Il aura fallu du temps aux Philippines pour approuver la MLC 2006. Le 20 août 2012, ils ont finalement été le dernier des trente pays requis à signer la convention et permettre ainsi son entrée en vigueur, un an après.
Un important travail de mise aux normes attend les autorités. En premier lieu, cela concerne surtout sa flotte intérieure, où les directives sont bien loin d’être suivies. De nombreux salariés y travaillent sans contrat, avec des heures à rallonge et dans un environnement de sécurité lâche. « C’est un véritable challenge pour le gouvernement », confie Liberty Casco, membre de ce dernier. Parallèlement, les autorités doivent contrôler les écoles et agences de manning qui travaillent pour les armateurs étrangers. Cette année, 377 agences ont été officiellement accréditées. Elles gèrent le recrutement, selon le cadre fixé par le gouvernement qui « informe, vérifie les contrats et s’occupe des services de retour ou de rapatriement. […] Les normes de formation, d’éducation, de recrutement et d’emploi sont, elles, dictées selon les conventions internationales de l’Organisation maritime internationale (OMI) », assure Liberty Casco.
Si, aujourd’hui, la plupart des agences ont été auditées, le contrôle dans les écoles bat encore son plein, sous pression de l’Union européenne. En effet, la commission menace d’interdire les marins philippins sur ses navires. En cause: leur formation insuffisante et le non-respect de la STCW (Convention on Standards of Training, Certification and Watchkeeping for Seafarers). Le prochain audit de l’Agence européenne de sécurité maritime (EMSA) aura lieu en octobre.
Le capitaine Djurre Jan Schutte aide le gouvernement philippin à bien s’y préparer. Dans les locaux de la PMMA – l’école maritime la plus ancienne des Philippines et la seule formation publique du pays –, il détaille: « Les marins philippins sont de plus en plus nombreux et le nombre d’écoles a explosé. Ce sont des formations privées et payantes. C’est devenu un vrai business. »
Une école coûte 3 000 $ par an
En moyenne, une école coûte 3 000 $ l’année, une petite fortune en comparaison du salaire mensuel moyen philippin de 115 €. Mais également un placement quand on sait combien le futur marin sera payé. « Le plus gros problème, poursuit-il, c’est que souvent les élèves ne partent pas en mer durant leur formation. Les cadets ont de plus en plus de difficultés à trouver leur stage. Avec la législation, les armateurs doivent respecter tout un tas de choses à bord et rechignent à les employer. »
Sur la centaine d’écoles existantes, le gouvernement a déjà demandé la fermeture de trois d’entre elles, exigé un meilleur équipement des centres, plus de présence à bord ou davantage de formations pour les marins accédant à des postes qualifiés. Mais même si l’Union européenne reconnaît son application, il lui reste encore beaucoup à faire. Le problème principal étant le manque de personnel disponible dans l’administration, au niveau local et régional, pour surveiller les programmes des écoles.
Face à cette réorganisation, le marché de l’emploi des marins, lui, ne connaît pas la crise. Chaque année, ils sont de plus en plus nombreux à prendre la mer. En 2012, plus de 367 000 Philippins ont travaillé en mer. En l’espace de vingt ans – de 1992 à 2012 –, leur nombre a doublé.
Le capitaine Eleazar G.Diaz dirige Crossworld, une agence de manning. Il est en contact direct avec les écoles, où il recrute pour plus d’une trentaine d’armateurs étrangers, principalement européens. Il détaille: « Le personnel philippin est apprécié et recherché. Il se positionne à des postes de plus en plus élevés sur les navires internationaux. Des pays, comme la Norvège, par exemple, embauchent de moins en moins de nationaux à bord. Là-bas, plus personne n’aspire à être marin et on cherche à réduire les coûts. Aujourd’hui, on trouve des Philippins capitaines sur des navires chimiques ou à risque. Une chose impensable il y a encore dix ans. »
Des Philippins à tous les postes
Une situation confirmée par Bourbon, l’armateur français qui souhaite accroître le nombre de marins philippins sur ses navires. « Bourbon emploie 500 marins philippins, dont 150 officiers. Ils occupent toutes les positions, commandant, lieutenant, chef mécanicien. […] Mais le marché se tend pour trouver des officiers seniors, qui sont de plus en plus demandés », détaille Evelyne Iliou, chargée de recrutement pour le groupe.
Une idée partagée par Alexander Querol, de Magsaysay, une des plus grosses agences de manning des Philippines. Tous les ans, elle recrute près de 35 000 marins. « Le nombre de navires augmente dans le monde et le besoin de personnel aussi. Et même si il y a d’autres nationalités, comme les Indiens, les Birmans ou les Chinois, la concurrence reste mineure. En effet les Indiens, par exemple, travaillent beaucoup pour leur flotte intérieure, et les Chinois ont également de nombreuses opportunités de travail dans leur pays. »
Aux Philippines, la situation reste différente. L’économie étant organisée depuis les années 1970 autour de cet envoi de travailleurs temporaires à l’étranger, d’abord comme ouvrier du bâtiment au Moyen-Orient, puis comme domestique, infirmier ou marin aux quatre coins du monde. Parmi ces OFW (Overseas Filipino Workers), comme on les appelle, les marins rapportent le plus. D’où l’importance pour les autorités de réformer leur système et respecter les conventions internationales.