«L’annexe VI de la convention Marpol et la directive européenne ne créent aucune obligation réglementaire pour les ports, déclare Jean-Pierre Guellec, directeur des projets et investissement chez Haropa Port du Havre. Ce sont les armements qui sont directement concernés. Toutefois, si les ports ne font rien, les avitaillements en GNL ne pourront pas s’accomplir car les règlements portuaires ne sont pas adaptés à ce nouveau produit. Aussi, par contrecoup, les places portuaires sont finalement concernées. » Pour Nicolas Chervy, responsable du bureau des marchandises dangereuses chez Haropa Port du Havre, les professionnels attendent les normes concernant le soutage et l’avitaillement notamment de la part de l’OMI et de l’Union européenne (UE). Sachant qu’en France, il revient au port de modifier son règlement local pour l’adapter à l’avitaillement et au soutage en GNL des navires et assurer ces opérations en toute sécurité. Les règles de niveaux différents risquent de se multiplier: celles de l’OMI, de l’UE, de la France. « Il va falloir veiller à ce que les règles françaises ne soient pas plus contraignantes que les autres », alerte Nicolas Chervy. Un même navire peut escaler dans différents ports de la ZCES, rappelle Jean-Pierre Guellec, une réflexion sur une échelle géographique élargie est donc nécessaire. C’est la raison pour laquelle Haropa et Ports normands associés (PNA), dans le cadre de la convention en cours de signature, vont lancer une étude commune « pour savoir comment faire du soutage GNL de Cherbourg au Tréport en passant par la Seine », explique Jérôme Chauvet, directeur du développement de PNA. Cette étude comprend trois axes de travail, indique celui-ci. Le premier a pour objectif de répertorier les carburants répondant à l’exigence de 0,1 % de teneur en soufre et de réduction des SOx ainsi qu’aux autres contraintes environnementales en matière de NOx, CO2 et particules. Le deuxième volet doit se pencher sur les réglementations et leurs évolutions pour pouvoir réaliser les opérations de soutage en GNL dans l’enceinte portuaire en toute sécurité et apporter la garantie de faisabilité réglementaire aux armements. Le dernier axe de travail porte sur l’évaluation des besoins des armements maritimes et fluviaux, du transport routier, des industriels situés à proximité des sites portuaires ainsi que sur le repérage des lieux possibles de stockage de GNL et les scénarios de distribution envisageables. Cette étude devra prendre en compte la diversité des types de navires dans des ports différents les uns des autres et situés de l’entrée de la Manche au détroit. Pour Jean-Pierre Guellec, l’intérêt du regroupement des ports dans cette étude est de mutualiser les compétences, partager les enjeux, rendre homogènes les règles pour les clients dans les huit sites concernés, de contribuer à l’émergence d’une offre de soutage de la part des opérateurs privés. « L’idée, c’est de proposer dès l’entrée en ZCES des solutions aux armateurs, de répondre à leurs besoins et à ceux du marché. Nous allons aussi pouvoir nous adresser d’une même voix à l’État et aux institutions administratives afin d’échanger sur les normes de sécurité et les évolutions des réglementations », continue Nicolas Chervy. L’étude devrait être lancée au début de l’été 2014 pour un résultat fin 2015, selon Jérôme Chauvet. Autrement dit, les ports situés de Cherbourg au Tréport ne seront pas en mesure de proposer des solutions d’avitaillement ou de soutage en GNL dès le 1er janvier 2015.
Organiser une filière
Il en sera de même du côté du Grand port maritime de Dunkerque (GPMD), toutefois plus avancé dans sa réflexion. En 2012, le GPMD a été un des tout premiers ports français à lancer une étude visant à la mise en place d’une filière dédiée à l’avitaillement en GNL. Les résultats sont attendus pour la fin 2014. « Le GPMD travaille à un appel à manifestation d’intérêt, dont le lancement est prévu pour le premier semestre 2014, sur la constitution d’un groupement pour la création d’une telle filière », annonce Jean-Frédéric Laurent, directeur stratégie et développement du GPMD. Celui-ci précise que le GPMD « est très ouvert à toutes les solutions possibles en termes d’organisation de la filière, de solutions techniques ou technologiques ». Il faut toutefois tenir compte de la configuration du port. La mise en service du terminal méthanier à l’entrée du port Ouest constitue un atout. Même si la possibilité d’un avitaillement ou d’un soutage au GNL des navires n’a pas été prévue dans les plans initiaux du terminal. « Il serait logique qu’il y ait une connexion avec le futur terminal dont la mise en service est prévue fin 2015. Mais si une autre option est plus intéressante d’un point de vue opérationnel, ce n’est pas non plus une obligation », précise Jean-Frédéric Laurent. Le GPMD partage avec les ports de la façade Manche/ mer du Nord la volonté de répondre aux besoins des armateurs confrontés à un nouvel impératif réglementaire, et l’attente forte par rapport aux réglementations applicables aux conditions d’avitaillement et de soutage en GNL. Enfin, des émissions réduites de soufre, SOx, NOx, CO2 et particules de la part des navires constituent, selon le GPMD, une solution pour une meilleure maîtrise de l’impact environnemental des activités portuaires.
Une infrastructure de soutage GNL dans les ports, c’est possible
Entre 2006 et 2010, de nombreuses études ont été menées pour évaluer les conséquences de l’application de la règle d’une teneur en soufre de 0,1 % des combustibles des navires au 1er janvier 2015 dans la ZCES Manche/mer du Nord/Baltique et préparer la mise en œuvre de l’annexe VI de Marpol. Force est de constater l’absence complète de la France de tous ces travaux. Le point commun des études est de démontrer la possibilité de développer une infrastructure de soutage en GNL dans les ports nord-européens. Ces études constatent l’absence d’obstacle juridique à la mise en place d’une telle infrastructure dans la législation européenne. Dans les États de l’Union européenne, les dispositions juridiques régissant des infrastructures terrestres GNL et les règles existantes ou en développement pour les navires et les opérations de soutage permettent déjà cette utilisation, même si des adaptations sont nécessaires. Elles soulignent aussi le coût financier important du développement de l’infrastructure et insistent sur les indispensables aides financières pour mettre en place un réseau de soutage.
(Source: Coordination des actions ministérielles relatives à l’emploi du gaz naturel liquéfié comme carburant marin, rapport établi par Jean-François Jouffray, Jean-Bernard Erhardt, Vincent Allais, février 2013.)
Des réglementations variées en cours d’évolution
Au niveau national, deux règlements s’appliquent pour les opérations de soutage dans les enceintes portuaires. Le premier est le Règlement général de police dans les ports maritimes de commerce et de pêche. Un règlement particulier de police peut le compléter. Le deuxième texte est le Règlement pour le transport et la manutention des marchandises dangereuses (RPM). Celui-ci stipule que « les opérations d’avitaillement en soute sont autorisées par navire, par chaland à couple ou par véhicules citernes, sauf dispositions particulières fixées par les règlements locaux ». Le RPM précise que pour chaque port maritime, un règlement local pour le transport et la manutention des marchandises dangereuses est arrêté par le préfet du département où est situé le port, après instruction locale. Au vu d’une étude de danger, le préfet fixe des règles d’aménagement et d’exploitation. Les ports devront prendre des dispositions dans leur arrêté réglementant la circulation maritime pour définir les conditions de circulation des navires souteurs ou avitailleurs de GNL lorsque ces derniers apparaîtront. Plusieurs organisations travaillent sur les réglementations des opérations de soutage dans les ports comme l’International association of ports and harbours (IAPH), l’Association mondiale pour des infrastructures de transport maritime et fluviale (AIPCN/PIANC) ou encore l’Association française du gaz (AFG). La Commission européenne réfléchit à des normes avec l’EMSA, cette agence travaillant elle-même avec le Germanischer Lloyd. Concernant la propulsion des navires au GNL, l’Organisation maritime internationale (OMI) travaille sur un code particulier (IGF). L’Organisation internationale de normalisation (ISO), la Society of international gas tanker and terminal operator (Sigtto) réfléchissent aussi. En attendant, des « directives intérimaires sur la sécurité des installations de moteur à gaz naturel à bord des navires » de juin 2009 s’appliquent.
(Source: Coordination des actions ministérielles relatives à l’emploi du gaz naturel liquéfié comme carburant marin, rapport établi par Jean-François Jouffray, Jean-Bernard Erhardt, Vincent Allais, février 2013.)