L’année 2013 laisse « un goût d’inachevé » à Raymond Vidil, président d’Armateurs de France depuis deux ans, tout juste renouvelé dans ses fonctions pour un dernier mandat d’un an lors de l’assemblée générale de l’organisation professionnelle des entreprises françaises de transport et de services maritimes, le 1er avril. En 2013 comme les années précédentes, Armateurs de France a travaillé pour faire avancer auprès du gouvernement et des administrations les dossiers majeurs pour améliorer la compétitivité du secteur. Ces dossiers majeurs sont: autorisation des gardes privés armés à bord des navires battant pavillon français, maintien de la taxation forfaitaire au tonnage, appel à la mobilisation de la Banque publique d’investissement, principe d’une réforme de la loi du 31 décembre 1992 sur le régime pétrolier, maintien d’une fiscalité incitative lors des cessions d’actifs pour favoriser le renouvellement de la flotte, simplification administrative. Ces propositions portées par Armateurs de France ont largement été reprises dans le rapport du député Leroy remis au ministre des Transports mi-novembre. Elles ont été présentées comme prioritaires lors du Cimer par le Premier ministre Jean-Marc Ayrault, le 2 décembre 2013. Puis, « l’immense espoir suscité alors a été déçu car les dossiers majeurs ont très peu avancé depuis décembre », a déclaré Raymond Vidil. Un goût d’inachevé, donc, car malgré le travail fourni par Armateurs de France et les annonces officielles, « les actes ne sont pas au rendez-vous. L’arbitrage politique du Premier ministre ne s’est pas traduit par une visibilité sur l’action gouvernementale ».
Des armateurs français pénalisés
Par exemple, le projet de loi autorisant des gardes privés armés à bord des navires battant pavillon français devait être examiné en février. C’est maintenant prévu pour juin, voire septembre, avec des décrets d’application avant la fin de l’année, au mieux. La réforme de la loi du 31 janvier 1992 sur l’obligation de pavillon pour le régime pétrolier est « au point mort » avec une dernière réunion fin janvier, et depuis, plus rien. Seule avancée notable fin mars: la mise en place d’un régime d’aides pour accompagner les armateurs voulant convertir des navires à la propulsion au gaz naturel liquéfié (GNL) dans le cadre de l’annexe VI de Marpol et l’obligation de 0,1 % d’émissions de soufre en Manche, mer du Nord et Baltique à partir du 1er janvier 2015. Ultime écueil: les élections municipales du 30 mars ont entraîné la démission du Premier ministre et de son gouvernement, reportant d’autant toute annonce sur ce sujet ou toute avancée rapide sur les autres. La lenteur d’avancement des dossiers majeurs pour la compétitivité du secteur pénalise les armateurs français. Ces derniers exercent leurs activités dans un environnement globalisé et extrêmement concurrentiel, exacerbé depuis la crise financière et économique de 2008 à laquelle se superpose la surcapacité des navires. Dans ce contexte, Raymond Vidil a rappelé que « les armateurs français ont besoin d’une visibilité à long terme sur les évolutions réglementaires et fiscales ainsi que de l’appui des pouvoirs publics pour les sujets qui sont de son ressort, plutôt que de naviguer à vue ».
EMR: la filière française désavantagée par la lenteur administrative
Alors qu’une réunion du Conseil supérieur de la marine marchande consacrée aux énergies marines renouvelables (EMR) se tiendra le 8 avril, Armateurs de France insiste sur l’urgence de favoriser la création d’une filière française. Néanmoins, Armateurs de France déplore la lenteur des prises de décision qui risque de nuire aux entreprises françaises face à leurs grands concurrents internationaux qui bénéficient de l’avance prise par leurs pays d’origine (Danemark, Allemagne, Royaume-Uni). Un premier appel d’offres a été lancé en 2011 pour l’éolien offshore posé. Fin 2013, les candidats sélectionnés ont dû fournir à l’administration les accords industriels avec les entreprises maritimes, notamment pour la réalisation des travaux et la maintenance. Mais les accords industriels qui doivent permettre d’engager les investissements nécessaires pour le développement des champs éoliens offshore ne sont pas encore proposés. En conséquence, « les armateurs français restent sans aucune visibilité quant au calendrier de réalisation, alors que la construction de nouveaux navires aurait déjà dû être décidée », souligne Raymond Vidil. Une visibilité incontournable pour les entreprises françaises afin de concourir à armes égales avec leurs grands concurrents internationaux. Armateurs de France demande au gouvernement et aux industriels de s’appuyer sur l’expertise et le savoir-faire français, en matière d’architecture et de construction navale, d’armement, d’équipage et de maintenance.
Annexe VI de Marpol: un régime d’aides national pour la conversion de navires au GNL
Le 31 mars, un « appel à projets pour une aide aux investissements pour des ferries propres » a été publié sur le site de l’Ademe. Doté de 80 M€, cet appel à projets a pour objectif de financer les investissements dans des navires dont l’impact environnemental anticipe ou va au-delà des normes communautaires en matière de protection de l’environnement. « Les navires doivent dépasser la réglementation communautaire et la convention Marpol Annexe VI qui fixe des limites en termes d’émissions atmosphériques des oxydes de soufre (SOx) et des oxydes d’azote (NOx) », précise le document. Avec cet appel à projets, le gouvernement met en place un régime d’aides à destination des armateurs afin de les accompagner dans l’équipement de leur flotte au GNL dans le cadre de l’obligation d’une teneur en soufre de 0,1 % pour les combustibles utilisés par les navires naviguant dans la zone de contrôle des émissions de soufre de Manche, mer du Nord et Baltique à partir du 1er janvier 2015. « Une bonne nouvelle, toutefois très tardive », a commenté Armateurs de France.
Réforme de la loi du 31 décembre 1992: dans l’attente d’un arbitrage
La réforme de la loi du 31 décembre 1992 sur le régime pétrolier a fait l’objet de plusieurs réunions en janvier 2014 sous l’égide des ministères des Transports et de l’Énergie avec les représentants des armateurs et des sociétés pétrolières. Depuis, aucune réunion n’a eu lieu. La réforme pourrait soit étendre l’obligation de pavillon aux produits pétroliers raffinés en plus du brut, soit ne la faire porter que sur les produits raffinés. La question d’une redevance pesant sur les sociétés pétrolières pour financer l’obligation de pavillon serait aussi sur la table. « La difficulté est que sur ce sujet, après les échanges entre les parties, le consensus est impossible, a expliqué Éric Banel, délégué général d’Armateurs de France. Il revient au monde politique de procéder à un arbitrage et cela n’a pas encore été fait ». Or « le temps presse sur ce sujet », a rappelé Raymond Vidil, président d’Armateurs de France. L’extension de la loi aux produits raffinés peut entraîner l’immatriculation de 20 navires supplémentaires sous pavillon français et 300 emplois de navigants et sédentaires. Sinon, la flotte de navires de transport de brut, déjà réduite à neuf unités, pourrait encore en perdre cinq.
Gardes privés à bord: le vote sur le projet de loi toujours attendu
Lors des Assises de la mer qui se sont déroulées à Montpellier le 2 décembre, le Premier ministre a annoncé un projet de loi autorisant le recours à des entreprises privées de protection sur les navires battant pavillon français. Prévu initialement en février, l’examen du projet de loi « piraterie » est reporté au 8 juin, voire à septembre. La France risque de perdre des marchés et va devoir rattraper son retard par rapport à ses voisins européens. Pour l’association, malgré une coopération avec les forces armées, la protection privée est indispensable: un navire qui n’est pas protégé en continu perd son accès aux marchés internationaux. « Nous sommes attachés à notre complicité avec la Marine nationale mais il n’est pas toujours possible qu’elle soit présente, précise Raymond Vidil. Or il faut que les armateurs soient garantis à 100 % de pouvoir arriver à destination, sinon les affréteurs n’appellent pas. » L’association défend un examen rapide du texte pour un vote du dispositif avant l’été 2014. Elle s’attache également à définir les conditions d’exercice de l’activité de protection à bord des navires. Les armateurs souhaitent notamment que tous les navires de commerce puissent bénéficier d’une protection, que le champ d’application géographique concerne toutes les parties du globe concernées par la piraterie.