« Cap sur les 10 millions de tonnes »

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JOURNAL DE LA MARINE MARCHANDE (JMM): QUEL EST L’ÉTAT DU TRAFIC?

MICHEL PUYRAZAT (M.P.): Le trafic des premiers mois de 2013 a été génial. Nous avons eu une saison céréalière exceptionnelle, mais elle n’explique pas tout, puisque les autres trafics enregistrent aussi de bons résultats. Il y a en effet un aspect contextuel lié à la montée en puissance de La Rochelle. Le trafic global a baissé l’an dernier de 1 %, mais les autres ports étaient plutôt autour de − 4 %. Nous sommes bien dans l’objectif annoncé des 10 Mt à l’horizon 2015-2016.

Nous savons déjà que le second semestre ne sera pas aussi bon que le premier. Les résultats finaux vont dépendre des trafics céréaliers. Nous devrions cependant terminer avec une hausse d’un peu plus de 9 %.

JMM: LES CÉRÉALES REPRÉSENTENT 40 % DES TRAFICS. ENVISAGEZ-VOUS UN RÉÉQUILIBRAGE DE CES TRAFICS?

M.P.: Le port de La Rochelle se veut polyvalent. Nous développons des filières, nous diversifions. C’est ce qui s’est passé au cours des dernières années avec Holcim, dont le démarrage doit se faire en fin d’année, ou les vracs industriels. Mais c’est vrai que nous avons une excellente filière céréales. Nous sommes le second port céréalier français. Si les clients sont prêts à payer trois ou quatre euros de plus par tonne pour les céréales qui partent de La Pallice, ce n’est pas pour rien, mais bien pour la qualité de nos services. Nous ne voulons pas perdre ce leadership et nous continuerons d’accompagner la Sica et Soufflet dans leur développement.

JMM: COMMENT SE FAIT CET ACCOMPAGNEMENT?

M.P.: Cela passe évidemment par le montant des investissements dans le port. Ces investissements ont été de 14,7 M€ en 2012, ils ont explosé cette année à 28 M€, dont une grosse partie est passée dans le déroctage. Cela se poursuivra dans le projet stratégique 2014-2019.

Les financements ont été apportés par le contrat de projet État-Région et par le plan de relance portuaire. Ce premier contrat de projet a permis d’investir 10 M€ dans le réseau ferré du port après qu’il en est devenu propriétaire et d’aménager l’anse Saint-Marc, dont il ne reste que la deuxième tranche à terminer.

Un appel d’offres a d’ailleurs été lancé début septembre pour y aménager un deuxième quai. L’investissement portera au total sur 24 M€. Une première partie a déjà été réalisée pour 9,5 M€. La deuxième partie porte sur 10,5 M€. À ces deux principaux postes s’en ajoutent d’autres, comme le déroctage. Le premier quai déjà en place, qui a été concédé à Eva et Maritime Kuhn, va être prolongé de 200 mètres linéaires. Les travaux sur cette seconde partie de l’anse Saint-Marc vont démarrer en fin d’année pour s’achever fin 2013 début 2014. Sa mise en service va se traduire par une augmentation des trafics.

Quant au plan de relance portuaire, il a concerné le port de service. Ses structures étaient fragiles, elles ont été renforcées et son aménagement complètement repris. Le port de service est d’autant plus important qu’il doit accompagner l’augmentation du trafic. Ses capacités doivent rester en adéquation avec cet accroissement. Le plan stratégique 2009-2013 est en phase avec ce qui avait été prévu, que ce soit pour les investissements qui ont tous été réalisés ou pour l’évolution du trafic.

JMM: OÙ EN EST L’AMÉNAGEMENT DU SITE DE LA REPENTIE?

M.P.: La digue, qui est terminée depuis mars 2012, a représenté un investissement de 7,2 M€. Le port intervient pour le quart de ces financements. Les collectivités locales sont très volontaires pour contribuer au développement du port et l’État les suit. Cela crée une dynamique, un effet de levier.

Le comblement du casier formé par la digue est en cours et a été accéléré par le déroctage, mais les remblais ne sont pas encore compactés. Nous allons commencer à utiliser l’espace qui se dégage grâce à ce comblement. Cet aménagement va se faire d’autant plus rapidement que nous avons besoin d’espace, une vingtaine d’hectares, pour 2016-2019 afin d’y assembler des éoliennes pour les sites éoliens off shore. Le port de La Rochelle devrait servir de manière ponctuelle et temporaire à ce projet. Nantes est déjà positionné pour fabriquer les éoliennes pour le marché européen, Saint-Nazaire pour l’assemblage. Mais il y a un vrai problème de surfaces disponibles pour alimenter la création de ces sites off shore. Notre but est d’être complémentaire des autres ports déjà positionnés sur le projet, Nantes, Saint-Nazaire, Lorient et Brest.

Nous travaillons aussi sur la desserte du môle d’escale. Une étude est lancée pour savoir si nous devons la faire sauter ou la rendre transparente.

JMM: LE QUAI LOMBARD VIENT D’ÊTRE REFAIT. COMMENT S’EST ORGANISÉ LE CHANTIER?

M.P.: Cette année, nous aurons investi 28 M€, dont une bonne partie dans le quai Lombard avec la Sica. Cette dernière a mis en place un nouveau portique, nous avons réhabilité le quai lui-même. Il a été consolidé et renforcé et il est parfaitement adapté à l’accueil des navires. Les capacités du port permettaient déjà l’accueil de grands navires. Mais c’est encore plus vrai avec ces travaux réalisés sur le quai Lombard et ceux du déroctage. Malgré le chantier en cours sur le quai, l’exploitation du quai s’est poursuivie. Les navires ont été accueillis normalement et nous avons réalisé un tonnage record sur les trafics de céréales. Nous avons travaillé en partenariat avec la Sica pour y parvenir. Elle a pris à sa charge les surcoûts pour que puissent continuer à la fois le chantier et le chargement des navires.

JMM: QUELS SONT LES AXES DE DÉVELOPPEMENT POUR L’AVENIR?

M.P.: Nos priorités sont le report modal et le développement de l’hinterland. Le fer marchera d’autant mieux que nous aurons des marchandises à l’aller et au retour. Pour les céréales, il est possible de faire repartir des produits pour l’alimentation animale et des engrais. C’est pour y parvenir que nous travaillons sur un développement de l’hinterland qui passe notamment par le ferroviaire. Il nous faut des trains pleins et qui marchent dans les deux sens, pour permettre ensuite de rentabiliser les connexions ferroviaires.

Quand les voies ferrées sont entrées dans le giron du port en 2010, nous avons créé une OFP, détenue à 75,1 % par le port de La Rochelle et à 24,9 % par Euro Cargo Rail. Elle vient de se rapprocher de celle de Nantes Saint-Nazaire et de former l’OFP Atlantique. Ses parts sont désormais détenues à 50,2 % par La Rochelle, à 24,9 % par Nantes Saint-Nazaire et à 24,9 % par Euro Cargo Rail.

Nous menons un travail de fourmi avec Euro Cargo Rail pour la croissance du trafic. Désormais, ce travail se fera en commun entre les ports de la façade atlantique. Le but est de s’appuyer sur l’OFP pour accentuer le report modal et mutualiser nos réponses aux différents clients. Nous travaillons sur nos réseaux communs de clients et nous envisageons de créer des plates-formes pour faciliter le report modal.

JMM: MAIS N’ÊTES-VOUS PAS EN CONCURRENCE AVEC VOS VOISINS PORTUAIRES?

M.P.: La réforme portuaire a créé le conseil de coordination interportuaire de la façade atlantique, qui réunit Bordeaux, La Rochelle et Nantes Saint-Nazaire. Il a montré qu’il y a entre ces différents ports beaucoup moins de concurrence qu’on le croyait. Ce conseil permet un travail de diagnostic et de coopération, notamment à l’international. Désormais, quand nous démarchons à l’étranger, nous y allons ensemble. Ensuite, l’idée est que les atouts d’un port, qu’il s’agisse de fonctionnement, de compétences, puissent profiter aux autres. L’OFP Atlantique en est un exemple. Pour l’informatique, c’est Bordeaux qui a été le pionnier. Nous pouvons encore créer de nouvelles compétences à nous trois, faire des investissements intelligents qui profitent aux trois ports à la fois plutôt que d’entrer en concurrence.

Actuellement, nous réfléchissons sur nos hinterlands et sur la mise en place de plates-formes communes pour le report modal.

JMM: QUELS SONT LES OBSTACLES AU DÉVELOPPEMENT DU FERROVIAIRE?

M.P.: 95 % du trafic de La Rochelle se fait avec Poitiers. Nous avons ce problème de la voie unique entre Saint-Maixent et Lusignan, d’autant plus aigu que le fret passe après les voyageurs. Pour gagner en fiabilité de service et en régularité, il faudrait faire sauter ces nœuds critiques.

L’autre priorité, c’est le contournement ferroviaire de La Rochelle. Des études doivent être réalisées. Plusieurs fuseaux sont envisagés. Maxime Bono (maire de La Rochelle et président de la Communauté d’agglomération) s’est récemment prononcé clairement en faveur du lancement de ces études. L’importance de la desserte portuaire est liée aux infrastructures derrière. Le port n’est qu’un lieu de passage et il faut éviter les goulets d’étranglement.

Le contournement ferroviaire va coûter plusieurs centaines de millions d’euros, 400 M€ à 450 M€ étant les chiffres le plus souvent évoqués.

JMM: QUELS SONT LES AXES DU PROCHAIN PLAN STRATÉGIQUE?

M.P.: Le prochain plan est encore au stade de la réflexion et nos propositions seront remises en mars ou avril 2014. Mais nous savons d’ores et déjà que nous devons travailler sur les faiblesses du Grand port maritime, qui sont le réseau ferroviaire et la proximité de la ville, et nous avons aussi besoin de nouveaux quais.

Une autre difficulté est la superficie du port: 310 ha terrestres, 233 maritimes. Nous devons optimiser l’espace portuaire, définir un schéma spatial, redonner du sens à l’aménagement de l’espace alors que cet espace se raréfie.

Le dernier point, c’est l’optimisation des infrastructures existantes. Nous devons y réfléchir avec les manutentionnaires. Nous avons beaucoup investi. Là encore, nous devons optimiser et, par exemple, étendre les plages horaires.

JMM: LA PROXIMITÉ ENTRE LA VILLE ET LE PORT CRÉE DES TENSIONS. QU’EST-IL PRÉVU POUR Y REMÉDIER?

M.P.: Il faut une attitude et un comportement. Nous sommes obligés de nous améliorer et de travailler sur notre impact sur l’environnement, de connaître les nuisances que génère le port et de les limiter. Nous avons désormais plusieurs normes ISO pour le port qui montrent les progrès réalisés. En matière d’investissements, nous allons construire la Maison du port, qui fera l’interface entre la ville et le port, comme le fait déjà La Sirène (espace dédié aux musiques actuelles). Les travaux commencent, elle sera terminée fin 2014.

Nous travaillons avec la ville sur l’aménagement du boulevard Delmas. Le parking que nous avons aménagé est mis à la disposition pour les spectateurs de La Sirène quand il n’est pas utilisé par les croisières.

Nous avons eu aussi 4 600 visiteurs lors de la journée du port de commerce, qui s’est déroulée le même jour que la fête du quartier, « Boulevard de la soif ».

JMM: DEPUIS VOTRE ARRIVÉE EN FÉVRIER, QUELLE ATMOSPHÈRE AVEZ-VOUS TROUVÉ SUR LA PLACE PORTUAIRE ROCHELAISE?

M.P.: Le port a su pleinement exploiter les instances de gouvernance instaurées par la réforme portuaire, le conseil de développement et le conseil de surveillance. Il y a à La Rochelle un vrai travail collectif et une gouvernance exemplaire.

Le levier du changement de statut

Quand La Rochelle est devenu Port autonome puis Grand port maritime, certains ont fait la moue et mis ce changement de statut sur le compte de la bienveillance du ministre des Transports, par ailleurs président du conseil général de Charente-Maritime. Mais les râleurs ont oublié un peu vite que La Rochelle est aussi le deuxième port céréalier de France, le premier pour le bois et pour la pâte à papier.

Aujourd’hui, plus personne n’irait mettre en doute sa place dans la cour des grands. D’autant que le port a pris son essor, grâce notamment à des investissements dopés par le changement de statut. Entre le contrat de projet 2007-2013 et le plan de relance portuaire, c’est 120 M€ qui ont été apportés au port au cours des six dernières années, soit autour de 20 M€ par an.

Cela a eu un effet très net sur les trafics, qui vont largement dépasser les 9 Mt cette année. Le démarrage de l’activité d’Holcim devrait les aider à s’accroître encore davantage en 2014 pour atteindre les 10 Mt annoncées en 2015.

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