales qui pourraient conduire à amender le texte de la convention du travail maritime lors de la réunion de la Commission tripartite à Genève en avril 2014. Une autre question à régler dans les années à venir pourrait être celle des pensions et autres droits de sécurité sociale des gens de mer qui n’ont pas de couverture dans leur pays de résidence.
JMM: QUELLES SONT LES CONSÉQUENCES ET LES POSSIBLES ÉVOLUTIONS POUR LE SECTEUR MARITIME DE L’APPLICATION DE CETTE CONVENTION?
C.D.-H.: Il ne faut surtout pas oublier que la convention du travail maritime a été proposée par les organisations internationales représentatives des armateurs et des marins.
Les armateurs ont voulu cette convention afin d’être protégés contre la concurrence déloyale de la part des navires qui ne respectent pas les normes minimales pour un travail décent des marins. Bien sûr, il y a eu et il y a toujours des problèmes spécifiques à certains pays ou armateurs qui expriment des préoccupations au sujet des conséquences du changement introduit par la convention au niveau de l’État et à bord des navires. Ce genre de réaction est tout à fait habituel pour ce type de texte international. Toutefois, la convention prévoit suffisamment de souplesse et permet aux administrations nationales de s’adapter aux difficultés particulières de leurs armateurs. En fait, nous avons surtout constaté un niveau d’intérêt et une réponse active du secteur privé vraiment très inhabituel et impressionnant pour la mise en œuvre de cette convention. L’industrie du transport maritime a été un important promoteur du texte en organisant des séminaires ou des sessions de formation dédiés, en mettant au point des produits d’assurances ou d’autres outils spécifiques pour aider à la mise en place et au développement des prescriptions de la convention à bord des navires. Cette implication de la part d’un secteur privé est réellement très exceptionnelle pour une convention internationale. Cela reflète l’acceptation générale que les gens de mer sont essentiels pour le transport maritime international et ont droit à des conditions de travail et de vie décentes partout dans le monde.