Ce projet annoncé par le Premier ministre lors du Cimer du 2 décembre « vise à garantir la sécurité des navires confrontés au risque d’attaques de pirates sur certaines mers du globe ». Il s’inscrit également dans la « volonté de renforcement de la compétitivité » du pavillon français et du transport maritime. En effet, la France était « l’un des derniers » pays européens à ne pas avoir autorisé la protection de navires par des entreprises privées. Ce qui n’empêchait pas le recours officieux à leurs services, faut-il rappeler.
Lors des assises de l’économie maritime du mois de décembre, Régine Bréhier, directrice de la direction des Affaires maritimes, a donné quelques détails sur le projet de loi qui était en cours d’examen au Conseil d’État depuis la mi-novembre. Le ministère des Transports confirme certains points:
– la présence de gardes armés ne sera autorisée que dans les zones à « haut risque » de piraterie et sur « certains » types de navires. Un décret précisera les unes et les autres. « Au fur et à mesure que les zones à risques se déplacent, l’enjeu, dans la durée, sera de faire vivre le décret d’une façon dynamique et réactive en fonction des besoins » a souligné Régine Bréhier;
– l’accès au secteur sera « rigoureusement encadré » par la mise en place d’une autorisation similaire à celle existant pour les activités de protection exercées à terre (« convoyeurs de fonds »). Les entreprises devront être contrôlées par un organisme « tiers »;
– tous les acteurs devront apporter des « garanties professionnelles »: les dirigeants et gérants devront être titulaires d’une carte professionnelle après examen de conditions de « moralité », de leurs compétences « maritimes et en matière de protection armée ».
– un dispositif « strict » encadrera les conditions d’armements: « seules certaines » catégories d’armes et de munitions seront autorisées. Les modalités d’acquisition, de détention, de transport et de stockage des armes et de munitions à bord seront « précisément définies »;
– les contrôles administratifs et judiciaires sur le territoire national et à bord des navires garantiront le « respect de la loi ».
La transparence et la traçabilité de l’activité seront assurées par « plusieurs » dispositifs tels que la déclaration de l’embarquement des équipes de sécurité, la tenue de registres d’activité ou encore le signalement des incidents. L’usage de la force par des agents ne sera possible que dans le cadre de la « légitime défense ».
Quelle légitime défense?
Ce point, entre autres, fait sourire un spécialiste de la protection embarquée. Il rappelle qu’en droit français, la légitime défense veut que la riposte soit strictement proportionnée à l’attaque. Exemple, une équipe de protection embarquée (EPE) détecte un skiff « somalien » suspect. Le navire accélère. Le skiff aussi. Il se rapproche du navire. Par VHF, l’équipage du skiff demande au navire marchand de stopper. Refus de ce dernier. Mais pas de tir de la part du skiff. Et donc pas de tir de la part de l’EPE au nom du principe de réponse proportionnée. Par belle mer, le skiff dépasse le pétrolier, lui fait face et tire une roquette. L’EPE réagit mais un peu tardivement… Dans la vraie vie, l’EPE aurait agi bien plus tôt avec des tirs de dissuasion de plus en plus précis, en contradiction, donc avec le principe de légitime défense.
Si le texte définitif se limite à la piraterie, il ne sera d’aucune utilité dans le golfe de Guinée, par exemple. En effet, la piraterie est internationalement définie comme étant un acte violent commis par une entité privée, en haute mer ou dans un espace maritime ne relevant de la juridiction d’aucun État. Dans le golfe de Guinée, l’immense majorité des attaques se font dans les eaux territoriales ou sous juridiction d’un État; notamment du Nigeria qui assimile sa ZEE à sa mer territoriale. À ce jour, aucun dispositif ne protège efficacement les navires dans les eaux sous juridiction du Nigeria, hormis les vedettes d’accompagnement qui y sont tolérées.
Une crainte générale est spécifiquement française: les pouvoirs publics nationaux ont montré une telle résistance au changement dans ce domaine que plusieurs spécialistes craignent que les diableries se multiplient dans les détails des décrets, limitant ainsi grandement l’efficacité du dispositif. Et les points incertains sont nombreux: pas question de partir avec un fusil à plomb. Qui va déterminer la haute dangerosité de la zone ou contrôler de la compétence maritime des EPE? Des « guéguerres » de corps se préparent déjà entre les anciens des commandos Marine et les ex des forces spéciales. L’incertitude pourrait être de courte durée car le projet de loi devrait être débattu au Parlement dès février, et les textes d’application sortir dans les six mois suivant l’adoption de la loi.