En septembre 2005, le groupe CMA CGM finalise l’accord de rachat de Delmas. Outre les navires et les personnels, c’est toute une organisation de la desserte de l’Afrique que CMA CGM reprend. En huit ans, la situation a évolué. Aujourd’hui, les deux marques coexistent dans le groupe. Une entité juridique pour deux marques dont Delmas ressort le principal opérateur avec 60 % des volumes africains du groupe contre 40 % pour CMA CGM. Si, à l’époque, certains commentateurs se sont interrogés sur le poids que l’Afrique pourrait jouer dans le groupe CMA CGM, aujourd’hui le doute n’est plus permis. D’abord, le groupe revendique entre 24 % et 25 % de parts de marché sur les liaisons Europe-Afrique. Ensuite, il a su bâtir un réseau. « Nous avons 18 lignes sur l’Afrique dont six en sortie d’Europe, une avec la Méditerranée, quatre depuis l’Asie, une entre l’Asie et l’Afrique du Sud, une en sortie d’Inde et Moyen-Orient vers l’Afrique de l’Ouest, une en provenance de la côte Est de l’Amérique du Sud sur l’Afrique de l’Ouest et enfin, quatre lignes sur l’Afrique de l’Est en sortie d’Inde et d’Asie », détaille Mathieu Friedberg, directeur central en charge des lignes Afrique du groupe CMA CGM. Ce réseau créé autour de l’Afrique place le groupe CMA CGM dans une position de choix sur le continent. Une stratégie du groupe qui peut se comprendre avec les chiffres de la croissance économique du continent. « La croissance africaine existe, mais pas au degré où elle est perçue dans la presse et ailleurs », nuance Mathieu Friedberg. Croissance économique n’est pas toujours synonyme d’augmentation des taux de fret. Sur les premiers mois de l’année, l’augmentation du volume reste modeste à 3 % avec de grandes disparités entre les régions de l’Afrique de l’Ouest. En effet, au sud, sur les pays du range entre le Gabon et l’Angola, elle est la plus forte en oscillant entre 10 % et 15 %. Au centre, de la Côte d’Ivoire au Cameroun, cette croissance ne dépasse pas 1 % avec une récession au Nigeria. Enfin, au nord, l’économie se stabilise. Malgré ces chiffres, le directeur des lignes Afrique du groupe CMA CGM constate une tension continue sur les taux de fret. Il reste réaliste en comparant les lignes sur l’Afrique avec les autres départements du groupe. « Quand on regarde la situation sur des routes comme celles entre l’Europe et l’Asie, il est certain que les trades avec l’Afrique sont dans une meilleure situation. » Cette tension sur les taux de fret pose la question de la rentabilité des services et notamment du maintien d’une desserte directe.
Des transbordements depuis Tanger
Le groupe CMA CGM a opté pour une politique de transbordement sur certaines de ses lignes. « Les services directs ont un intérêt mais le transbordement est aujourd’hui entré dans les mœurs », confie Mathieu Friedberg. Une politique que le groupe mène au départ de Tanger notamment. « C’est une option que nous avions à l’esprit. » Les investissements réalisés par le groupe sur le port marocain ont finalement incité l’armateur a utilisé ce hub pour les flux avec l’Afrique. À Tanger se croisent des lignes d’Europe, d’Amérique du Nord et d’Asie. « Quel que soit le schéma, ce hub a sa raison d’être dans notre réseau. » La question, pour les ports d’Afrique de l’Ouest, se pose surtout sur la viabilité d’une plate-forme dans le golfe de Guinée. Au cours de la première décennie du siècle, CMA CGM a regardé et réalisé des études sur Sao Tomé et Principe pour y installer un hub. Le projet est aujourd’hui rangé dans les tiroirs, il n’est plus à l’ordre du jour. Avec le hub de Tanger, un second port de transbordement dans le golfe de Guinée signifierait un double transbordement. Néanmoins, pour l’armateur marseillais, un port dans cette région conserve tout son intérêt. Si le projet de Sao Tomé et Principe n’est plus à l’ordre du jour, d’autres pistes sont à l’étude. « En Afrique de l’Ouest, il existera d’ici à 2016 quatre ou cinq ports en eau profonde avec un tirant d’eau de plus de 13,5 m pouvant pour certains accueillir des navires de plus de 8 500 EVP. » Est-ce alors nécessaire d’être présent capitalistiquement dans ce terminal? « Dès lors que nous nous inscrivons en premier client, la nécessité d’un investissement capitalistique dans le terminal n’est pas automatique. » Et des projets de grand terminal, la région en dispose de nombreux comme Abidjan, Kribi au Cameroun, Pointe Noire, Lomé avec les projets de MSC et de Bolloré et au Bénin, par exemple.
La congestion coûte entre 2 M$ et 5 M$
Outre la capacité de croiser des lignes, un hub avec un système de navettes permet en outre de résorber, partiellement, la congestion portuaire. Ce mal chronique d’Afrique de l’Ouest a un coût non négligeable pour les armateurs. « Entre les attentes dans les ports et les accélérations des navires pour rattraper les schedules, le coût de la congestion portuaire en Afrique de l’Ouest oscille entre 2 M$ et de 5 M$ par mois », confie le directeur central des lignes Afrique du groupe. Se défaire de cette congestion est une chose ardue. Différents schémas sont à l’étude sur la base d’une massification des volumes vers un point d’éclatement à Tanger ou dans le golfe de Guinée et qui permettrait de déployer un système de shuttle servant un ou deux ports africains dans leur rotation. « Ces solutions limitent l’autocongestion et réduisent la contagion des effets d’un port vers l’autre. » Dans cette configuration, le hub portuaire dans le golfe de Guinée trouve toute sa justification.
Autre point important dans la desserte de l’Afrique de l’Ouest, la partie terrestre du transport devrait être le maillon de la différence dans les années à venir. « Dans les quatre à cinq ans, c’est sur le terrestre que la différence se fera. Dès que le conteneur touche le sol africain, les problèmes se manifestent », explique Mathieu Friedberg. Pour avoir une présence affirmée sur le continent, le groupe CMA CGM a déployé un réseau étendu d’agences dans les différents pays africains. À part au Tchad ou au Botswana, CMA CGM est présent dans tous les pays africains. Une présence que le groupe a aussi étendue sur tous les corridors en Afrique de l’Ouest et notamment pour desservir les pays enclavés. « Ce marché avec les pays intérieurs va aller croissant. » Aujourd’hui, le groupe n’envisage pas une présence en propre sur les transports intérieurs. « Il existe suffisamment d’acteurs localement. Nous préférons, pour le moment, nouer des partenariats avec eux. » Pour le directeur central des lignes Afrique du groupe, c’est sur la partie aval du transport que le groupe peut intervenir. Les services offerts à la terre, en aval du maritime, seront demain des éléments clés de la différenciation et de la compétitivité du groupe CMA CGM en Afrique.