Lamia, Florence, Danièle, Christine et Michèle évoluent dans le secteur maritime et portuaire depuis de longues années. Un secteur masculin mais pas macho, disent-elles, où la place des femmes est encore minime mais la voie enfin ouverte. Elles nous livrent leur vision de l’évolution du statut des femmes dans le shipping.
Fin février, Lamia Kerdjoudj-Belkaid a pris la barre de la Fédération européenne des opérateurs portuaires (Feport). Secrétaire générale, elle devient le porte-parole de tous les dockers et patrons de manutention européens! Pourtant rares sont les femmes conduisant des straddle carriers ou verrouillant les conteneurs avec des twist locks. L’image de l’armateur, de l’explorateur de contrées lointaines reste coriace. « Les professions portuaires ont bien changé depuis les années 1970. Avec l’automatisation, le recours à la force physique est désormais marginal et ce secteur s’ouvre donc aux femmes. Cela étant dit, il est vrai qu’elles restent encore très minoritaires », avance Lamia Kerdjoudj-Belkaid qui, aux côtés d’Isabelle Ryckbost, secrétaire générale de l’Espo, représentent deux grandes fédérations professionnelles portuaires à Bruxelles.
Si les effectifs féminins progressent sur les bancs de l’ENSM, peu de femmes sont à la manœuvre. « Nous étions trois sur 300 à l’école de Nantes en 1986. Il est difficile de concilier navigation et vie de famille. J’ai arrêté de naviguer en 2002 et passé le concours d’officier de port », explique Florence Perouas, mère de deux enfants.
Chef de mission études projets informatiques à la capitainerie des bassins Ouest du Grand port maritime de Marseille, elle a été commandant de port adjoint à Caen-Ouistreham puis commandant du port de Cherbourg durant cinq ans. « Mes qualités professionnelles étaient reconnues mais les résistances sur certains dossiers n’auraient pas été les mêmes si j’avais été un homme. Vous devez redoubler de professionnalisme », affirme-t-elle.
Lorsqu’elles fondent un foyer, la carrière professionnelle prend généralement un tournant défavorable. « Il ne faut plus considérer comme honteux de s’occuper de ses enfants! J’ai vu des femmes brillantes rentrer de congé maternité à qui l’on expliquait qu’elles ne pouvaient plus prétendre à la même évolution de carrière. La première génération de femmes qui a accédé à des postes importants a dû ainsi renoncer à d’autres sphères. Mais il y a eu des progrès en la matière. Il en est de même pour la question de la compétence qui ne se pose plus », poursuit Lamia Kerdjoudj-Belkaid.
« Je n’ai pas l’intention de renoncer à ma féminité »
Autre phénomène, cette génération assume sans rougir leurs atours. Jupes, talons hauts n’ont pas seulement investi les bancs de l’assemblée nationale et du gouvernement. « Je n’ai pas l’intention de renoncer à ma féminité », s’amuse la secrétaire générale de la Feport.
Féminine, Danièle Peri l’est tout autant. Commerciale chez Med Europe Terminal, elle parle du port avec passion: « Je travaille dans un monde à part. Les relations peuvent être parfois difficiles. Être une femme constitue un atout en évitant les relations de force. De ma fenêtre, j’assiste au ballet quotidien des trains, camions, cavaliers et au loin, je vois les navires opérés avec les portiques ou en ro-ro. » La fille d’Hubert Péri a baigné dès son plus jeune âge dans la manutention maritime. « Mon père a dirigé plusieurs sociétés de manutention et s’est aussi impliqué dans les organismes professionnels. J’ai connu tous les aspects de ce métier: travail acharné, disponibilité totale 24 h/24 et 365 jours par an, mais aussi les satisfactions que l’on pouvait en attendre. J’ai eu l’occasion de me rendre sur quai avec mon père et j’ai été très vite émerveillée par cette multitude d’hommes qui travaillaient ensemble sur le port. Aussi, dès la fin de mes études, j’ai rejoint ce secteur. »
« Je me sens unisexe »
Parcours similaire pour Michèle Fructus, présidente de la Compagnie maritime d’expertise (Comex) depuis le décès de son père Henri-Germain Delauze en février 2012. « Je n’ai eu aucune difficulté. Je n’ai jamais souffert d’être une femme. En 1992, mon père, lors d’un Conseil d’administration, m’a proposé de prendre la direction générale », explique Michèle Fructus. Interrogée sur ses relations avec les hommes dans les affaires, elle lâche: « Je me sens unisexe. D’ailleurs, je n’arrive pas à entrer dans les mouvements de femmes chef d’entreprise. » Au sein de ses effectifs, les femmes se comptent encore sur les doigts d’une seule main, avec notamment une océanographe et une jeune femme chargée des programmes spatiaux.
Autre personnalité dont on parle beaucoup en ce moment place de la Joliette, Christine Cabau-Woehrel, présidente du directoire de Marseille-Fos. Homme ou femme, peu importe. Tous les acteurs portuaires mâles interrogés précisent que seuls la compétence et la croissance des trafics comptent. Sa nomination dépoussière l’image du poste de directeur du port de Marseille considéré comme le bâton de maréchal dans l’administration. Ni X-Pont ni énarque, elle a su imposer ses qualités de commerciale exercées pendant 20 ans chez CMA CGM. Elle est la première à décrocher le port le mieux payé de France après une courte période à la présidence du port de Dunkerque. Ce dernier poste lui a même valu d’être distinguée comme personnalité de l’année 2013 dans le secteur des vracs secs par nos confrères de IBJ Awards.