Kalaw street, le « Pôle emploi » des marins philippins

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Non loin des effluves du port de Manille, Kalaw street est depuis plus de vingt-cinq ans le rendez-vous des marins philippins. Ici, face au parc Rizal – le héros et poète révolutionnaire national exécuté par les colons espagnols en 1896 –, les marins de tout le pays se retrouvent, pour chercher un emploi, flâner, jouer aux échecs, se faire masser ou engloutir un chicken adobo, un plat philippin à base de poulet mariné au soja et de riz.

Dans son petit box, au milieu de la foule, Michael Dialogo alpague les candidats. Sur des petites affiches en papier, il propose des postes pour des armateurs étrangers. « Tanker, troisième ingénieur » ou « Cargo, cuisinier, urgent ».

Ancien marin, Michael a lui-même navigué pendant vingt-cinq ans, avant de devenir recruteur. Il travaille aujourd’hui pour l’une des 377 agences accréditées et reconnues par les autorités. En effet, pour lutter contre les bureaux clandestins et leurs pratiques illégales – embauche contre paiement, black-listing du personnel ou non-respect de l’âge minimum –, le gouvernement a dressé une liste de bureaux officiels. Ainsi, le candidat averti peut facilement vérifier la validité de son offre d’emploi.

Un lieu informel

Mais Kalaw street est un lieu informel où l’emploi tient souvent davantage du marchandage que de l’entretien d’embauche. Néanmoins, toutes les agences y possèdent un représentant. « La plupart des marins sont provinciaux. Ils sont originaires du sud du pays, des Visayas ou de Mindanao. C’est pour ça que cette rue a été créée. Quand ils arrivent à Manille, ils n’ont pas besoin de se disperser aux quatre coins de la ville et de perdre leur temps dans les bouchons. Ils viennent directement ici », explique Michael. Non loin de là, pour à peine quelques euros la nuit , ils peuvent être hébergés dans des dortoirs ou manger pour moins d’un euro.

Surtout fréquenté le lundi et le mardi, Kalaw street ne désemplit cependant pas le reste de la semaine, sauf le week-end. Selon les agences, si le marché de l’emploi se porte bien pour les marins philippins, ce sont d’abord les cadets qui peinent à trouver une place pour valider leur formation. À Kalaw street, ils déambulent par grappes entières, des adolescents à la recherche d’un stage, les yeux rivés sur leur portable.

Masseurs, gadgets et tests médicaux

Assis sur un petit tabouret en plastique, Lito attend patiemment dans un coin. Il observe le fouillis de la rue, les masseurs à ventouses, les vendeurs d’huile miracle à soigner toutes les douleurs et guérir toutes les maladies du bord. Ici, on trouve de tout et surtout une multitude de gadgets: agrafeuses à coudre, DVD piratés pour se former vite et moins cher, lunettes de soleil à un euro à peine, montres waterproof… Au beau milieu, une petite table où une infirmière prend la tension et propose des tests urinaires ou de cholestérol. Un moyen de se rassurer avant d’obtenir le certificat médical national obligatoire pour monter à bord. Plus loin, les candidats au départ peuvent également faire leurs photos d’identité, ouvrir un compte bancaire ou trouver une formation.

Lito doit justement suivre une formation avant d’embarquer, comme second officier. « Bien sûr, j’aurais préféré profiter de mon séjour à terre pour passer du temps avec ma famille. » Originaire du sud du pays, de la région des Visayas, il a laissé ses trois enfants et sa femme dans sa ville natale. Comme beaucoup de marins philippins, il peste contre la législation et toutes les nouvelles formations imposées par la STCW (Convention on Standards of Training, Certification and Watchkeeping for Seafarers). « À présent, à presque chaque nouveau poste, nous avons à faire une formation. Et le problème aux Philippines, c’est que peu d’employeurs prennent ces stages en charge. Pour rester à niveau et concurrentiel, nous devons les payer de notre poche et cela nous prend et de l’argent, et du temps. » À quarante ans passés, Lito espère ne plus monter à bord d’ici quelques années. Il a prévu de changer de métier. Grâce à l’argent épargné avec son salaire de marin (une petite fortune, en comparaison avec les 100 $ de revenu moyen philippin), il a monté son entreprise de construction. En son absence sa femme la dirige, mais il en reprendra bientôt les rênes.

Rangé des navires

Non loin de là, Chuckee, qui s’est retiré il y a plusieurs années de la marine marchande. Pendant plus de 25 ans, ce second officier a navigué sur toutes les mers du monde. Aujourd’hui, il est formateur, même s’il gagne facilement cinq fois moins. « À l’international, la législation est de plus en plus restrictive. Souvent, les marins ne peuvent plus sortir du port ou très brièvement. Pour être honnête, la vie à bord durant des semaines, je ne supportais plus. » Il en a eu marre du roulement de la mer, de la solitude et de l’éloignement. Pourtant, Chuckee revient à Manille pour voir ses anciens collègues. Il a renoncé à la mer, mais pas à Kalaw street.

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