Ciment: un marché qui se durcit

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L’industrie cimentière est une industrie lourde, fortement capitalistique et peu élastique aux changements économiques rapides. L’ajustement sur le court terme entre production et consommation dans un pays est souvent traité par l’importation qui vient compléter l’offre nationale ou l’exportation qui assure un débouché aux excédents. Sur le moyen/ long terme, ce sont les capacités de production qui sont accrues ou arrêtées. La comparaison entre prix domestiques et prix internationaux du ciment peut, en outre, accroître ou amoindrir l’attractivité d’un marché.

Des unités récentes

La France n’a pas échappé à ce contexte. Elle compte dans ces ports 15 terminaux cimentiers et 12 stations de broyage (de clinker ou de laitiers). Paradoxalement, plusieurs installations ont démarré leur activité au cours des deux dernières années, en pleine baisse de la consommation. Ces nouvelles unités de broyage, qui représentent un investissement de 40 M€ à 60 M€ (soit cinq fois moins que pour une usine), sont le fait de cimentiers nationaux (comme Holcim à Rouen ou à La Rochelle), mais aussi de nouveaux entrants (Ciments Kercim à Montoir, ou Ecocem à Fos).

Si les producteurs nationaux (Holcim, Lafarge, Vicat, Calcia-Italcementi) organisent le plus souvent des flux intragroupes pour alimenter leurs stations de broyage ou terminaux portuaires (en cabotage national ou eurorégional), les nouveaux entrants privilégient l’importation. La Turquie est actuellement le principal fournisseur de ces importateurs, une place acquise grâce au bon rapport qualité/prix de ses produits homologués CE et de ses coûts logistiques compétitifs. Par son différentiel de prix et son apparente solidité, le marché français a aussi de quoi éveiller les convoitises de ses voisins européens.

Depuis le début 2013, cinq terminaux portuaires, non liés aux producteurs nationaux, reçoivent régulièrement du ciment d’importation par voie maritime: Intertitan et Ciments du Lacydon à Marseille, Svec en Arles, Carayon à Port-la-Nouvelle et PRB aux Sables d’Olonne. Ils ont été construits par des bétonniers souhaitant alimenter leurs propres centrales à béton et espérant ainsi réduire le poids de leurs achats avec l’importation de ciment. Ces terminaux ont une capacité de 50 000 t à 100 000 t par an et coûtent de 2 M€ à 3 M€.

En 2011, et malgré les nombreuses installations portuaires, seulement 20 % des importations (soit environ 0,7 Mt) ont transité par un port. Les Grands ports maritimes sont les premiers à bénéficier de ces flux de ciment et clinker. Ils accaparent 65 % de ces trafics. L’investissement portuaire nécessaire au stockage ou à la manutention du ciment est généralement fait par l’importateur ou son manutentionnaire. Pour une autorité portuaire, les tonnages réalisés par rapport à l’espace alloué déterminent la rentabilité d’une installation cimentière. Plus le terminal tourne, mieux c’est pour la communauté portuaire dans son ensemble. Or, face à la crise, il est de plus en plus difficile pour les exploitants de satisfaire aux objectifs de trafic, souvent établis en période de vaches grasses.

Toutefois, les trafics maritimes apportés par le secteur cimentier ne se résument plus seulement aux ciments et clinkers. Avec les contraintes environnementales et les nouvelles normes de construction, ces professionnels accroissent leurs demandes en produits de substitution ou ajouts, transportés de plus en plus par voie maritime: laitiers, cendres volantes, biomasse, broyats de pneus, déchets…

Petits vracs, gros tonnages

Pour les besoins de leurs activités aval, les acteurs nationaux ont aussi développé les mouvements maritimes de granulats marins (Lafarge, Cemex, Calcia), de granulats spéciaux pour ballast (Holcim) ou légers (pierre ponce, vermiculite). Ces petits vracs, qui peuvent faire de gros tonnages, sont autant de niches pérennes ou d’opportunités auxquelles les ports français s’intéressent, en essayant de développer des pôles matériaux de construction (Fos, Bordeaux, Port-la-Nouvelle) ou des ports sabliers (Brest, Lorient, Nantes Saint-Nazaire, La Rochelle, Le Havre, Dunkerque).

Dans un contexte de marché en contraction pour tous les acteurs, du fait de la crise économique, on sent pointer, tant pour les ports que pour l’industrie cimentière, le spectre de la surcapacité. Et le défi des années à venir sera de concilier les objectifs parfois antagonistes des ports à la recherche d’une augmentation de nouveaux volumes, et des acteurs cimentiers souhaitant pérenniser leurs outils industriels.

De nouvelles stratégies liées au protocole de Kyoto

Depuis la signature du protocole de Kyoto, le facteur CO2 est venu bouleverser le paysage cimentier. L’Europe, en bon élève, a appliqué des réductions drastiques de CO2 à ses industries les plus polluantes, dont l’industrie cimentière, sur le principe du pollueur-payeur. En 2011, ceci a engendré pour les producteurs européens un surcoût d’environ 13 € par tonne de ciment, une distorsion de compétitivité internationale face aux pays non soumis aux mêmes exigences. Des disparités que l’on retrouve aussi face au coût de l’énergie. L’industrie cimentière est très énergivore et toute évolution des coûts de l’énergie impacte ses prix de revient. Ceci est particulièrement vrai pour les usines intégrées, lors de la fabrication du clinker (par cuisson dans un four d’un mélange de calcaire et autres composants). Une unité de broyage de clinker, qui se limite à la partie aval du processus de fabrication du ciment, n’aura pas les mêmes contraintes environnementales ni les mêmes coûts.

Pour diminuer son empreinte écologique, une usine travaille sur le pourcentage de clinker utilisé dans la fabrication du ciment, en augmentant le recours à des substituts ou ajouts (comme les laitiers ou les cendres volantes) et/ou sur les combustibles alternatifs (biomasse, pneus broyés, boue de station d’épuration…).

En Europe, dans un contexte de réduction drastique des coûts, les stratégies des acteurs mondiaux évoluent vers une optimisation de leur système industriel, au niveau d’un pays ou du continent. Les échanges régionaux entre usines, stations de broyage et terminaux portuaires se sont multipliés, le tout soutenu par une logistique efficace de gestion des flux de ciment, clinker ou autres matières premières, qu’ils soient terrestres ou maritimes.

En 2011, 47 % des échanges de ciment au niveau mondial ont transité par voie maritime

Avec 5 % de croissance par an depuis 20 ans, le marché mondial du ciment se porte globalement bien, mais son évolution est très différente selon les continents. En 2011, il atteignait 3 540 Mt, en progression de 9 % par rapport à 2010. Cette impulsion est essentiellement due aux pays émergents, la Chine représentant plus de la moitié de la consommation de ciment avec 1 830 Mt. L’Europe, pour sa part, fortement affectée par la crise, présente une consommation en baisse, qui ne pesait plus, en 2011, que 7 % du marché mondial, avec 265 Mt.

Les pays européens n’ont pas tous réagi de la même manière face à la crise. Les économies du Sud, où la construction a soutenu la croissance des années 1990 et début 2000, parfois de manière spéculative, ont particulièrement subi les effets de la crise monétaire. L’Espagne, par exemple, est passée d’une consommation record de 56 Mt en 2007 à 13,5 Mt en 2012, soit son niveau de 1936, avant la guerre civile. Avec, comme conséquences, des fermetures d’usines ou de lignes de production, et le développement des exportations comme unique salut.

En France, le point haut de consommation a été atteint en 2007 à 24,8 Mt, et le point bas en 2012 à 19,9 Mt (soit une diminution de près de 20 % en cinq ans). Au cours du 1er trimestre 2013, le marché a encore baissé de 11 %, ce qui laisse augurer une consommation annuelle bien en dessous des 19 Mt, et de la capacité de production maximale des 29 cimenteries en activité en France.

Cette vision schématique est à la base du négoce international du ciment. Au niveau mondial, les échanges de ciment ont représenté 150 Mt en 2011, soit 4 % de la consommation mondiale de ciment. Seulement 47 % de ces flux ont transité par la voie maritime: de la Méditerranée (Espagne, Portugal, Grèce, Turquie) vers l’Afrique, ou de l’Asie vers les Amériques et l’océan Indien. Le ciment est un pondéreux, son transport par route en Europe devient trop onéreux au-delà d’un rayon de 300 km maximum. Les flux terrestres s’observent donc dans les échanges régionaux de proximité. Ainsi, sur les 3,5 Mt de ciment et clinker importées en France métropolitaine en 2011, 80 % ont été acheminées par voie terrestre depuis un pays limitrophe (Belgique, Espagne, Allemagne, Luxembourg ou Italie).

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