Le Gemo est né le 5 juillet 2010 des suites de la défaillance de Manumar. Cet employeur unique regroupe les six manutentionnaires du port: Transcaraïbes, Somartrans, Chautram, SNM, Somaport et la GMM. Le Gemo est une association loi de 1901. « La création du Gemo a été un pas important dans la manutention en Martinique », explique Frédéric Reignier, chef d’agence de Marfret. La mise en place de cette structure offre une plus grande stabilité sociale. La création de cet organe a été suspendue à deux conditions. La première a été de prévoir un plan social d’un coût global de 3 M€ pour le départ de 19 dockers parmi tous les ouvriers intégrés dans cette structure. Aujourd’hui, le nombre de dockers employé par le Gemo est de 110, contre 129 en 2010. La seconde condition a été la révision de la convention collective de 2003. Des amendements ont visé à introduire plus de polyvalence et une nouvelle composition des équipes.
Dès sa création et jusqu’en décembre 2011, l’activité du Gemo a été importante. Ainsi, en 2011, il a facturé 140 000 heures de travail grâce notamment aux transbordements réalisés sur le port de Fort-de-France. La situation a changé en 2012 lorsque ces boîtes transbordées sont parties sur l’île de la Guadeloupe. La perte d’activité a montré les limites de ce système.
Par ailleurs, l’application des nouvelles dispositions de la convention collective est devenue caduque. Employeurs et ouvriers sont donc revenus autour de la table pour entamer de nouvelles négociations. Des discussions qui n’avancent pas. Les responsables du Gemo ont donc demandé à la nouvelle autorité portuaire de s’associer aux négociations.
Des réunions qui se sont déroulées dans le cadre du CSOP (Comité de suivi et d’observation portuaire). Pour une partie du patronat de la manutention sur l’île, la situation est au point mort. « Il faut faire entendre raison aux ouvriers pour qu’ils acceptent la flexibilité et garantissent la fiabilité », explique un patron de la manutention martiniquaise.
Des négociations qui n’avancent pas
Pour les ouvriers dockers, la situation s’analyse d’un autre point de vue. La mise en place du Gemo a sensiblement modifié les conditions de travail. « Avant la constitution du Gemo, chaque société ou groupement avait ses habitudes de travail. Depuis la fusion dans le Gemo, les choses ont été harmonisées sans que le système ne fonctionne réellement », indique un docker. Dans une lettre ouverte du Collectif dockers pour le changement, les 78 signataires, sur les 126 dockers du port de Fort-de-France, demandent l’organisation d’élections au comité d’entreprise. « Devant l’incapacité du comité d’entreprise d’informer les dockers sur la situation économique réelle du Gemo (montant de la dette et des pertes d’exploitation) et des conséquences des dispositions d’économies prises par l’employeur, ce comité d’entreprise n’est plus représentatif », souligne la lettre ouverte. Ce collectif fait un constat amer de la situation sociale des terminaux portuaires. « La survie du Gemo est en jeu. Cela se traduit par des actions permanentes de défiance et de déstabilisation de la manutention, qui a engendré une perte d’activité, les navires se déroutant vers d’autres ports, conséquence du manque de fiabilité du port. Il s’en suit une perte de confiance des armateurs. » Pour certains représentants syndicaux, la flexibilité demandée par les employeurs est acceptée mais doit être rémunérée. « Les employeurs souhaitent que nous soyons plus disponibles pour attirer du trafic mais refusent de parler de primes pour cette polyvalence », continue un responsable syndicaliste.
Une analyse syndicale qui ne fait pas l’unanimité sur les quais. Si le Collectif dockers pour le changement regroupe 78 ouvriers, les 38 autres ne sont pas toujours de cet avis. Avec sept syndicats représentés sur les quais, et des points de vue divergents, la situation se tend de tous les côtés.
Agir soit sur les recettes, soit sur les dépenses
De deux choses l’une, explique le directeur de Transcaraïbes à Fort-de-France, Christophe Guenneguez. Pour équilibrer les comptes du Gemo, il faut agir soit sur les recettes soit sur les dépenses. Pour les recettes, cela signifie d’avoir un trafic plus important. Mais pour toucher cet objectif, il faut retrouver de la fiabilité et une bonne productivité. « Dès lors que nous pourrons offrir un service fiable et efficace, nous pourrons avoir un trafic en croissance. Une augmentation du volume aura un effet sur le prix de la manutention au final. »
Le Gemo a joué son rôle stabilisateur tant que les trafics ont été au rendez-vous. Avec la baisse de trafic, les problèmes se sont révélés et notamment au niveau financier. La grève qui a touché l’île en 2011 a débouché sur la création d’un Comité de suivi et observatoire portuaire (CSOP). Ce sont principalement les employeurs de la manutention et les ouvriers portuaires qui participent à ce comité, avec aussi une présence du port et des collectivités territoriales. Le CSOP a constitué un espace de dialogue social pour prévenir le conflit. Il est surtout question d’organisation du travail de la manutention. Dans cette enceinte, les questions relevant de la fiabilité et de la polyvalence reviennent sur la table régulièrement.
En juin 2012, lors de son départ à la retraite, Jean-Charles Cren, précédent président du syndicat des manutentionnaires de Fort-de-France, a fait un constat pessimiste de la situation du CSOP dans un entretien au journal France Antilles. « Il a eu son effet en pacifiant le dialogue social. Mais aujourd’hui, rien n’avance. » Un statu quo qui s’éternise. Si chacun semble camper un peu sur ses positions, la situation est bien plus complexe face aux défis du futur canal de Panama. Ni du côté des syndicats ni du côté des employeurs, la responsabilité de mettre fin à ces négociations n’est envisagée. Les clignotants sont allumés à Fort-de-France. Chacun s’accorde à dire qu’il faut trouver une solution pour ne pas rater le train du troisième jeu d’écluses du canal de Panama. « Il faudra que nous arrivions à travailler ensemble dans un même but pour réussir », reconnaissent les intéressés. « Dès lors que nous positionnerons le port de Fort-de-France comme un hub dans les Caraïbes, ce sera toute l’économie de l’île qui en tirera le bénéfice », résume Pierre Monteux, directeur général de Banamart, le groupement des producteurs de bananes.