Le nouveau canal de Panama suscite de nombreux questionnements

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Il faut dire que les prédictions vont bon train. Le glissement du centre de gravité économique et logistique du marché nord-américain vers l’Ouest varie selon plusieurs facteurs pas nécessairement touts alignés les uns avec les autres. Près des deux tiers des valeurs transitées par le canal ont aujourd’hui pour origine ou destination le marché nord-américain. Aussi, les calculs de bout en bout depuis la Chine/Corée/Japon vers les États-Unis via Panama oscillent selon qu’une ou plusieurs ruptures de charge seront requises avant de toucher les ports de la côte Est ou du golfe du Mexique. Les comptes américains comme Walmart ou HP travaillent de concert avec les intégrateurs logistiques planétaires pour évaluer une somme combinée de gains potentiels (argent mais aussi temps, fiabilité, congestion, etc.). Lors de cette réunion annuelle, la première des interrogations ne relève pas directement du canal de Panama et de ses nouvelles écluses, mais bien de la capacité d’investissements des autorités portuaires et fédérales américaines dans les ports situés en dehors de la côte Ouest du pays. Avec un minimum de 15 m d’eau requis dans les chenaux d’accès, seuls quelques ports dont New-York New-Jersey espèrent proposer aux armateurs un accueil des porte-conteneurs en pleine charge. Pour les autres, dont plusieurs en Floride ou au Texas par exemple, cette incapacité infrastructurelle impose de transborder quelque part dans la zone Caraïbe. Le questionnement de l’investissement financier colossal aux États-Unis est encore plus prégnant pour des États insulaires comme la Jamaïque, la République Dominicaine, les Bahamas ou encore Puerto-Rico et même Haïti. Il faut dire que tous ces États ont joué très largement la carte de la croisière pour accueillir les majors américaines. En conséquence, les autorités portuaires mais aussi les autorités publiques ont massivement investi dans des quais dimensionnés pour recevoir ces géants des mers chargés de milliers de touristes. La mobilisation de quelques centaines de millions de dollars pour construire de nouvelles infrastructures n’est pas sans poser des problèmes d’ordre autant économique que financier et politique.

De nouvelles hiérarchies portuaires

Les experts portuaires et maritimes se sont interrogés sur les conséquences (réelles ou fantasmées) des réorganisations des rotations suite à la constitution du P3 entre les trois leaders mondiaux (Mærsk Line, MSC et CMA CGM). Déjà, sur les quatre services entre l’Asie et la côte Est des États-Unis, trois ont été annoncés via Suez avec le P3, contre un seulement via Panama. Des choix stratégiques majeurs vont générer de nouvelles hiérarchies portuaires sous-régionales qui dépasseront les seuls hubs caribéens pour inclure aussi tous les grands ports américains du Golfe et de la côte Est. Toutefois, personne n’a su qualifier ou quantifier les potentialités du transbordement massif conteneurisé en zone Caraïbe après 2015. Chose intéressante, une discussion sur la croisière a rappelé que les importants mouvements de consolidation des armements cette dernière décennie n’ont pas fait trop de dégâts pour les places portuaires. Chacune ayant su s’adapter aux exigences d’aménagement des quais et des abords des terminaux pour continuer de profiter de la manne touristique de la croisière. Cela sera-t-il la même chose avec le P3 alors qu’un nombre encore important de petits armateurs ont fait de la zone Caraïbe leur marché de niche? Les feederisations et les maillages sur les économies insulaires des Caraïbes pourraient finalement avoir plus d’impacts que l’arrivée des seuls géants de plus de 10 000 EVP.

Les opérateurs globaux de manutention sont tous dans la sous-zone. Ils se projettent tous au centre d’une nouvelle mégazone d’éclatement à l’instar de celles de la Méditerranée ou du Sud-Est asiatique. Les concurrences seront vives et les projets fleurissent, que l’on soit sur des places déjà transbordées (comme à Kingston en Jamaïque, Freeport aux Bahamas ou encore Caucedo en République Dominicaine) ou sur de futures places géographiquement choyées (Port-au-Prince en Haïti, Mariel sur l’île de Cuba). APMT est déjà à Moin au Costa-Rica, ICTSI à Puerto Cortes au Honduras, et PSA & ICSTSI investissent le port de Buenaventura en Colombie. Tous espèrent conjuguer une quadruple dynamique:

– les retombées directes du canal de Panama nouvelle formule;

– les dividendes de la croissance économique des pays ceinturant la zone Caraïbe;

– les volumes issus des économies sud-américaines, côtes orientale et occidentale;

– la stimulation des échanges entre systèmes insulaires intracaribéens.

Cette conjugaison exige de la flexibilité et de l’innovation, ne serait-ce que dans l’exploitation efficiente des terminaux qui devront assumer la réception de différentes tailles de navires. Les productivités et les fiabilités seront des éléments concurrentiels décisifs pour fidéliser les armements et, peut-être, les créateurs de valeurs ajoutées logistiques.

Les autorités panaméennes phosphorent sur les retombées d’un « corridor logistique transisthmique intégré ».

Quand Carlos Urriola, vice-président de SSA, présente les projets d’extension des installations du Manzanillo International Terminal (MIT), il concède que les 270 M$ d’investissements privés s’intègrent dans un plan national panaméen. En effet, depuis avril 2012, le National Council of Logistics, sous la tutelle du Logistics Cabinet, vise à structurer les futurs services logistiques aux navires… et surtout aux marchandises. En partenariat direct avec toutes les parties prenantes logistiques nationales et internationales, cette structure publique a pour objectif de construire un master plan of the InterOceanic Logistics. Les terminaux à conteneurs de part et d’autre des nouvelles écluses ainsi que la zone économique spéciale et zone logistique de Colon constituent les bases d’une ambition collective nationale. Par-delà le fait d’être une artère vitale du commerce maritime, Panama compte capitaliser sur l’implantation d’investissements logistiques, industriels et manufacturiers. Et cette perspective n’est pas pour rassurer les spéculateurs du transbordement insulaire caribéen.

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