Iter: le plus grand projet industriel depuis très longtemps

Article réservé aux abonnés

Le Tokamak (du russe toroidalnaya kamera + magnitnaya katushka) est constitué par un ensemble de pièces pour la plupart particulièrement lourdes (jusqu’à 500 t environ chacune) et très denses, qui ne seront produites qu’à quelques exemplaires. Les 34 États membres du projet Iter (International Thermonuclear Experimental Reactor) y participent en fournissant principalement des équipements. Leurs fournisseurs livrent leurs grosses pièces départ usine chargées sur « moyen d’évacuation ». Si, en sortie de la Nouvelle-Orléans, cela ne pose pas a priori de problème technique insurmontable, une pièce de plus de 13 m par 8,90 m de large et 8,90 m de haut pour 229 t environ à charger à Madras, suppose d’y regarder de plus près.

L’ensemble du matériel est à livrer « déchargé » sur le site de Cadarache, à 104 km du port de Fos. Débarqués, les colis lourds ou longs y seront rechargés sur une remorque modulaire « mille pattes ». Celle-ci embarquera sur une barge à fortes capacités de ballastage, précise Gilles Bonny, jusqu’au port de La Pointe. La remorque et ses deux tracteurs (plus un troisième pour monter quelques pentes) partiront sur un itinéraire qui a été spécialement aménagé jusqu’à Cadarache. Selon le site internet d’Iter, l’élargissement des voies existantes, le renforcement des ponts et la modification des carrefours sur 104 km (83 km de départementales, 10 km de voies communales, 10 km de pistes privées et quelques tronçons d’autoroute) ont coûté de l’ordre de 110 M€ pris en charge à 66 % par le Conseil général des Bouches-du-Rhône et le solde par l’État. Durant le transport terrestre, l’itinéraire sera interdit à la circulation. Une fois déchargée, la remorque sera démontée, et ses modules chargés sur des semi-remorques « classiques » qui rejoindront Fos par la route. Filiale du groupe, Daher-HCS fournira les modules de la remorque et les tracteurs qui seront en permanence sur zone. Selon l’évolution du plan de charge, d’autres moyens devront probablement être mobilisés.

Un colisage purement indicatif

La liste de colisage contenue dans le l’appel d’offres volumineux diffusé en novembre 2010 est « purement indicative », est-il précisé. Elle est composée de trois parties: les colis « très exceptionnels » (plus de 100 t ou plus de 6 m); les colis « exceptionnels », qui ne peuvent être empotés dans un conteneur maritime et qui ne peuvent circuler sur les routes françaises sans autorisation spéciale (jusqu’à 19 m de long, 5 m de large, 5 m de haut et 60 t), et les marchandises conteneurisables en FCL/FCL, LCL/LCL ou en semi-remorque complète ou non.

Selon les estimations de Gilles Bonny, à ce jour, il faut compter entre 200 et 300 colis très exceptionnels. Environ 2 000 colis exceptionnels et de l’ordre de l’équivalent de 10 000 conteneurs qui arriveront par la mer, par la route ou par avion, si l’on en croit la liste de colisage. Ainsi, en sortie de Francfort, de Moscou ou de Madras, certaines marchandises probablement fragiles ou à forte valeur sont prévues d’être acheminées par avion. Le volume total devant être transporté par air reste à déterminer. Au total, le projet représente près d’un million d’éléments.

Pour faire face à toutes les hypothèses, la remorque « mille pattes » et l’itinéraire menant au site sont prévue pour traiter un parallélépipède de 19 m de long, 9 m de large et autant de haut, d’un poids total de 500 t. Aucun colis ne fait ces dimensions, mais certains en présentent une ou deux. L’ensemble colis + remorque et ses deux tracteurs (l’un à l’avant, l’autre à l’arrière) mesure 61 m et pèse près 900 t, que les ponts devront supporter avec la marge de sécurité qui convient. Sans compter les colis « normalement » exceptionnels, plus de 200 passages de colis très exceptionnels sont prévus entre 2014 et fin 2018. De quoi occuper les populations des 16 villes ou villages qui seront traversés. Des déviations routières seront mises en place, assure l’Agence Iter France qui gère la partie terrestre en France.

Prévus pour ce mois de mai, les tests routiers ont été décalés à septembre car les travaux d’adaptation jugés nécessaires par l’étude faite par Daher ont pris un peu de retard. Les premières livraisons de grandes pièces doivent arriver en 2014. Les dernières, en 2017. Le Tokamak doit entrer en exploitation en novembre 2020, avec la production d’un premier plasma (gaz ionisé porté à plusieurs millions de degrés Celsius). Si les colis non conteneurisés arriveront tous à Fos, cela est moins sûr pour les conteneurs. Tout dépendra de leur lieu d’origine, sachant qu’environ la moitié des fournitures viendront d’Europe, Russie comprise.

Gérer l’aléa

Le cahier des charges précise que les candidats devront montrer leurs capacités à anticiper les déviations possibles et proposer des solutions permettant d’atteindre les objectifs tout en respectant le système qualité mis en place. Concrètement, il s’agit d’être à même d’acheminer un colis très exceptionnel mis à disposition avec un décalage certain, en limitant le surcoût lié au transport tout en tenant compte des conséquences financières résultant d’un retard pris dans la construction de l’ensemble. Encore plus schématiquement, il ne sert à rien d’économiser en prenant un navire qui sera disponible dans deux semaines si cela doit entraîner un coûteux ralentissement de la chaîne de construction.

Pour gérer au mieux ces aléas qui risquent d’être nombreux, le centre de « pilotage », la Daher Control Room, utilisera un logiciel maison appelé Dagescope. Le fait que le groupe marseillais fabrique des éléments d’avion et des pièces pour l’industrie nucléaire facilite la compréhension des impératifs industriels, souligne Gilles Bonny. Avec ses correspondants installés dans les sept zones de provenance (Chine, Corée, Europe, États-Unis, Inde, Japon, Russie), Daher doit à tout instant être capable non seulement de suivre les mises à disposition des matériels, leur statut (à quai, dédouané, en cours de transport, etc.) mais également être à même de proposer des solutions alternatives qui permettent de limiter les surcoûts en prenant en compte tous les paramètres en aval. Ainsi, si un colis lourd ne peut pas prendre le navire prévu, peut-on dévier le navire pour qu’il fasse une escale spot ailleurs? Est-il plus rentable d’attendre quelques jours compte tenu du besoin urgent de l’équipement dont l’absence risque de faire perdre plusieurs centaines d’heures de travail? Plus simple à gérer, à combien soufflera le vent sur l’étang de Berre, le jour envisagé pour y faire transiter une pièce unique du système?

Ce centre de « pilotage » sera basé à proximité immédiate de Marignane. Au plus fort de l’activité, une vingtaine de personnes seront dédiées à ce projet en France. Actuellement, l’équipe est formée de six personnes.

Selon l’appel d’offres, les critères d’évaluation des 96 candidats ont été triples: les opérationnels (expériences passées et capacité à traiter ce contrat), les réponses aux exigences techniques (dont la démonstration de la bonne compréhension des spécifications techniques) et la proposition tarifaire. Les deux premiers critères ont compté pour 70 % dans l’appréciation définitive.

Bien sûr, avec une liste de colisage indicative et des délais de livraison de cinq ans, il est délicat de proposer un prix ferme et définitif même avec des formules d’indexation. D’ailleurs, l’appel d’offres ne l’a pas demandé: par colis, il fallait indiquer le coût du transport – jusqu’à Fos (transfert sur Berre compris), puis de Berre jusqu’à Cadarache, non déchargé –, celui du déchargement, de l’éventuel expert. Vient ensuite la marge du commissionnaire. Ce qui permet d’obtenir le coût total de l’opération, sachant que l’ensemble des équipements entreront en France en exonération totale de droits et taxes. Pour les opérations de dédouanement, Daher sera en relation informatique avec la Douane et le ministère des Affaires étrangères.

D’innombrables questions restent à résoudre. Parmi les plus importantes figure celle de l’entrepôt de stockage « avancé ». Faut-il en trouver un, déjà construit, du côté de Marignane ou bien est-il plus judicieux de le construire sur le site de Cadarache?

Outre la prise en charge depuis le départ de l’usine de fabrication, Daher a également la responsabilité de souscrire l’assurance transport. Ce qui n’a pas été simple, souligne Gilles Bonny pour au moins deux raisons: à une connaissance assez approximative de la valeur de chaque élément critique s’ajoutent des obligations d’assurance locale comme au Japon, par exemple. Un pool d’assureurs a été constitué pour ce faire.

En novembre 2010, Iter Organization (qui à la charge de l’ensemble du projet) a signé un contrat d’assurance « construction et montage » d’une valeur de 43 M€. Une vingtaine d’assureurs internationaux participent au pool dirigé par Zurich, principal contractant.

Le Tokamak pour les « nuls »

Le programme Iter (International Thermonuclear Experimental Reactor) utilise un concept de confinement magnétique appelé Tokamak, qui consiste à enfermer le plasma dans une chambre à vide en forme d’anneau. Le combustible, un mélange de deutérium et de tritium (deux isotopes de l’hydrogène), est chauffé à plus de 150 millions de degrés Celsius afin d’obtenir un plasma chaud. De puissants champs magnétiques maintiennent le plasma à distance des parois. Ces champs sont générés par des bobines supraconductrices installées autour de la chambre et par un courant électrique qui circule dans le plasma.

Cette machine de fusion est conçue pour confiner un plasma à l’intérieur d’une chambre en forme d’anneau (tore) au moyen de deux champs magnétiques. Le premier champ est créé autour du tore par des bobines électriques alors que le deuxième est généré par un courant électrique de forte intensité circulant à l’intérieur même du plasma. Le concept de Tokamak a été développé dans les années 1950 par les physiciens soviétiques Igor Yevgenyevich Tamm et Andrei Sakharov.

Le terme « tokamak » est une translittération d’une expression russe (toroidalnaya kamera + magnitnaya katushka) signifiant « chambre toroïdale avec bobines magnétiques ».

Dossier

Archives

Boutique
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client abonnements@info6tm.com - 01.40.05.23.15