La taille des navires accueillis dans les ports africains en 2025 va dépendre des besoins des marchés

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Le 15 novembre à Paris, le Journal de la Marine Marchande (JMM) a organisé la troisième édition de sa matinée-débat, baptisée « Carrefour ». Cette année, le thème retenu s’est présenté sous la forme d’une question volontairement provocatrice: y a-t-il un port africain, plus particulièrement à l’ouest du continent, pour accueillir des navires de 16 000 EVP et plus? Le premier intervenant à la table ronde, Yann Alix, délégué général de la fondation Sefacil, a détaillé les défis pour servir un 16 000 EVP en Afrique de l’Ouest ainsi que ceux à relever au port pour l’escale d’un tel navire. La sécurisation des routes maritimes desservant l’Afrique de l’Ouest et des espaces nautiques nationaux est un préalable à la venue de tout navire dans cette zone. L’accessibilité des chenaux navigables, les profondeurs de bord à quai, les services nautiques aux navires sont indispensables. Une fois ces préalables acquis, le terminal voulant accueillir un 16 000 EVP doit disposer des caractéristiques nautiques et techniques adaptées (voir encadré P. 10), des équipements en superstructures, d’une interface permettant les connectivités modales et la circulation des conteneurs. Le port doit aussi être doté d’une politique tarifaire correspondant à un navire de 16 000 EVP et à sa noria de feeders ainsi que d’une politique foncière avec une maîtrise des disponibilités et accessibilités sur le domaine régalien. Les acteurs portuaires liés à l’escale doivent savoir travailler en communauté et de manière organisée. Une fois ces étapes franchies, il reste à mettre en place les solutions logistiques pour permettre aux conteneurs déchargés du 16 000 EVP de parvenir à leur destination finale. Ici, les pays du continent africain dotés d’un port doivent se lancer dans un vaste chantier de (re)construction des infrastructures routières, ferroviaires, fluviales. Ils ont à mener un travail de modernisation transfrontalière afin d’assurer une circulation sous-régionale plus rapide des marchandises. La libéralisation des marchés et des services apparaît nécessaire tout comme les services aux produits. Au final, l’objectif est de parvenir à « une African Supply chain de services de transport intégré à destination des clients » fondée sur les principes suivants: fiabilité, productivité, qualité, flexibilité, créativité et réactivité. « C’est sur l’amélioration de ces qualités que doivent travailler les ports africains car elles ne sont pas encore partout au rendez-vous », a souligné Yann Alix. Pour ce dernier, il faut être optimiste: « L’Afrique peut devenir un carrefour des circulations mondiales dans une ou deux décennies. Des centres de production pourraient voir le jour et entraîner la mise en place de plusieurs ports de transbordement. »

Un potentiel de croissance significatif

La parole a ensuite été donnée par l’animateur de la matinée-débat, Hervé Deiss, rédacteur en chef du JMM, aux représentants des armateurs. Mathieu Friedberg, vice-président lignes Afrique de CMA CGM, a indiqué que le groupe réalise environ 10 % de ses volumes mondiaux en Afrique. En 2012, 1,2 MEVP ont été transportés vers et en sortie de l’Afrique subsaharienne pour un chiffre d’affaires de 2,5 Md$. Concernant le marché africain, l’Asie représente 52 % des importations. L’Afrique de l’Ouest, c’est 2,8 MEVP à l’import pour 0,63 MEVP à l’export, « soit un rapport de 1 à 4, ce qui montre que la valeur repose sur l’entrée des conteneurs et peut constituer un danger potentiel si trop d’opérateurs sont présents sur ce marché », a continué Mathieu Friedberg. Il faut aussi noter que 40 % des volumes sortent d’Asie, pour 29 % d’Europe, et que 28 % des volumes sont à destination du Nigeria. L’Afrique de l’Ouest compte 17 pays de la Mauritanie à l’Angola, soit 17 marchés morcelés, « plutôt réduits et dotés d’un maillage terrestre insuffisant ». CMA CGM est toutefois convaincu d’un potentiel de croissance significatif en Afrique de l’Ouest avec 4,1 MEVP à l’horizon 2017 dont 50 % en sortie d’Asie. Mathieu Friedberg a souligné « des infrastructures portuaires en pleine évolution à Pointe-Noire, Lomé, Abidjan, Malabo, Lagos, Kribi ». Il a mis en avant des projets de développement en cours permettant d’envisager qu’en 2017, des navires de 8 000 EVP maximum pourraient toucher les ports d’Afrique de l’Ouest. C’est cette taille de navire qui répondra alors le mieux aux besoins des différents marchés des pays africains. « Aucun de ces projets ne prévoit d’accueillir un 16 000 EVP dans un port d’Afrique de l’Ouest. Et les hypothèses et les réflexions menées par CMA CGM montrent que l’accueil d’un tel navire dans un port africain ne paraît pas possible à court ou moyen terme car l’offre commerciale n’est pas compétitive, les transit-times sont dégradés et non compétitifs. » L’autre représentant des armateurs, Alain Cazorla, représentant de MSC, a été moins catégorique. « Les conditions d’optimisation de traitement d’un 16 000 EVP ne sont pas encore présentes en Afrique. Mais elles pourraient être réunies très rapidement pour des navires de 6 000 EVP ou 8 000 EVP. » Sur le continent africain, MSC a choisi d’investir et va continuer à le faire dans le port de Lomé qui pourrait jouer un très grand rôle à l’avenir. Alain Cazorla est convaincu: « Un jour, l’Afrique aura des services maritimes très divers avec de nombreux navires de tailles très différentes. » Pour Marc Snijders, directeur de MSC, il faut aussi prévoir des hubs pour accueillir des navires entre 12 000 EVP et 14 000 EVP. Il évalue à deux ou trois le nombre de hubs nécessaire en Afrique, à déterminer parmi les ports existants. MSC et CMA CGM ont réclamé « un effort de réduction du coût global du transport mais sans le faire exclusivement porter sur les armateurs ».

Les décisions sont aussi politiques

Les responsables portuaires ont pris la parole en troisième position lors de la matinée-débat du JMM. Jean-Marie Aniele, directeur général du Port autonome de Pointe Noire, a répondu à la position du représentant de CMA CGM en demandant si « les caractéristiques d’un navire de 16 000 EVP et les exigences pour l’accueillir dans un port fondent à elles seules la stratégie des armateurs? » Pour Jean-Marie Aniele, il faut peut-être s’éloigner de ces critères objectifs et tabler sur les choix politiques et géopolitiques des chefs d’États et de gouvernements du continent africain. « Les obstacles à l’accueil d’un 16 000 EVP peuvent être levés rapidement car c’est aussi une question de volonté politique comme il en a été au Congo », a déclaré Jean-Marie Aniele. Il est aussi possible de compter sur les soutiens internationaux, comme la BEI, ou privés dans le cadre de partenariat public-privé (PPP). Ce sont grâce à eux que Pointe Noire commence aujourd’hui à émerger comme un port important d’Afrique de l’Ouest avec 600 000 EVP en 2012 et des prévisions à 1 MEVP dans quelques années. Il ne faut pas oublier non plus que si l’Afrique de l’Ouest compte bien 17 États, c’est aussi bien plus en intégrant les pays de leur hinterland. Hervé Cornède, directeur commercial et marketing d’Haropa, a ensuite indiqué que 350 navires de 16 000 EVP ont été accueillis au Grand port maritime du Havre (GPMH) depuis le début 2013. Cette performance a été rendue possible grâce à la qualité des infrastructures et des dessertes du GPMH, synonymes d’absence de congestion et de fluidité des services. Hervé Cornède a aussi conseillé ses homologues africains: une fois un 16 000 EVP déchargé, les conteneurs doivent rejoindre l’hinterland par voie ferroviaire ou fluviale, mais il faut aussi des feeders pour desservir par la mer les pays voisins plus éloignés. Il faut des hubs logistiques installés dans le port pour fixer les trafics. L’accueil d’un 16 000 EVP dans un port « nécessite aussi un système d’information qui constitue un élément clé de la fluidité du trafic et du passage des marchandises ». Sur ce dernier point, Pascal Ollivier, directeur du développement de Soget, a mis en avant l’utilité de la mise en place d’un guichet unique portuaire car « le flux physique est important mais le flux informatique l’est tout autant ». L’escale d’un 16 000 EVP, c’est 4 800 mouvements, quatre portiques à 25 mouvements par heures, soit 48 heures de travail. C’est 4 320 EVP à évacuer des terminaux des ports, souvent situés en centre-ville pour ceux d’Afrique de l’Ouest avec des problèmes de congestion et des procédures administratives multiples. Au final, le risque est élevé d’aboutir à la saturation du port et de la ville. Dans ce contexte, l’établissement d’un guichet unique portuaire permet d’anticiper et de planifier l’arrivée des navires, l’évacuation des conteneurs et la gestion des opérations administratives. Il en va ainsi à Cotonou, a précisé Pascal Ollivier, où le guichet unique portuaire a permis de réduire à une heure le temps nécessaire pour évacuer les conteneurs par la route. La durée de traitement des opérations administratives est passée de 39 à six jours. La gestion des escales des navires est de moins de 48 h, soit un délai équivalent à celui pratiqué dans les ports européens.

Des tendances mondiales

Pour Olivier de Noray, directeur des ports et terminaux de Bolloré Africa Logistics, « se poser la question de savoir s’il existe un port africain capable d’accueillir des navires de 16 000 EVP et plus, c’est montrer l’accélération avec laquelle l’Afrique de l’Ouest a évolué sur le plan économique en moins de 20 ans ». Pour ce dernier, c’est même en moins de 10 ans que l’Afrique a fait un pas de géant en matière maritime. « D’ici 2017, en Afrique de l’Ouest, il y aura des plates-formes capables d’accueillir des navires de 8 000 EVP à 9 500 EVP. Je crois qu’à l’horizon 2025, l’Afrique sera en mesure de traiter des navires de 16 000 EVP. » Toutefois, Olivier de Noray nuance ce propos en soulignant que cela sera possible « seulement si le développement économique est au rendez-vous et en fonction des besoins du marché ». Or si la conteneurisation africaine apparaît encore faible actuellement, le continent est désormais bien présent dans les échanges mondiaux avec des progressions de trafic à deux chiffres depuis plusieurs années, a continué le directeur des ports et terminaux de Bolloré Africa Logistics.

Celui-ci est persuadé, dès lors que le marché sera au rendez-vous, que les capacités nautiques des ports, les infrastructures, les solutions de transbordement et de desserte de l’hinterland se mettront en place d’elles-même. Sachant que dans l’hinterland, il faut mettre en place un système logistique en organisant des corridors, notamment ferroviaires. Pour améliorer les infrastructures, Olivier de Noray a loué les solutions économiques et techniques apportées par les PPP faisant suite aux décisions des chefs d’États et de gouvernements qui ont lancé une nouvelle politique dans les domaines du transport et de la logistique. Du côté de l’Union des conseils des chargeurs africains, la confiance est également de mise. Pour le secrétaire général de cette organisation, Serigne Thiam Diop, « évidemment le souhait des chargeurs africains est que des navires de plus en plus grands puissent accéder à nos ports, ce qui contribuerait à la baisse des coûts des transports. C’est également le souhait des gouvernements qui verraient ainsi soulagé le panier de la ménagère ». Serigne Thiam Diop croit possible l’accueil d’un 16 000 EVP en Afrique à l’horizon 2025 au vu des croissances enregistrées par la majeure partie des pays du continent, bien souvent supérieure à 6 % voire même à deux chiffres pour certains. Sa conviction se fonde aussi sur les tendances mondiales de la marine marchande avec des trafics et une flotte en progression sans oublier la part sans cesse en expansion de la conteneurisation dans le transport maritime des marchandises. C’est la raison pour laquelle plusieurs ports africains ont élaboré des plans de développement pour accueillir des navires toujours plus grands comme Kribi, Monrovia, Tanger, Likéli, Ibaka, Durban, Abidjan, Tema, Pointe Noire, Dakar, Lomé. « Enfin, en Afrique comme ailleurs, la tendance au gigantisme des flottes pousse les ports à prévoir d’accueillir des navires de plus en plus grands ». Une position partagée par Jean-Marie Aniele: « C’est aussi les navires et la tendance à des tailles de plus en plus grandes qui déterminent les décisions des responsables portuaires dans l’établissement de leur stratégie et de leur développement pour l’avenir. »

Les caractéristiques d’un porte-conteneurs de 16 000 EVP

• Longueur hors tout: 396 m

• Largeur: 53,6 m

• Creux sur quille: 29,90 m

• Tirant d’eau: 16 m.

• Port en lourd: 187,626 t

• Poids à vide: 54,400 t

• Vitesse: 24,1 nœuds

Pour accueillir ce type de navires, un port doit avoir des caractéristiques nautiques et techniques adaptés:

• Tirant d’eau du chenal: 17 m

• Cercle d’évitage: 700 m

• Largeur du chenal: 200 m

• Linéaire de quai: 400 m

• Portée des portiques: 68 m

Ne pas négliger le conventionnel et les vracs

Le thème de la matinée-débat du JMM était centré sur le conteneur. Les participants présents dans la salle ont rappelé l’importance du conventionnel et des vracs pour les ports du continent africain, même si la tendance est à une conteneurisation croissante des marchandises. Pour Olivier de Noray, directeur des ports et des terminaux de Bolloré Africa Logistics, les conteneurs et le conventionnel vont continuer à exister l’un à côté de l’autre. « Simplement, l’Afrique se rapproche à marche forcée des répartitions mondiales entre le conventionnel et les conteneurs », a-t-il estimé. Yann Alix, délégué général de la fondation Sefacil, a confirmé que des produits quittent le conventionnel au profit du conteneur. Toutefois, « les ports africains restent polyfonctionnels ». Il a aussi rappelé la situation plus fragile du secteur du conventionnel, comparativement a celui du conteneur, avec une forte concurrence entre des opérateurs très nombreux. Hervé Cornède, directeur commercial et marketing d’Haropa, a souligné « le danger pour un port d’être monoproduit ». Pour capter des trafics, un port doit avoir des conteneurs, du vrac, du conventionnel, de la logistique et offrir une palette de solutions à ses clients pour le transport de leurs produits. Enfin, Arnaud Tisseau, directeur du développement de SeaInvest, a mis en avant la présence et les investissements de ce groupe à Abidjan pour développer les activités de vrac solide dans ce port africain. Il a alerté sur la situation de congestion des terminaux africains dédiés au vrac solide. Selon lui, si rien n’est fait, cette situation pourrait s’aggraver avec la multiplication des projets miniers en Afrique. Dans les années à venir, les ports de ce continent pourraient ne pas être en capacité de faire face aux besoins d’exportation des milliers de tonnes produites.

Une polémique sur les formalités administratives

La discussion entre les intervenants à la table ronde et la salle a révélé des positions opposées concernant la réduction des formalités administratives et douanières. Pour un chargeur français, « la question n’est peut-être pas de savoir s’il y a un port africain pour accueillir des 16 000 EVP. Mais de trouver des solutions pour faire les trajets avec les conteneurs une fois sortis du port et pour réduire les formalités douanières ». Selon ce chargeur, les difficultés sont particulièrement importantes à Dakar et Abidjan, qui sont des ports situés en centre-ville. Cette prise de position a été soutenue par Mathieu Friedberg, vice-président lignes Afrique de CMA CGM: « La problématique actuelle, c’est l’ensemble de la chaîne logistique en Afrique. Il faut travailler pour en abattre les barrières. » Olivier de Noray, directeur des ports et des terminaux de Bolloré Africa Logistics, a admis que « les tracasseries administratives sont réelles dans les ports africains. Mais les délais se réduisent chaque année ». Enfin, pour Pascal Ollivier, directeur du développement de Soget, « la révolution est en marche sur ce sujet depuis cinq ans, grâce aux décisions des chefs d’États et de gouvernements de se doter de guichet unique portuaire dans au moins cinq pays d’Afrique de l’Ouest ». Pascal Ollivier est persuadé qu’en 2020, tous les pays de cette zone pourraient être équipés d’un tel guichet, ce qui entraînerait une réduction spectaculaire des délais de traitement des formalités administratives et douanières.

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