En 2010, le grand projet du Port autonome de la Guadeloupe (PAG) était très ambitieux puisqu’il visait à créer une capacité supplémentaire de 500 000 EVP vers 2015-2016, afin de bénéficier de l’effet « agrandissement du canal de Panama ». Des porte-conteneurs d’une capacité plus importante pouvant ainsi amener d’Extrême-Orient des marchandises destinées à la Caraïbe et à l’Amérique latine. Depuis, les ambitions ont été revues à la baisse, plus en phase avec la réalité du terrain.
Le rapport public de la Cour des comptes paru en février 2013 l’explique clairement. Portant sur la construction d’un quai de 350 m avec un tirant d’eau de 15 m et d’un terre-plein de 25 ha ainsi que l’agrandissement du cercle d’évitage, l’appel à projets est publié en juin 2011. Seule la CMA CGM y répond, mais elle « n’envisage qu’un renforcement du quai existant, associé à un dragage des accès », explique la Cour des comptes. Cette réponse ne correspondant pas à la demande, l’appel à projet est déclaré infructueux en février 2012. « Le port a sollicité un retour d’expérience auprès de plusieurs opérateurs ayant manifesté un intérêt à poursuivre une réflexion sur les conditions de leur participation à un nouvel appel à projet », écrit la Cour. Le PAG reconstruit son projet en quatre scénarios envisageables aux ambitions « réduites » (seuil de transbordement abaissé à 125 000 EVP et terre-pleins de 10 ha) et aux coûts ramenés de 160 M€ à 130 M€.
L’un de ces scénarios consistait à mettre en concurrence non pas la seule construction du nouveau quai, mais la totalité du terminal. Cette solution présentait l’intérêt, pour les candidats éventuels, d’associer à des objectifs de trafic des garanties issues du marché local. « Toutefois, elle pouvait aussi être perçue comme une remise en cause du positionnement de l’opérateur historique dans les Antilles françaises », note la Cour.
En septembre 2012, le conseil d’administration du port adopte le projet d’extension à 130 M€ avec 10 ha de terre-plein et un « phasage plus progressif » des opérations.
Depuis, tout semble se passer comme si l’opérateur historique, CMA CGM, avait perçu le message. Outre les transbordements de bananes du Surinam et de Sainte-Lucie qui passent depuis des années par Pointe-à-Pitre, il a rapatrié, à partir d’avril 2012 sur le terminal de Jarry, d’autres « transbos »; façon de montrer sa bonne volonté. Ce qui explique les bons résultats portuaires de 2012.
Recevoir des 13 000 EVP d’ici à 2016
Si, à l’horizon 2020, il est question de recevoir des 12 000 EVP qui ont besoin de 16 m de tirant d’eau, pour 2016, l’objectif est de pouvoir accepter à quai des 13 000 EVP dont le tirant d’eau est de 12,30 m. Cela constitue la première phase du projet dont le coût est estimé à 77,4 M€ (valeur 2012). Le chenal d’accès devra être dragué à la bonne profondeur ainsi que le cercle d’évitage (− 14 m). Les quais 13 et 12 seront dragués, à la « petite cuillère », à − 12,30 m. Et pour accueillir des navires plus longs sans construire le linéaire de quai nécessaire, deux ducs d’Albe sont installés dans le prolongement du quai 12. Ainsi, au total, l’équivalent de 340 mètres linéaires seront disponibles, même si, à l’évidence, il n’y aura pas de portique.
Faire baisser les coûts de transbordements
Outre la fiabilité sociale (qui existe depuis 2004), l’attractivité commerciale du port est une condition « indispensable pour stimuler la demande et inciter les armateurs à privilégier les escales en Guadeloupe », estime la Cour. Elle « encourage le port à poursuivre les réflexions engagées sur la baisse des coûts de transbordement et sur les gains de productivité ».
Interrogé sur la part relative des droits et taxes portuaires dans le coût d’un transbordement, Laurent Martens, le directeur général de Guadeloupe port Caraïbes, l’estime à 20 %. Il faudra donc chercher ailleurs une source d’économie significative. Or, tous les dockers du port sont logés dans le GIE Arema dirigé par la GMG, la filiale de manutention de CMA CGM. L’opérateur unique du terminal conteneurs est Opera, contrôlé à 45 % par la GMG. Pour arriver à « vendre » ses transbordements aux lignes CMA CGM qui sont probablement des centres de résultats, GMG facture à coût marginal ces opérations. Mais actuellement, le marginal l’est de moins en moins. Le modèle de calcul est donc à reconsidérer.
Mesurer pour comprendre
Il n’y a pas que la Cour des comptes qui s’intéresse aux coûts de passage portuaire. Cette question figure dans la feuille de route du comité de liaison interportuaire Antilles Guyane qui réunit les autorités portuaires des trois départements. Signé en décembre 2011, en présence des présidents des trois Régions, ce document souligne que la Martinique et la Guadeloupe « revendiquent » leur place sur les marchés concurrentiels du transbordement et de la croisière, ce qui « nous incite à mettre en place des procédures allant vers un observatoire sur le passage portuaire et à rechercher les voies et moyens pour faire baisser ces coûts en fonction de nos possibilités et des résultats de ce benchmark. Ainsi, nous voulons tout d’abord comparer nos coûts et leur structure, trouver les pistes d’optimisation et bâtir des objectifs de baisse à moyen terme ».
Ce louable intérêt pour le coût du passage portuaire est ancien. En 2002, les directions des ports des Antilles, de La Réunion et de Tahiti ont décidé de mener une étude sur ce sujet. En 2004, les résultats ont été disponibles et le logiciel de suivi des évolutions, remis aux places portuaires. À cette époque, le coût du passage portuaire d’un 20’dry à l’import est sensiblement moins cher à Pointe-à-Pitre qu’à Fort-de-France (357 € contre 406 €). Celui d’un 40’est similaire (561 € contre 573 €). Dans tous les cas, la manutention bord représente entre 48 % et 53 % du total.
Le ministère des Transports répond à la Cour que la réforme des ports d’outre-mer « intègre aussi l’objectif d’une meilleure maîtrise des coûts de passage portuaire et donc indirectement celui des prix en outre-mer ». Dans tous les DOM, un observatoire des prix et des revenus « sera mis en place » et aura pour mission d’analyser le niveau de la structure des prix et des revenus, et de fournir aux pouvoirs publics une information « régulière sur leur évolution », affirment les ministres de tutelle. L’intérêt pour l’observation du coût du passage portuaire a cependant complètement disparu en métropole. Le slogan de l’Insee, « mesurer pour comprendre », se diffuse mal dans le portuaire, entre autres.
Outre cette nouvelle étude sur les coûts comparés du passage portuaire, les ports antillais ont été invités par la Cour des comptes à coopérer, et le ministère de tutelle à assumer ses responsabilités: « Il reviendra au ministre chargé des Transports d’inclure plus clairement la question de la place dévolue au port voisin de Fort-de-France dans la réflexion sur l’évolution du trafic maritime dans la zone », écrit la Cour. « En effet, il paraît important de veiller à la pleine et entière complémentarité entre les deux futurs grands ports maritimes des Antilles et, en conséquence, au bon dimensionnement de leurs investissements respectifs. »
Réponse ministérielle: « Si les deux projets des Grands ports maritimes (depuis le 1er janvier 2013) comportent un objectif commun de développement des transbordements […], seul le projet de grand port du GPM de la Guadeloupe a pour ambition l’implantation sur son site d’un véritable hub de transbordement régional, travaillant en réseau avec les principaux ports de la Caraïbe. »
Quelques lignes plus loin, la Cour rappelle que la tutelle a laissé durant treize mois (de mars 2007 à avril 2008) le port sans directeur général. « Si la suppléance n’a pas posé de difficultés majeures, cette situation a retardé d’autant l’élaboration de la stratégie du port autonome. Les chantiers et projets les plus structurants n’ont pu être menés qu’à partir de 2008. »
La croisière « basée » essentiellement
Compte tenu de l’attrait touristique de la Guadeloupe par rapport à sa concurrence, les véritables atouts de l’île française réside dans ses infrastructures que sont l’aéroport international et son terminal croisière maritime, résume Laurent Martens. Son activité est donc principalement constituée par les croisières dites « basées ». Le passager y embarque et y débarque. Les 44 jours de grève de 2009 ont entraîné un effondrement du nombre de passagers (comptés deux fois, une fois à l’embarquement, une autre au débarquement): passant de 122 674 pour la saison 2009-2010 avec 77 escales à 78 472 pour la saison suivante (et 27 escales). La saison 2012-2013, qui s’est achevée en avril, a finalement été la meilleure depuis sept ans avec 159 119 passagers et 71 escales.
L’accueil et la réparation des yachts de grande plaisance se développent correctement. Guadeloupe port Caraïbes étudie même la possibilité de faire de la réparation navale à Jarry
La Cour des comptes: un contre-pouvoir
Le très éphémère Office parlementaire d’évaluation des politiques publiques a laissé le champ libre à la Cour des comptes pour exprimer son avis sur la pertinence des politiques suivies et la manière dont elles sont appliquées. Le premier travail dont a été chargé l’Office parlementaire a été l’évaluation de la politique maritime et littorale de la France (construction navale, marine marchande, ports, pêche et littoral). Cette évaluation a été sous-traitée au Commissariat général du Plan alors dirigé par Henri Guaino. Près de 1 000 pages ont ainsi été remises au Parlement en mars 1998. Les conclusions pratiques qui en ont été tirées restent à déterminer.
Les transbordements de moins en moins marginaux
En 2003, le trafic conteneurs concernant uniquement la Guadeloupe était de 102 057 EVP (pleins et vides), et celui de transbordement de 8 016. La barre des 130 000 EVP « guadeloupéens » est franchie l’année suivante avec précisément 131 261 EVP. La même année, les transbordements passent à 11 244 EVP. Depuis, le trafic domestique varie entre 120 848 EVP et 132 400 EVP à l’exception de l’année noire de 2009. La barre des 30 000 EVP de transbordement est presque atteinte en 2006 avec 29 990 EVP. Ce trafic atteint les 39 570 EVP en 2008. En 2012, il « explose » avec 79 508 EVP. Il représente 60 % du trafic domestique. CMA CGM est le principal opérateur concerné. L’importance du volume transbordé n’est pas neutre sur le mode de calcul du coût de transbordement. Pour ne pas trop s’éloigner des coûts pratiqués dans les îles concurrentes à faibles coûts de main-d’œuvre, la manutention CMA CGM travaille à coût marginal. Lorsque les transbordements représentent 60 % du trafic domestique, la pertinence de ce mode de calcul fait débat.
Les transbordements CMA CGM sont passés de 17 957 EVP en 2011 à 35 382 EVP en 2012, ce qui représente 43 700 mouvements « in and out ». En 2013, elle espère atteindre les 54 000 mouvements.
Les trafics de transbordement favorisent les « illusions d’optique ». En effet, au débarquement du navire principal, un EVP est compté une première fois, puis une seconde lors de l’embarquement sur le feeder. Au retour de sa destination finale, le feeder le débarque (3e mouvement). Le navire principal finit par l’embarquer (4e mouvement). Tout cela est favorable aux statistiques portuaires et à l’étalement des frais fixes mais reste assez artificiel.