Les Maîtres du vent, une marque des Éditions Babouji, ont publié Cargos pour le goulag. Un livre poignant pour qui s’intéresse au transport maritime au cours de la première moitié du XXe siècle. Le sous-titre de ce livre, « Le transport maritime des esclaves de Staline vers la Kolyma et le rôle de l’Occident », pose le sujet. L’auteur a puisé dans les sources officielles et les témoignages des survivants la réalité des conditions de transport des prisonniers vers les goulags de la vallée de la Kolyma. Située à proximité de la péninsule du Kamtchatka, la Kolyma n’est pas une destination touristique. Son climat glacial tout au long de l’année en fait une des régions les plus hostiles du globe. Quand les services de Staline découvrent que la région regorge de minerais de fer mais aussi et surtout d’or, le « Petit père du peuple » décide d’y envoyer des prisonniers de droit commun et politiques. Le transport ferroviaire n’étant pas suffisamment développé, il décide d’utiliser des navires de la flotte arctique. Il les fait adapter pour le transport de personnes, mais d’une façon aussi sommaire qu’inimaginable. Les prisonniers seront traités de la même façon que les esclaves au temps des négriers. Ainsi, de 1932 à 1953, les « cargos pour le goulag » assureront le transport de ces passagers dans des eaux difficiles. Les équipages, plus enclins à assurer leur survie que celle des prisonniers, n’ont pu améliorer les conditions de transport. Au final, il est difficile de dire combien de personnes ont été embarquées sur ces navires pour rejoindre le goulag de la Kolyma, ni combien ont péri au cours de ces voyages. Le 8 décembre 1939, L’Indigirka roule sur son tribord au large du Japon. Plusieurs navires japonais interviennent pour secourir les passagers. Si quelque 300 personnes sont sauvées, les cales regorgent de plus de 600 corps et de quelque 200 survivants. Jamais auprès des autorités japonaises le commandant du bord ne pourra donner le nombre exact des personnes dans les cales.
Des navires entretenus… aux États-Unis
L’auteur présente ainsi les conditions de ce transport pour les prisonniers dont on n’imagine pas que le XXe siècle puisse être le théâtre. Après avoir détaillé le calvaire de ces milliers voire millions d’hommes et de femmes, il revient sur les navires à proprement parler. Pour certains, ces cargos ont été achetés auprès des États-Unis. Pire, ce sont dans les chantiers américains que les Soviétiques les ont fait entretenir. Washington aurait fermé les yeux sur ces trafics? Selon des représentants syndicaux américains, l’alerte aurait été donnée après réception de ces navires.
Aujourd’hui, la Kolyma a fermé ses mines. Le port de Magadan, capitale de la région, est devenu un lieu touristique sans que nulle part ne soit indiquée l’horreur de l’histoire de ces cargos qu’Andreï Sakharov a appelé « les bateaux de la mort pour la mer d’Okhotsk ». Âmes sensibles, s’abstenir.
Cargos pour le goulag – Martin J. Bollinger
Traduit par G. Barnichou et Ch. Mouquet
Éditions Babouji – ISBN: 978-2-35261-071-7
Prix: 18 €