Le système portuaire espagnol est original à plus d’un titre. Alors que l’Espagne se caractérise par une importante décentralisation avec 17 régions (« communautés autonomes »), la centralisation est la règle en raison de l’importance stratégique des ports dans le commerce extérieur espagnol (60 % des exportations et 85 % des exportations). Le système portuaire espagnol est chapeauté par une entité publique, Puertos del Estado, qui dépend du ministère de l’Équipement.
Certes, les présidents des 28 autorités portuaires (AP) sont nommés par les régions, et les conseils d’administration sont ouverts aux représentants des régions, des municipalités et des chambres de commerce. Les conseils d’administration, qui se réunissent généralement tous les mois, ont de réels pouvoirs: ce ne sont pas des organismes consultatifs. Cependant, les investissements des AP et le niveau des droits portuaires, contenus dans les « plans d’entreprise » annuels, doivent être préalablement présentés à Puertos del Estado qui, après une phase de concertation, donne le feu vert. « Un investissement qui n’est pas inclus dans le plan d’entreprise validé par Puertos del Estado ne peut en aucun cas être réalisé », précise José Llorca, président de Puertos del Estado.
Chaque AP détermine un coefficient correcteur
Le système des droits portuaires encadre la concurrence entre les ports. Puertos del Estado fixe les droits de base et chaque AP détermine un coefficient correcteur. En 2013, les AP de Carthagène et de Tarragone ont fixé le coefficient le plus bas pour le droit sur le navire (0,95) et La Corogne, le plus élevé (1,3). Algésiras, Barcelone et Bilbao sont à 1. À cela s’ajoutent les bonifications pour les trafics spécifiques (conteneurs, ro-ro, etc.) dont l’ampleur maximum est déterminée par Puertos del Estado.
L’embauche de personnel et les conditions de travail du personnel des AP sont également déterminées au niveau national. Ainsi, dans le contexte d’austérité défini par le gouvernement espagnol, les AP ne peuvent pas embaucher de personnel supplémentaire, même si elles en ont les moyens financiers. Ce dispositif contraignant est loin de faire l’unanimité, d’autant qu’il n’a pas permis d’éviter les dérapages catastrophiques dans l’exécution des projets des ports extérieurs de Gijón et de La Corogne. Dans les deux cas, Puertos del Estado a dû accorder des prêts exceptionnels afin de permettre l’achèvement des travaux (215 M€ pour Gijón en février 2010 et 250 M€ pour la Corogne en juillet 2011).
Manuel Morón, président de l’Autorité portuaire de la baie d’Algésiras (APBA), située en Andalousie, une région gouvernée par le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE), a critiqué le fait de ne pas pouvoir utiliser le port pour lutter contre la crise, notamment en augmentant l’emploi. Mais ce sont surtout la Catalogne et le Pays basque espagnol, gouvernés par des partis nationalistes, qui sont les plus virulents: ces deux régions souhaiteraient que la gestion des ports de commerce situés dans leurs territoires respectifs (Barcelone et Tarragone pour la Catalogne; Bilbao et Pasajes pour le Pays basque espagnol) leur soit transférée. Au siège de Puertos del Estado, à Madrid, on affirme qu’un tel transfert n’est pas envisagé.
Les critiques ne doivent pas masquer le fait que le modèle espagnol affiche des résultats satisfaisants. Outre la croissance du trafic, le système portuaire dans son ensemble a dégagé en 2012 un bénéfice consolidé de 236 M€ (+ 44 %) pour un chiffre d’affaires de 1 Md € et une rentabilité de 2,1 % (contre 1,7 % en 2011), grâce à une gestion draconienne: réduction des investissements de 27 % (492 M€) et de l’endettement à long terme de 81 M€. Le chiffre des bénéfices attise les convoitises en période de crise et de redressement des finances publiques. Le ministère des Finances a tenté, semble-t-il, de s’approprier une partie de ce surplus via une augmentation de la fiscalité. Le « magot » des ports explique aussi les rumeurs récentes de privatisation de Puertos del Estado dont la presse économique espagnole a fait état.
96 M€ de bonifications
« Les ports n’ont pas vocation à accumuler des bénéfices », aime à répéter José Llorca. L’objectif est de « transférer » à l’économie privée les gains d’efficience obtenus par le système portuaire. En 2012, les bonifications ont représenté un apport de 96 M€, mais Puertos del Estado veut aller plus loin avec la baisse annoncée des droits de base en 2013. Un autre objectif important est de réduire les coûts du système portuaire et d’en améliorer l’efficacité.
Puertos del Estado estime que les ports espagnols ont un niveau de coûts excessif et met l’accent sur la manutention. Le premier rapport de l’Observatoire permanent du marché des services portuaires, un organisme créé par la loi de 2010, présenté en juillet 2013 et élaboré sur la base des données correspondantes à 17 terminaux portuaires espagnols, montre que la main-d’œuvre représente en moyenne 52 % du coût de la manipulation d’un conteneur et 60 % en cas de transbordement. Ce document met l’accent sur la question du coût de la main-d’œuvre et sa présentation intervient alors que la Commission de Bruxelles a décidé en juin 2013 de saisir le saisir la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) à propos du système d’emploi de la main-d’œuvre, jugé non conforme au Traité de l’Union européenne.
L’attitude de Puertos del Estado est en phase avec les demandes du secteur privé. Lors de la dernière Assemblée générale de l’Association des compagnies maritimes espagnoles (Anave), en juin 2013, son président, Adolfo Utor, a estimé que la baisse des droits portuaires est « très nécessaire ». L’Association nationale des entreprises manutentionnaires et consignataires de navires (Anesco) demande une baisse des coûts portuaires et une flexibilité accrue. « Les droits portuaires doivent être adaptés à la situation économique actuelle », affirme Carlos Larrañaga, président d’Anesco. Les utilisateurs du système portuaire, notamment les constructeurs d’automobiles, estiment qu’ils ont fait des ajustements de productivité et de coûts en interne et que les ports espagnols, comme le reste du système logistique, doivent en faire de même.
Les syndicats réagissent vivement dès qu’on évoque le coût de la manutention. « Il est évident que la manutention représente le principal coût lors du passage d’un navire dans un port. Mais il faut aussi considérer les autres coûts: remorquage, pilotage, etc. », affirme Miguel Rodriguez, porte-parole de la Coordinadora Estatal de Trabajadores del Mar (CETM), syndicat largement majoritaire dans la manutention (77 % de la représentation syndicale). Cependant, le syndicat privilégie la négociation. « Notre priorité est le maintien des postes de travail, mais il est hors de question pour nous d’affecter la compétitivité des ports espagnols », précise-t-il.
Le 4 juillet, José Llorca a annoncé que le gouvernement allait présenter un projet de réforme de la loi portuaire en vigueur. Par ailleurs, une réduction des droits portuaires de base sera effective dès 2013. Il est clair que pour le gouvernement espagnol, la compétitivité des ports est un objectif prioritaire.