JOURNAL DE LA MARINE MARCHANDE (JMM): ACTUELLEMENT, LE PROBLÈME DE L’OUTILLAGE ET DE SA MAINTENANCE EST AU CŒUR DES PRÉOCCUPATIONS DE LA COMMUNAUTÉ PORTUAIRE. PENSEZ-VOUS QUE L’APPLICATION DE LA RÉFORME AU PORT DE BORDEAUX ÉTAIT INOPPORTUNE?
HENRI-VINCENT AMOUROUX (H.-V.A.): La réforme convient tout à fait à de grands ports industriels comme Le Havre ou Marseille, mais s’avère inadaptée pour des ports secondaires. La structure Bordeaux Atlantique Terminal (BAT) a été créée pour répondre à un cadre donné en optant probablement pour la solution la moins mauvaise possible dans ce cadre contraint. Aujourd’hui, alors que le manutentionnaire est confronté à une obsolescence de ses outils, conséquence de la négligence de leur maintenance dégradée pendant la période de la réforme, ce montage montre ses limites. Le problème est qu’au moment du transfert, le port aurait dû maîtriser quel était l’état réel de l’outillage ou investir dans de nouveaux outils comme ont pu le faire certains ports juste avant le transfert. Le résultat, aujourd’hui, est que les portiques du Verdon sont actuellement inutilisables et que seules deux grues de fortes puissances fonctionnent sur Bassens. La situation est devenue très critique. Si elle perdure, nous risquons de perdre des flux logistiques sur le long terme ou de stopper les potentialités de développement dans la filière, par exemple, des conteneurs.
JMM: QUELLES SONT LES ATTENTES DE LA COMMUNAUTÉ PORTUAIRE VIS-À-VIS DU PORT POUR DÉBLOQUER CETTE SITUATION?
H.-V.A.: Notre priorité est d’avoir un outillage qui fonctionne. Le rôle de l’établissement portuaire est incontournable dans cette sortie de crise et pour trouver des solutions adaptées à notre hinterland. Il faut être imaginatif, rechercher des modes de financement et des montages permettant de renouveler cet outillage. L’acte III de la décentralisation, par exemple, peut être une opportunité pour que la Région, qui a la capacité à mobiliser des fonds européens, devienne un acteur plus important du report modal et un des actionnaires du port, même si la propriété foncière reste aux mains de l’État. Relancer le comité stratégique du Verdon peut également être une bonne idée alors que vont débuter bientôt les travaux de dragage à l’entrée de l’estuaire et le remblaiement de terre-pleins au Verdon.
JMM: CELA SIGNIFIERAIT-IL QUE SEULE L’AIDE PUBLIQUE, RÉGIONALE OU ÉTATIQUE, DOIT PRENDRE EN CHARGE LE DÉFICIT DES FINANCES D’UN PORT ET/OU D’UN MANUTENTIONNAIRE PORT?
H.-V.A.: Il ne s’agit pas de raisonner en termes de rentabilité directe, notamment pour un port d’estuaire et d’intérêt essentiellement régional. On ne peut simplement pas imaginer une région sans réseaux de transport et de communication performants. Il faut prendre en compte l’impact global de l’activité portuaire sur les tissus économiques, l’emploi, les populations dont les besoins vont croître alors qu’on nous annonce une agglomération bordelaise millionnaire. Sans compter les retombées en termes de taxes foncières ou spécifiques comme celles sur les produits pétroliers, qui ne sont pas comptabilisées directement dans les recettes d’un port.
JMM: EN OCTOBRE, DES MEMBRES DE LA COMMUNAUTÉ PORTUAIRE, QUI ONT DEMISSIONNÉ EN 2009, ONT RÉINTÉGRÉ LE CONSEIL DE DÉVELOPPEMENT DU PORT (VOIR ENCADRÉ). POURQUOI CE RETOUR?
H.-V.A.: Nous voulions être présents, avoir du poids en nombre de votes, même si cette instance n’est que consultative, sur de gros dossiers qui engagent l’avenir du port, notamment celui sur la rectification de la passe de l’ouest, à l’entrée de l’estuaire, dont la modification du profil et la dégradation des fonds posent des problèmes de sécurité de navigation. Ce dossier est d’un enjeu essentiel. Sans un réaménagement, il n’y a plus de port à Bordeaux! Nous souhaitons également défendre nos positions dans le cadre des dossiers d’aménagements fonciers, sur le remblaiement de terre-pleins au Verdon, mais également sur l’aménagement de la presqu’île d’Ambès et sa vocation industrielle, et de la zone de Sabarèges, prolongement qui a vocation à devenir une zone d’activité portuaire de Bassens. Or, dernièrement, le maire d’Ambarès a tenté d’utiliser la procédure Natura 2000 pour essayer de rendre cette zone inutilisable sur le plan économique. Persuadé que cette zone offre au port un potentiel de développement, notamment face à un terminal de Bassens qui commence à être saturé, l’UMPB a donc interpellé la CUB sur les enjeux de cette zone et œuvré pour que le préfet reprenne la main sur ce dossier. Aujourd’hui, nous sommes en bonne voie.
JMM: QUELS SONT LES DOMAINES OÙ UN VÉRITABLE PARTENARIAT S’EST CRÉÉ ENTRE LE PORT ET LA COMMUNAUTÉ PORTUAIRE?
H.-V.A.: Nous réalisons un vrai travail conjoint notamment sur les questions environnementales, le Plan de prévention des risques inondations, plan d’action pour la prévention des inondations, la révision du Scot sur l’agglomération bordelaise, le Grenelle des mobilités et les déplacements de marchandises et des salariés, et tout ce qui concerne l’informatique portuaire où s’est créé un dynamisme exemplaire autour de Poseidon +, qui préfigure le « guichet unique » (voir encadré). Nous venons, de plus, de lancer en partenariat avec le port une étude sur les impacts économiques, sociaux et environnementaux liés à l’activité portuaire. La dernière étude de ce type date de 2003.
JMM: PAR RAPPORT AUX AXES DE DÉVELOPPEMENT APPUYÉS PAR LE PORT, QUELLES SONT VOS POSITIONS?
H.-V.A.: L’aménagement prévu sur le site de Grattequina pour la mise en place d’un septième terminal dédié notamment au trafic de granulats, est intéressant. Une fois aménagé, ce site, situé à proximité du centre de Bordeaux, offre un beau potentiel. Compte tenu d’un dynamisme économique local dans le secteur de la construction navale et l’aéronautique, les projets de pôle refit de yachts sur les bassins à flot et de démantèlement de navires ont également toute leur place. Il ne faut pas se priver de cette filière qui, j’espère, ne se heurtera pas à l’opposition des promoteurs et de certains politiques. Mis à part les produits énergétiques, qui sont actuellement dans une phase de tassement, nous percevons qu’il y a des possibilités de développement de tous les trafics. Cela est notamment vrai pour la filière conteneurs. Nous entendons dire que notre hinterland pèse près de 300 000 EVP. Il y a donc des marges de progrès possibles, mais tous ces développements ne seront envisageables, une fois encore, que si les opérateurs disposent d’un outillage fiable.
Conseil de développement: le retour de la place portuaire
En août 2009, quinze personnalités du monde économique et portuaire ont démissionné collectivement du conseil de développement du port de Bordeaux pour protester contre la décision d’abandon du projet de terminal méthanier sur le Verdon. Fin 2010, pour « assurer un service minimum », seul un membre, Henri-Vincent Amouroux, directeur de l’UMPB, a été désigné au 4e collège en tant que représentant des organismes représentatifs des principales branches industrielles. En octobre dernier, tournant la page du terminal méthanier, huit représentants économiques et portuaires (1) ont réintégré le 1er collège (représentant la place portuaire) de ce conseil, qui comporte au total 30 membres répartis en quatre collèges et qui se réunit au moins deux fois par an pour aborder notamment les projets stratégiques et la politique tarifaire du port. Le 25 mars dernier, Gérald Kothé, directeur de l’agence MSC de Mérignac, organisant le trafic conteneur au Verdon, a été élu président de ce conseil de développement.
(1) Fernand Bozzoni, p.-d.g. de Socatra, Christophe Reux, président du Pilotage de la Gironde, Franck Humbert, président de Sea Invest Bordeaux et de BAT, Julien Bas, directeur de SPBL, Éric Poder, directeur du développement PMV Énergies, Gérard Cussaguet, directeur de CD Trans, Gérald Kothé, directeur d’agence MSC France, Serge Garcia, directeur SDV.
AP + élargit son périmètre
Depuis 2010, la communauté portuaire, suite à un partenariat entre le Port de Bordeaux et l’UMPB, a mis en place Poséidon + (plate-forme opérationnelle de systèmes d’échanges informatisés de données), qui intègre VIGIE2 et AP +, créant ainsi le premier guichet unique portuaire (Port Single Window) en France, qui permet de traiter tous les types de trafics, et qui fait référence auprès de la direction générale des Douanes et du ministère de l’Écologie et des Transports.
Poséidon + génère des gains de productivité pour tous les professionnels de la chaîne logistique portuaire et facilite le transport maritime tout en respectant les exigences réglementaires. Véritable « guichet unique portuaire », il permet de dématérialiser, d’optimiser le suivi des flux de marchandises et de sécuriser les processus (Douanes, autorité portuaire, services vétérinaires et phytosanitaires).
En janvier 2013, un nouveau pas a été franchi en proposant une connexion à AP + Cargo Community System (gestion de la marchandise) aux professionnels du transport international ayant une activité via le port de Bordeaux. Une étape qui va permettre ainsi à des entreprises non situées directement sur le port mais dans tout l’hinterland d’avoir accès à ce service, même si elles ne sont pas implantées sur le port.