Compte tenu du coût d’affrètement du navire poseur et de la fragilité des pales, il ne vaut mieux ne pas se « louper » dans l’installation d’une éolienne offshore. Le vice-président d’Offshore Alstom, Frédéric Hendrick, lève le voile sur une phase totalement nouvelle pour l’industrie française.
Pour encore quelques mois, l’installation d’une éolienne posée au fond de la mer restera en France du domaine de l’expérimental, contrairement à l’Allemagne et surtout au Danemark qui ont environ une vingtaine d’années d’expérience.
Si tout se passe comme prévu, Alstom Wind fournira 80 éoliennes de grande puissance (6 MW) pour le projet de parc éolien en mer de Saint-Nazaire. Le débat public concernant ce quatrième projet français a démarré il y a quelques semaines.
L’Haliade 150 du groupe français fait partie des engins les plus puissants. Siemens développe également une 6 MW. Son mât mesure 78 m pour un poids de 400 t. Il est composé de trois tronçons tronconiques. Celui de la base pèse environ 200 t. Le mât supporte la nacelle où sont installés le rotor porteur de trois pales (73,50 m pour 32,50 t chacune), le mécanisme d’entraînement du générateur, le générateur électrique et divers équipements électrique de grande puissance. La nacelle pèse environ 360 t.
À cela, il faut ajouter l’embase du « moulin à vent » sur laquelle est fixé le mât. Son type est déterminé par la nature du fond: sur du rocher, le socle sera de type gravitaire. Sur du sable ou des sédiments relativement meubles, on optera pour des multipieux. Dans le cas du parc de Saint-Nazaire dont le fond est compact, l’exploitant formé par EDF Énergies Nouvelles et le Danois Dong Energy Wind Power a choisi une embase monopieu, précise Frédéric Hendrick. Un gros tube de 800 t à 1 100 t qu’il faudra battre au marteau hydraulique pour l’enfoncer dans le sol. Il doit dépasser de 24 m au-dessus du niveau de la mer à marée haute, et au plus fort coefficient. On parle d’un tube de 70 m de long pour un diamètre de 7 m.
Cette opération n’est pas neutre car elle rayonne beaucoup de bruit dans l’eau. Cela peut perturber la faune et en particulier les mammifères marins. C’est la raison pour laquelle elle est interdite lors des migrations, souligne Frédéric Hendrick. Souvent, les installateurs utilisent un « rideau de bulles d’air » pour réduire les émissions de bruits sous-marins, ajoute-t-il.
Des navires spécialisés
La pose de l’embase est de la responsabilité de l’exploitant du champ et nécessite des navires spécialisés disposant d’une grande puissance de levage. Ces navires sont équipés de quatre à six « pieds » qu’ils posent au fond. Ce qui permet de monter la coque et, ainsi, de la rendre indépendante des mouvements de surface de la mer. L’élévation de coque peut atteindre les 10 m au-dessus de l’eau. Dong dispose de ce type de navires mais il n’est pas le seul. Des spécialistes des travaux de génie civil sous-marins, comme le Belge Geosea du groupe Deme, Hochtief, Van Oorf opèrent également des flottes de navires autoélévateurs qui ressemblent beaucoup aux plates-formes pétrolières utilisées par faible fond.
Qu’elle soit enfoncée dans le sous-sol ou posée, l’embase reçoit, à la fin de l’opération, sa « pièce de transition » sur laquelle sera installé le mât proprement dit de l’éolienne. Cette pièce est boulonnée et collée au ciment. La responsabilité de l’exploitant se termine là. Commence alors celle du fournisseur d’éolienne.
La première phase consiste à acheminer les différentes pièces du « kit » depuis leur site de production jusqu’à un port proche de la zone d’installation. Compte tenu de leurs dimensions et de leur poids, la manutention et le transport de ces éléments entrent dans le domaine du projet industriel.
La construction de deux usines vient de commencer dans la zone portuaire de Saint-Nazaire pour l’assemblage des nacelles et la fabrication des alternateurs. En 2015, deux autres usines, implantées à Cherbourg, fourniront les mâts et les pales. Ces nouveaux sites de production ont vocation à fabriquer les machines destinées aux quatre champs offshore auxquels Alstom Wind est associé. En attendant, les pales viennent du Danemark, fabriquées par LM Wind Power.
La méthode dite des « oreilles de lapin »
Une fois à quai, la nacelle est équipée de deux pales selon la méthode dite des « oreilles de lapin », qu’utilise Vestas. Ainsi pré-assemblée, la nacelle est embarquée ainsi que les tronçons du mât et la troisième pale sur un navire poseur autoélévateur. Sa capacité de levage est plus faible que celle du navire utilisé pour poser l’embase de l’éolienne, ce qui réduit d’autant son coût journalier. Le navire poseur embarque plusieurs kits afin de gagner du temps. Le premier tronçon est présenté à la verticale des tiges filetées qui sont solidaires de la pièce de transition. Le guidage précis est fait par deux ou trois personnes en utilisant des treuils. Et ainsi de suite pour les deux autres tronçons. Les liaisons sont toutes boulonnées. Suit le levage de la nacelle en oreilles de lapin et son positionnement au-dessus des tiges filetées du mât. Arrive le grand moment, celui de la présentation de la troisième pale devant le moyeu. Schématiquement, cette pièce de 73,50 m ne supporte aucune contrainte mécanique sauf au niveau de sa zone d’ancrage sur le rotor. Elle est constituée d’une âme en balsa recouvert de fibres de verre enrobées de résine. Son rapport surface/poids la rend très sensible au vent. Et en mer, il y a justement plus de vent qu’au milieu des terres. C’est bien pour cela que l’on implante des éoliennes en mer. Au-delà d’un vent de 40 km/h, il n’est plus possible d’installer la pale. Dans des conditions optimales, il est possible d’installer une éolienne en 24 heures en travaillant en 3x8.
Il n’y a pas de différence fondamentale entre installer une éolienne en mer et à terre, estime Frédérick Hendreck. Il faut « simplement » aller un peu plus vite compte tenu du coût du navire poseur et des fenêtres météo plus courtes… et ne pas avoir à y revenir. Pour ce faire, une pale test doit subir avec succès des millions de cycles de fatigue mécanique afin que la production soit certifiée. La durée de vie des pales est de 20 ans, souligne le vice-président d’Offshore Alstom. Elles seront donc installées en début de vie du champ et retirées à la fin de la concession (weather permitting).
Une semaine après avoir été installée, une éolienne doit pouvoir commencer à subir ses premiers tests de démarrage.
Les tactiques d’installation
L’installation d’un champ offshore, zone par définition resserrée, nécessite la présence de plusieurs grands navires, ce qui suppose une certaine organisation: aux différentes unités autoélévatrices s’ajoute le navire câblier qui posera les câbles électriques qui relieront les éoliennes entre elles ainsi qu’à la sous-station électrique. Un câble unique reliera cette dernière au point de connexion avec le réseau terrestre. Il est largement préférable de limiter la présence simultanée de ces navires sur zone.
Numéro 1 mondial de l’éolien offshore, bénéficiant d’une expérience de plus de vingt ans, Dong a défini plusieurs modes opératoires étudiés avec soin. Ainsi, l’équivalent danois d’EDF privilégie-t-il la pose des embases la première année, puis celle des éoliennes, l’année suivante. Les gros navires autoélévateurs sont ainsi utilisés de façon optimale, weather permitting. Même chose pour ceux qui posent les éoliennes.
Rien n’est à ce jour figé en matière de pose. Une expérience a été menée pour installer des éoliennes toutes montées, en mer du Nord. Il a fallu près de deux ans compte tenu des conditions météo. Il est vrai, ajoute Frédéric Hendrick, que le navire utilisé n’était pas autoélévateur, et donc très sensible à la hauteur des vagues. D’autres recherches portent sur la diminution du poids de l’embase afin, notamment, de ne plus avoir à utiliser des navires à forte capacité de levage. Encore jeune, la version marine de la technique est encore en évolution rapide. L’industrie française semble maintenant décidée à y participer.
Deux Haliade 150 à tester
Le savoir-faire d’Alstom Wind (AW) remonte à l’automne 2007 avec le rachat du fabriquant espagnol Ecotècnia (cinq usines en Espagne). À cette époque, il développait un projet d’éolienne de 3 MW. En 2012, Alstom teste sur terre, au Carnet, sur la rive Sud de la Loire, un modèle de 6 MW, monté sur une plate-forme.
En mai 2013, une deuxième Haliade 150 est arrivée en kit à Oostende afin d’être installée, fin juin, en mer du Nord, dans le parc de Belwind, pour effectuer les tests en mer. Ces deux opérations illustrent la problématique du transport avant le pré-assemblage.
Concernant la première éolienne, en décembre 2011, le département « projets industriels » de Rhenus Logistics France mobilise une barge et un remorqueur néerlandais de la compagnie Muller (dont l’agent pour la France et l’Espagne est MIT) pour venir charger à Saint-Nazaire, au quai des Charbonniers, l’embase (jacket) du premier prototype de l’Haliade. Il s’agit d’une sorte de quadripode de 400 t et 30 m de haut construit par STX France. Il faut lui faire remonter la Loire pour l’installer au Carnet, à quelques kilomètres. En mars 2012, même opération pour la traversée de la nacelle: une masse indivisible de 420 t brutes (avec les pièces de calage), 19,80 m de long, 7,90 m de large et 10,53 m de haut.
En 2013, le saut de puce se transforme en cabotage intereuropéen. Il s’agit de transporter jusqu’à Oostende, un « kit » complet de l’Haliade dans sa version définitive. Le poids de la jacket est alors de 900 t. La nacelle est chargée à Saint-Nazaire sur une barge néerlandaise. Et les trois éléments du mât sont embarqués à Avilès (Asturies) sur un navire porte-colis lourds. Les pales arrivant du Danemark.
Dans les deux cas, plusieurs transferts ou mouvements ont été rendus possible grâce à la technologie allemande. En effet, il ne reste plus que deux constructeurs en Europe de remorques mille-pattes, le self propelled modular transporter. Tous deux allemands. L’un contrôle même le capital du fabricant français Nicolas.
Le transport de bout en bout de ces deux machines ainsi que le travail d’ingénierie associé (conception des supports de transport et de l’arrimage, étude des efforts et accélération lors des différentes phases de transport) ont été confiés au département « projets industriels » de Rhenus Logistics France. Spécialisée depuis une quarantaine d’années dans le transport de colis lourds, notamment dans le domaine de l’énergie, cette structure est filiale d’un groupe allemand qui dispose en propre de terminaux portuaires en Europe du Nord dédiés au pré-assemblage offshore et à l’accueil de navires d’installation.