Menée par Corsica Ferries avec un succès certain, cette longue saga judiciaire remonte à 2002. Le 18 février de cette année, la France notifie à la Commission un projet d’aides à la restructuration d’un total de 76 M€, rappelle l’avocat général Melchior Wathelet. La Commission donne officiellement son accord en juillet 2003 sous condition de cession de certains actifs. 66 M€ sont payables immédiatement. Le solde après cessions. Au final, le montant litigieux porte sur 15,81 M€. En octobre 2003, Corsica Ferries attaque la décision de la Commission européenne. En mars 2005, la Commission valide le versement de 3,327 M€ sur les 15,81 M€ restant. En juin 2005, le Tribunal annule la décision de la Commission de 2003 concernant les aides à la structuration de la SNCM. En avril 2006, les autorités françaises modifient leur point de vue et invitent la Commission à considérer que sur les 76 M€ d’aides à la restructuration, 53,48 M€ devraient être considérés comme des « non-aides » au titre de la jurisprudence Altmark de juillet 2003 ou comme une mesure autonome et indépendante du plan de restructuration.
La SNCM vaut − 158 M€
Survient alors un autre épisode dans la vie tumultueuse de la compagnie, sa privatisation en 2006. Melchior Wathelet rappelle que le protocole d’accord entre Butler Capital Partners (BCP) et Veolia Transport et la CGMF comporte trois mesures qui ont été et sont toujours au « cœur de la procédure »:
– la SNCM est cédée à un prix « négatif » de 158 M€, soit un apport en capital de 142,5 M€ et la prise en charge des frais de mutuelle pour 15,5 M€;
– la CGMF (totalement contrôlée par l’État) fait une avance en compte-courant de 38,5 M€ en faveur des salariés licenciés;
– la CGMF participe à l’augmentation de capital pour 8,75 M€ qui s’ajoutent aux 26,25 M€ versés par Butler et Veolia.
Notifiées en septembre 2006, ces mesures amènent la Commission à ouvrir une procédure portant à la fois sur le plan de restructuration de 2002 et sur celui de la privatisation de 2006. Elle finit par conclure que l’apport des 53,48 M€ au titre de compensation de service public constitue une aide d’État « illégale […] mais compatible avec le marché commun » et que les mesures du plan de privatisation de 2006 ne sont pas des aides d’État.
Erreurs « manifestes » d’appréciation
Corsica Ferries attaque cette décision qui lui est indirectement défavorable. Et le Tribunal lui donne raison. Au sujet des 158 M€ de valeur négative de la SNCM, la Commission a commis une « erreur de droit et une erreur manifeste d’appréciation », estime le Tribunal. Pour l’apport en capital de la CGMF et son avance en compte courant, la Commission a commis une erreur « manifeste ». Idem pour l’approbation du solde final de 15,81 M€ du plan de restructuration de 2002. Total, 221,06 M€. Le Tribunal annule donc partiellement la décision de la Commission. Les 53,48 M€ illégaux mais compatibles restant acquis.
La Commission ne fait pas appel de cet arrêt, souligne l’avocat général, contrairement à la SNCM et à la République française. La première demande en novembre 2012 son annulation « partielle », la seconde, totale. Au total, les parties françaises opposent quatre arguments par erreur manifeste d’appréciation.
Pour déterminer si une aide est d’État ou non, il faut apprécier le comportement de l’État. A-t-il agi comme aurait agi un investisseur privé « avisé »? Ce dernier aurait-il rationnellement choisi de vendre à perte l’entreprise plutôt que de la liquider? Dans ce dernier cas, quel en aurait été le coût final, y compris les indemnités extra-conventionnelles qu’un groupe soucieux de son image de marque se serait senti obligé d’assumer? La commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur la privatisation de la SNCM s’est posé certaines de ces questions. Toujours est-il que l’avocat général y consacre de longs développements.
Il finit par proposer à la Cour de rejeter tous les pourvois formulés par la SNCM et la République française et de les condamner à supporter à parité les frais de justice de Corsica Ferries France SAS sur laquelle on ne sait pas grand-chose.
Selon le service de presse de la CJUE, la Cour n’a aucune obligation de suivre les conclusions de l’avocat général et elle ne prendra pas sa décision avant plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Après les élections municipales françaises, peut-être?
À cette affaire s’ajoute celle portant sur les aides jugées finalement illégales versées par la Collectivité territoriale de Corse à la SNCM entre 2007 et 2013, d’un montant similaire.