JOURNAL DE LA MARINE MARCHANDE (JMM): COMMENT EXPLIQUEZ-VOUS LE DYNAMISME DU TRAFIC PORTUAIRE ESPAGNOL DANS UN CONTEXTE DE CRISE?
JOSÉ LLORCA (J.L.): La crise économique a provoqué une baisse des entrées de marchandises mais les entreprises espagnoles ont réduit leurs coûts et augmenté leurs exportations de manière significative. L’année dernière, les exportations de conteneurs ont augmenté de 12 % et le trafic import/export de 5,7 %. Le trafic de transbordement, qui représente la moitié du trafic total de conteneurs de 14 MEVP, s’est maintenu. Le port de Valence a réussi à se hisser au premier rang en Espagne et en Méditerranée dans les conteneurs grâce à une stratégie équilibrée de développement simultané des trafics d’import/export et de transbordement.
Cette dynamique de trafic a été rendue possible parce que le modèle portuaire en vigueur en Espagne depuis plus de vingt ans établit une distinction claire entre les rôles des autorités portuaires en tant que propriétaires des infrastructures et le secteur privé en tant qu’investisseur dans le cadre de concessions. En Espagne, il est inconcevable qu’une autorité portuaire achète et opère une grue. Ce système a renforcé la confiance dans le secteur privé qui a investi et a créé un degré élevé de fidélisation des compagnies maritimes.
JMM: QUEL EST LE RÔLE DE PUERTOS DEL ESTADO?
J.L.: Puertos del Estado a trois missions principales. La première est celle de réguler le système portuaire dans son ensemble. Nous devons faire en sorte que les conditions de la concurrence soient les mêmes pour tous les ports. Le plan d’entreprise annuel, que chacune des 28 entreprises doit présenter à Puertos del Estado pour être négocié et approuvé, est un instrument clé. Le plan d’entreprise détermine, notamment, les investissements à réaliser et le niveau des droits portuaires.
Puertos del Estado a également une mission de contrôle et d’audit du système portuaire. Il doit s’assurer que les autorités portuaires respectent la législation en vigueur. Enfin, c’est l’organisme spécialisé du gouvernement en matière de politique portuaire: il est chargé d’appliquer la stratégie globale en matière de transports du ministère de l’Équipement, tout en préservant l’autonomie des autorités portuaires.
JMM: QUEL BILAN TIREZ-VOUS DE L’APPLICATION DE LA LOI SUR LES PORTS APPROUVÉE EN 2010?
J.L.: La réforme approuvée par le Parlement en 2010 est importante dans la mesure où elle a été le résultat d’un consensus entre les deux principaux partis politiques espagnols. Cependant, le changement fondamental s’est produit en 2003 avec l’approbation de la loi 48/2003 qui a défini les caractéristiques principales du système en vigueur actuellement.
Cette loi a introduit le système des droits portuaires avec la possibilité d’apporter des bonifications pour des trafics déterminés et a établi un système de concurrence en matière de prestation de services portuaires et de libre accès régulé. Le texte a également introduit la privatisation des sociétés de gestion du personnel de la manutention.
Le bilan est positif. En 2012, les bonifications de trafics ont atteint 96 M€ et le système portuaire espagnol dans son ensemble a dégagé un bénéfice net de 236 M€ (+ 44 % par rapport à 2011). Nous avons transféré à l’économie productive une partie de l’amélioration de l’efficacité du système portuaire. Néanmoins, les niveaux des coûts d’escale et de manutention demeurent élevés si on les compare à ceux de nos concurrents immédiats.
JMM: QUELLES INITIATIVES COMPTEZ-VOUS PRENDRE?
J.L.: Le gouvernement prépare actuellement un projet de modification de la loi en vigueur. Il s’agit d’abord de réduire les coûts portuaires relatifs à l’utilisation des infrastructures et les coûts fixes des concessionnaires relatifs à l’occupation privative du domaine public. De plus, les possibilités de bonifications seront élargies pour certains trafics, notamment le transbordement. La durée des concessions pourra atteindre jusqu’à 50 ans (contre 35 actuellement).
Le projet comportera également l’élimination des barrières d’accès à la prestation de services avec la mise en place d’exigences identiques pour tous les prestataires et la rationalisation des tarifs maximum, dans le cas d’un prestataire unique, y compris leur désindexation. La flexibilisation de la manutention, en évitant les rigidités et en développant des mécanismes qui favorisent la réduction des coûts, est un autre dossier que nous devrons forcément aborder, en raison de la situation créée par la décision de la Commission de saisir la Cour de Justice de l’Union européenne à propos de notre législation actuelle.
JMM: COMMENT VOYEZ-VOUS L’INTÉGRATION DES PORTS DANS LES RÉSEAUX DE TRANSPORTS?
J.L.: Il faut continuer à améliorer la connectivité routière et ferroviaire de nos ports. Nous sommes favorables au cofinancement des accès avec les autorités portuaires, dans les cas où ceci est possible. Il est prévu de créer un Fonds ferroportuaire. L’amélioration de l’efficacité de l’intermodalité maritime/terrestre doit être un élément d’impulsion du trafic portuaire et de réduction des coûts logistiques.