JOURNAL DE LA MARINE MARCHANDE (JMM): EN 2012, LE PORT DE LA MARTINIQUE A VU SON TRAFIC S’ACCROÎTRE DE 10 % SANS POUR AUTANT REVENIR À SON NIVEAU DE 2006 (3,25 MT). COMMENT ANALYSEZ-VOUS CETTE ÉVOLUTION ET QUELS SONT LES PREMIERS RÉSULTATS DU PORT EN 2013?
JEAN-RÉMY VILLAGEOIS (J.-R.V.): Nous avons réalisé une bonne année 2012 avec une croissance de 10,4 % de notre trafic à 3,1 Mt. Une progression que nous devons principalement aux vracs liquides dont la hausse a été la plus marquante avec une augmentation de 25,2 % de ce poste à 1,45 Mt. Il s’agit plus d’un retour à une activité normale qu’une tendance lourde. En 2011, la raffinerie de la Sara (Société anonyme de la raffinerie des Antilles) a subi des arrêts techniques. En 2012, l’activité revient à des niveaux semblables aux années précédentes.
Du côté des vracs solides, l’activité est plus soutenue. Après une hausse relative en 2011 de 0,7 %, en 2012, les trafics de vracs solides ont augmenté de 3,7 %. Nous avons constaté un essor du trafic de céréales et un développement intéressant des importations d’engrais. Par contre, le clinker, élément reflet de l’économie, est stable.
Enfin, du côté des marchandises diverses, le trafic conteneurisé se stabilise en tonnage à 1,4 Mt mais accuse un repli sur le nombre de conteneurs de 4,9 % à 143 728 EVP. Le nombre d’EVP vides a augmenté et celui des pleins se replie. Un phénomène qui s’explique par le rôle de hub que joue le port. Nous avons réalisé un trafic de transbordement d’environ 10 000 boîtes en 2012.
JMM: ET LES PREMIERS MOIS DE 2013 CONFIRMENT CES DIFFÉRENTES TENDANCES?
J.-R.V.: Sur le premier trimestre de cette année, en trafic cumulé, nous accusons une baisse de 25,3 % à 560 343 t. Sur le trafic de vracs liquides, l’arrêt technique de la Sara pèse lourdement. Les 151 376 t de pétrole brut reçues au premier semestre 2012 nous font défaut. À l’inverse, sur les vracs solides, les bonnes performances des céréales et des engrais se confirment. Ainsi, pour les engrais, sur l’année glissante, la progression atteint 20 %.
Enfin, pour les conteneurs, les mois de janvier et février ont été difficiles en raison de deux navires de CMA CGM en réparation. Les volumes s’en ressentent, mais le rattrapage est en cours. Nous accusons un repli de 4,8 % à 32 522 EVP. Sur l’année glissante, d’avril 2012 à mars 2013, cette contraction est moindre puisque nous ne perdons que 1,1 % à 142 099 EVP par rapport à l’année civile 2012.
Ces chiffres démontrent d’une tendance de fond d’un recul de trafic en importation qui est inéluctablement rattachée à la baisse de la consommation de l’île. La démographie de notre région se stabilise et les richesses des habitants n’augmentent pas, ce qui a un effet direct sur les importations de produits par conteneurs. Il nous faut donc chercher de nouveaux relais de croissance.
JMM: LA COURBE DES TRAFICS DES VRACS LIQUIDES MONTRE SON INCONSTANCE CES DERNIÈRES ANNÉES. PENSEZ-VOUS QUE LE DÉBAT SUR LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE POURRAIT MODIFIER LA STRUCTURE DES TRAFICS ÉNERGÉTIQUES DE L’ÎLE?
J.-R.V.: Vous avez raison de le noter, entre l’usine EDF de Bellefontaine qui s’approvisionne en fuel lourd, la raffinerie de la Sara avec ses arrêts techniques et les exportations de produits raffinés, la courbe de nos trafics de vracs liquides subit des variations importantes. La Martinique est à la recherche de sources non intermittentes comme le solaire ou l’éolien pour développer ses ressources énergétiques. Ce besoin peut se faire par des sources comme la biomasse alimentée par des « pellets » de bois. La transition énergétique prend aussi en compte les émissions par les navires. Les Caraïbes ne sont pas en zone Seca (Sulfur Emission Control Area) mais nous sommes soucieux de notre image environnementale. Nous réfléchissons à offrir le courant de quai (cold ironing) aux navires de croisières ou la mise en place de scrubbers pour les navires.
JMM: LE 22 FÉVRIER 2012, LA LOI PORTANT RÉFORME PORTUAIRE DES ÉTABLISSEMENTS D’OUTRE-MER A ÉTÉ ADOPTÉE. COMMENT S’EST DÉROULÉ LE CALENDRIER ET QUELLES SONT LES PROCHAINES ÉTAPES?
J.-R.V.: Après la loi du 22 février 2012, le gouvernement a nommé un préfigurateur. J’ai assumé ce rôle depuis le début du mois d’octobre pour préparer la transition. Le 2 janvier, le Grand port maritime de la Martinique est né sans que cela n’affecte les activités au quotidien. Du point de vue social, le transfert et le détachement des personnels se sont réalisés sans heurts. Nous avons regroupé sous la nouvelle entité l’ensemble des personnels qui, auparavant, relevaient soit de la CCI soit d’autres autorités. Ainsi, les personnels de la capitainerie et les fonctionnaires sont détachés quand les personnels d’exploitation et administratifs ont été transférés. Ces transferts n’ont pas concerné l’outillage ou les personnels de manutention comme en métropole. Désormais, tous les personnels du port relèvent de la convention collective nationale unifiée.
Au cours de la période de préfiguration, la tâche a surtout été d’expliquer et de rassurer. Beaucoup de personnes ont montré des signes d’inquiétude, mais nous n’avons pas eu de bras de fer social.
Après cette mise en place, nous avons dû créer les nouveaux organes de gouvernance du port. Le premier conseil de surveillance s’est tenu le 25 mars. Le président a été élu en la personne de Jean-Marc Ampigny. Fin avril, le directoire a été constitué et j’ai été élu comme président.
Nous sommes en cours de préparation du conseil de développement. Il sera composé d’une vingtaine de personnes avec des clients du port, des associations de consommateurs, des employés de la manutention, des associations d’écologistes et de défense de l’environnement et des représentants des collectivités. Il devrait être opérationnel dans les premiers jours de l’été.
Nous voulons donner à cette instance un rôle fort. Le monde portuaire a une carte cruciale à jouer dans l’économie de l’île et les manutentionnaires attendent beaucoup de cet organisme. Je ferais tout mon possible mais je ne peux pas donner la lune.
Avec cette nouvelle configuration du Grand port maritime de la Martinique, nous voulons aussi travailler en interportuaire avec la Guadeloupe. Les opérateurs attendent beaucoup de cette coopération entre nos deux îles, à tous les niveaux.
JMM: OUTRE L’INSTALLATION DES NOUVEAUX ORGANES DE GOUVERNANCE, LE PASSAGE EN GRAND PORT MARITIME SIGNIFIE AUSSI L’ÉTABLISSEMENT D’UN PROJET STRATÉGIQUE. QUELS SERONT LES GRANDS AXES DE CE PROJET?
J.-R.V.: Ce projet est en cours. Il serait prématuré de dévoiler ses grandes orientations tant que les différentes étapes administratives ne sont pas terminées. Cependant, nous sommes actuellement dans une phase d’écoute des clients. Notre objectif est de passer d’un port d’importation à un port d’échange caribéen. Nous voulons aussi promouvoir le trafic entre les îles de la région.
Un autre axe sera aussi de profiter du troisième jeu d’écluses du canal de Panama dont l’échéance est prévue au premier semestre 2015. La mise en service de cette nouvelle infrastructure va offrir de nouvelles opportunités. Nous sommes actuellement un port domestique dont les trafics sont essentiellement tournés vers les besoins en consommation de l’île. Nous pouvons envisager un développement de l’activité, notamment sur le transbordement. Il ne s’agit pas de devenir un grand hub de la région mais de jouer un rôle dans la nouvelle distribution qui se dessinera à l’ouverture de ce jeu d’écluses.
Pour se faire, nous disposons des atouts principaux. Nous sommes à la croisée des routes maritimes entre les marchés de la côte Est de l’Amérique du Sud et ceux de la côte Est de l’Amérique du Nord. D’autre part, nous disposons d’outils modernes. Nos installations sont proches de la saturation. Par conséquent, avant même l’ouverture du nouveau canal de Panama, nous avons besoin de développer notre port. L’enquête publique est ouverte pour notre projet. Notre objectif est d’engager la première phase d’investissement d’ici à la fin de l’année.
JMM: QUELLES SONT LES GRANDES PHASES DE CE PROJET?
J.-R.V.: Ce projet, d’un coût global de 60 M€, comprend deux phases. La première, d’un montant de 15 M€, vise ce que nous appelons l’extension Est (voir encadré) qui nous permettra de créer un quai de 300 m linéaires supplémentaires. Nous attendons l’avis du conseil de surveillance. Nous prévoyons que cette première extension sera opérationnelle à la fin 2014. Elle permet de prendre déjà des parts de marché sur le transbordement et de nous offrir des capacités additionnelles de traitement des conteneurs. Elle doit aussi s’accompagner de l’acquisition d’un ou deux portiques ou de grues. Sur ce point, nous sommes actuellement en discussion avec les opérateurs. Nous interrogeons nos clients. Le groupe CMA CGM est fortement impliqué dans la manutention sur notre port et nous sommes en relation étroite avec ses dirigeants. Ils nous accompagnent sur la définition technique du port.
JMM: IL S’AGIT DE LA PREMIÈRE PHASE. QUELLE SERA LA SECONDE?
J.-R.V.: L’étape suivante concerne l’extension Nord. À la différence de la première extension dont la réalisation n’est pas liée au canal de Panama, la seconde phase dépend de l’évolution du trafic. Dans l’hypothèse où notre port serait desservi avec des unités de plus de 4 000 EVP, nous ne pourrons plus accueillir simultanément deux navires de cette capacité. Alors le volet 2 de cette extension (voir encadré) offre la possibilité d’adapter le port aux nouvelles contraintes techniques des navires. Cette phase est d’un coût estimé aux environs de 45 M€ et dépend en grande partie de l’évolution des clients. Nous devons anticiper, puisque ces travaux dureront sur deux ans.
JMM: LES CLIENTS DU PORT VEULENT AVANT TOUT DE LA FIABILITÉ DANS UN PORT, MÊME SI LA DIMENSION PRIX DE LA MANUTENTION INTERVIENT. FONDER VOTRE PROJET STRATÉGIQUE SUR LE TRANSBORDEMENT N’EST-IL PAS UN PEU AMBITIEUX COMPTE TENU DU COÛT DE LA MANUTENTION EN MARTINIQUE?
J.-R.V.: Notre activité de transbordement sera complémentaire de nos flux actuels. Regardons la situation. Notre coût de manutention dépend en large partie du nombre de boîtes que nous manutentionnons. En augmentant la capacité d’accueil, nous améliorons la productivité et la performance économique du port, ce qui nous place à un autre niveau. De plus, avec le transbordement, nous souhaitons aussi améliorer le modèle économique de notre port. Il faut attacher au transbordement des activités logistiques. Le coût du dernier kilomètre est une des faiblesses de notre île. Jusqu’à présent, le port a réfléchi pendant 60 ans avec une vision de trafic. Maintenant, nous allons développer le portuaire.
JMM: CES PREMIÈRES APPROCHES CONCERNENT LA CONTENEURISATION. ABORDEREZ-VOUS AUSSI LES AUTRES FLUX COMME LES VRACS, VOIRE LA CROISIÈRE?
J.-R.V.: La croisière sera partie intégrante du plan stratégique. Si ce secteur pèse peu dans le chiffre d’affaires du port, elle représente un poids important pour l’économie de l’île. Nous disposons d’un terminal avec le terminal de la Pointe Simon. Ce marché est en forte croissance et nous pouvons y tabler sur une progression à deux chiffres dans les prochaines années.
Quant aux vracs, ils occuperont une place de choix dans notre projet stratégique. Il existe des besoins que nous identifions. Le rôle du port sera d’être architecte de solutions logistiques pour les clients. Pour le moment, nous sommes à un niveau d’écoute. Aucune décision n’est arrêtée sur ce point.
JMM: AVEC CE PROJET, QUEL NIVEAU DE TRAFIC ENVISAGEZ-VOUS?
J.-R.V.: Nous visons un trafic de 100 000 EVP en transbordement avec un trafic domestique stable. Sur le vrac, nous développerons les filières. Notre objectif majeur est de devenir un port plus industriel. Et les croisières pourraient atteindre le chiffre de 400 000 croisiéristes.
Le projet de Hub Caraïbe
Le projet de Hub Caraïbe développé par l’autorité portuaire de Fort-de-France prévoit une extension en deux phases du terminal à conteneurs. Si la première est devenue une nécessité pour accroître la capacité du terminal, la seconde est conditionnée par le développement des navires desservant les Antilles françaises.
La première phase prévoit un agrandissement du terminal sur la partie Est du terminal de la Pointe des Grives. Elle permet de disposer d’une capacité de 1 000 slots pour le stockage des boîtes. En outre, elle offre la possibilité de créer un quai en retour de 180 à 310 m linéaires pour envisager l’accostage de navires de type feeder. Cette première phase doit s’accompagner de l’acquisition d’une grue mobile. La réalisation de cette première tranche permet de passer la capacité du terminal à 270 000 EVP, contre 150 000 EVP actuellement.
La seconde phase d’extension couvre la partie Nord du terminal de la Pointe des Grives. Les travaux visent à allonger le quai principal de 190 m linéaires pour le porter à 650 m linéaires au total, une extension des surfaces de terre-pleins de 9 ha, une enclosure par rideau de palplanches pour la création d’un quai de service et l’acquisition d’un quatrième portique. Avec ces travaux, le terminal disposera d’une capacité totale de 320 000 EVP. Une phase qui reste conditionnée à la taille des navires qui toucheront le port et à la part de marché du transbordement dans le trafic global de ce terminal.
Ce projet de Hub Caraïbes intègre dans son schéma une dimension logistique. Dans la présentation de son projet, le Grand port maritime de la Martinique envisage de « desserrer la contrainte foncière » pour accueillir des entrepôts francs. Il est donc prévu d’optimiser toutes les surfaces foncières du port tant sur le terminal de la Pointe des Grives que sur celui de l’Hydrobase, de la Pointe des Carrières et de la zone Scic. De plus, le port veut créer une voie dédiée pour mettre en relation ces différentes zones.