JOURNAL DE LA MARINE MARCHANDE (JMM): QUELLE EST LA PORTÉE DE LA CONVENTION DU TRAVAIL MARITIME?
ÉRIC BANEL (É.B.): C’est un texte fondamental pour une activité mondialisée comme la nôtre. Face à une concurrence exacerbée et souvent inégale, nos entreprises ont choisi de miser sur la qualité sociale et environnementale. C’est une guerre que nous menons pour les parts de marché au niveau mondial et pour la survie de nos entreprises. Pour espérer la gagner, nous devions la porter au niveau international. C’est pourquoi Armateurs de France s’est très tôt engagé dans le combat pour des normes sociales élevées et de qualité pour tous les marins, partout dans le monde. La signature de la nouvelle convention en 2006 a été une victoire et une reconnaissance du travail mené par notre organisation. La convention, qui a une portée universelle, garantit les bases d’une concurrence plus loyale et plus équilibrée pour nos entreprises et nos emplois. Pour cela, elle fixe des règles sociales identiques pour tous les marins à bord des navires, quel que soit leur pavillon. L’objectif est bien de rétablir un équilibre entre les pays les moins-disants et les mieux-disants sur le plan social.
Les conventions internationales existantes, comme Marpol ou Solas, ne traitent pas directement des aspects sociaux. La convention du travail maritime est, elle, entièrement consacrée aux droits sociaux fondamentaux qu’elle garantit. L’autre avancée est la mise en place d’un dispositif de contrôle adapté et efficace qui s’applique dans tous les ports du monde. C’est ce que nous appelons le contrôle par l’État du port. C’est la grande force de cette convention et c’est ce qui la rend universelle. Si, lors d’un contrôle dans un pays ayant signé la convention, un navire ne respecte pas les normes prescrites, il est immobilisé. Peu importe alors que l’État dont il relève soit complaisant, peu importe qu’il ait lui-même ratifié ou non la convention. Elle s’appliquera à lui dans tous les cas. Nous nous interrogeons cependant sur les conditions de la mise en œuvre de ce contrôle en France. En effet, le gouvernement a choisi de le confier à la fois à l’inspection du travail (Direccte) et aux centres de sécurité des navires (Affaires maritimes), sans qu’il y ait une véritable coordination entre les deux. Nous aurions préféré un dispositif unifié, qui s’appuie sur des spécialistes du monde maritime.
JMM: POUVEZ-VOUS DONNER QUELQUES EXEMPLES DES POINTS IMPORTANTS DU TEXTE?
É.B.: La convention est un texte novateur au niveau international. L’innovation la plus importante concerne la création d’un droit universel à la protection sociale pour tous les marins. Elle impose en effet un dispositif de couverture sociale complet, notamment pour la maladie, les accidents du travail, la retraite. Ce n’est pas nécessairement l’Enim, le régime spécial des marins français, mais il doit être équivalent. Un deuxième point novateur est l’obligation de rapatriement à la charge de l’armateur. Cette mesure existe pour les armateurs français depuis des années, mais était absente du droit international. L’objectif est d’obliger les armateurs relevant de pavillons complaisants à assurer un suivi du marin à bord, mais aussi à terre en cas de maladie ou d’accident. Il faut aussi citer les obligations de la convention sur le formalisme des contrats de travail. C’est une protection pour les salariés et il facilite aussi le contrôle par l’État du port. Tous les documents doivent être présents à bord et traduits en langue anglaise. Ils doivent couvrir la rémunération, le temps de travail et les congés payés du marin.
JMM: Y-A-T-IL DES CONSÉQUENCES PARTICULIÈRES POUR LES ARMATEURS AVEC L’ENTRÉE EN VIGUEUR DU TEXTE EN FÉVRIER EN FRANCE?
La France étant très en avance en matière de protection sociale, ce texte n’a pas d’impact direct sur nos entreprises. Les conventions collectives d’Armateurs de France vont elles-mêmes bien au-delà des exigences du droit international. La seule conséquence de l’introduction de ce texte en France a été de nous obliger à travailler sur la définition des « gens de mer ». En droit français, nous distinguons depuis Colbert les marins et les non-marins. La convention va bien au-delà en créant des droits et des obligations spécifiques pour toute personne travaillant à bord d’un navire, qu’elle soit ou non marin. En définir les contours n’est pas un exercice facile car il y a une multitude de cas particuliers. Par exemple, un océanographe n’est pas un marin, entre-t-il dans cette nouvelle catégorie? De même, les personnels de spectacle ou les futurs gardes armés embarqués sont-ils des gens de mer auxquels s’applique la convention? Pour ces personnes, les conséquences ne sont pas légères car elles sont alors soumises à des obligations de formation et autres mesures prévues par la convention. Le droit du travail maritime leur est appliqué, et non plus le droit commun du travail, ce qui n’est pas toujours à leur avantage! L’administration française est en train de préparer un décret précisant cette notion des gens de mer sur lequel je pense qu’il y a aujourd’hui un assez large consensus des partenaires sociaux.