Marc Fiévet: infiltré au cœur de la mafia

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Olivier Jourdan Roulot, éditions Hugo: Doc, 336 pages, 16,95 €

« Je suis le cocu de l’histoire, dit Marc Fiévet, victime d’une sale guerre », celle des drogues, qui lui a valu 3 888 jours de détention. Prisons espagnoles, anglaises, canadiennes et françaises. Le skipper à Gibraltar, en mal de revenus de complément, fournit des renseignements, infiltre des réseaux de narco­trafiquants, devenant l’un des meilleurs aviseurs des douanes, maillon logistique participant, infiltré dans les filières et les secrets du narcotrafic. Un agent double sans le moindre statut légal, donc sans protection, malgré les promesses et les contacts directs et répétés avec Michel Charasse, alors ministre des Finances, tutelle des douanes. Fiévet achète des cargos en Europe, supervise les travaux dans les chantiers navals, recrute des équipages. La douane le sait, l’encourage, le finance, même. En cinq ans et demi de renseignements et d’infiltration, il fait tomber 97 trafiquants. Saisies: cent tonnes de stups. Mais c’est par définition risqué. Impliqué, il finit par tomber lui aussi. Là, la hiérarchie des douanes françaises le lâche. L’abandonne à son costume de numéro 2 du narcotrafic mondial, comme le qualifie la presse canadienne à son arrestation en 1994. Furieux d’avoir lu dans un article de presse qu’il n’avait pas levé le petit doigt pour sortir son ancien agent des griffes des juges et des geôles des différents pays qui l’on détenu, Michel Charasse fera même à son ancien aviseur un procès, qu’il perdra. Une cascade de lâchetés successives, note Fiévet.

Dans les eaux troubles du narcotrafic

C’est de ce récit, dans le cœur de l’action et en pleine tourmente judiciaire et pénitentiaire, que s’inspire le film Gibraltar, l’adaptation au cinéma du réalisateur Julien Leclercq, fiction à peine démarquée, qui sort en même temps que ce livre. Infiltré au cœur de la mafia est effectivement écrit comme une aventure, un chassé-croisé entre les épisodes judiciaires et pénitentiaires, un flash-back dans les années d’infiltration du poisson Fievet dans les eaux troubles du narcotrafic. Il croise des tueurs et barbouzes antibasques du GAL, d’anciens du SAC, des militants de l’IRA qui ont recours au trafic de tonnes de cocaïne pour se financer. Une suite de péripéties où le risque est permanent, sur fond d’embrouilles, de promesses non tenues, de coopérations sabotées, rivalités entre les douanes des différents pays, de coups tordus et de coups ratés. C’est d’ailleurs ce qui agace l’aviseur: que tous ses renseignements ne soient pas exploités et soldés par des saisies et des arrestations.

Agents doubles

Ce récit ne ferait pas une bonne pub pour le recrutement de nouveaux aviseurs. Marc Fiévet dénonce le flou qui laisse penser que les indics des services, police, gendarmerie, douanes, sont tous des malfaiteurs passés agents doubles. Des traîtres issus de la délinquance. Ce qui ne semble pas être le cas de Marc Fievet, même s’il concède avoir, dans les années qui ont précédé son activité d’aviseur des douanes, transporté des armes vers le Moyen-Orient, dans les camions de sa société de transport d’alors.

Les opérations dans lesquelles ces indics s’engagent contre des trafiquants anglais ou italiens, des fournisseurs colombiens ou jamaïquains sont plus que parfaitement connues de la hiérarchie douanière. Elles sont financées, encouragées, couvertes dans un premier temps par des fonctionnaires qui en espèrent des retombées directes: saisies, arrestations. Et qui tournent le dos à leur ex-agent dès que ça tourne mal.

« À travers cette affaire se pose la question de la continuité de l’action de l’État entre ceux qui, à un moment donné, s’engagent, et ceux qui, à un moment ultérieur, devraient tenir ces engagements. Ou, s’ils ne le souhaitent pas, devraient s’en expliquer sans détour plutôt que de refuser de répondre, d’arguer d’un quelconque secret professionnel ou encore d’un secret Défense aussi circonstanciel que pitoyable », écrit Jean-Henri Hoguet, à la tête de la Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières de 1987 à 1991, quand Marc Fiévet a été recruté.

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