Fin février, le Yeoman-Bridge, un mastodonte de type over-Panamax de 250 m de long, a déchargé plus de 55 000 t de granulats sur le terminal de Bassens. Un record pour le port de Bordeaux, mais également un événement symbolique du démarrage d’un marché annoncé depuis plusieurs années.
Tant le déficit girondin en granulats que la prévision de grands chantiers de construction tels la LGV, le Grand stade ou Euratlantique, ont amené ainsi des opérateurs maritimes à se positionner sur le marché bordelais dès 2009, à savoir MPA (Matériaux portuaires Aquitaine), mariage entre Fayat entreprise TP et Eurovia et la société Stema Shipping, propriété du groupe Mibau, exploitant de carrières de roches dures en Norvège. Cependant, durant trois ans, ces deux sociétés ont déchanté, les tonnages escomptés se faisant attendre, battus en brèche par des prix à la baisse des carriers locaux et la crise du bâtiment qui sévit.
2012 marque pourtant un tournant. Après une hausse en 2011 de 13 %, le trafic granulats gagne à nouveau 16 % pour atteindre les 480 000 t en 2012. Plus de la moitié de ce trafic (270 000 t) provient des extraits de granulats marins au large de l’estuaire girondin par la société GSM qui, depuis plusieurs années, plafonne à ce niveau de volume. Pour Stema Shipping et plus spécifiquement MPA, le vent tourne. « Nous sommes passés de moins de 100 000 t de trafic annuel en 2011 à 150 000 t sur 2012, soit une belle progression – notamment au second semestre –, ce qui correspond désormais à nos prévisions initiales de trafic », note ainsi Luc Gaudillere, gérant de la société MPA. « Cette augmentation découle du démarrage de grands chantiers attendus sur l’agglomération bordelaise et de marchés dépendant des filiales de notre groupe, notamment Eurovia auquel nous sommes associés. »
Un navire de 30 000 t tous les mois et demi
L’année 2013 confirme cette envolée, avec une hausse de 157 % durant les deux premiers mois de l’année et la venue de gros porteurs tel que le Yeoman-Bridge. Bien que Stema Shipping reste plus mitigé sur l’avenir, la société MPA, qui a remporté des marchés pour le Grand stade (Vinci-Fayat) et la LGV Bordeaux-Tours, table sur un trafic de 200 000 t en 2013 et 2014, soit un navire de 30 000 t tous les mois et demi en provenance d’Écosse. Selon le directeur du port de Bordeaux, tous opérateurs confondus, ces trafics pourraient ainsi croître de 25 % pour atteindre les 600 000 t en 2013. Et se poursuivre au moins durant une dizaine d’années…
« Les grands chantiers prévus sur l’agglomération vont nécessiter des volumes importants avec des cadences soutenues que seul le maritime peut apporter », explique Thibaut Guillon, chargé du trafic granulats à Bordeaux Port Atlantique. De façon plus structurelle, « la raréfaction de carrières locales va conduire à une augmentation des prix de ces matériaux à la base à faible valeur ajoutée, et permettra ainsi à des carriers internationaux d’exporter rentablement. Sans compter qu’on prévoit une hausse de la démographie dans la région qui entraînera la construction de logements et d’infrastructures. Le déficit de production local ne fera que s’accentuer ».
Grattequina: les opérateurs indécis
Face à ces trafics attendus, lors de son dernier projet stratégique (2007-2013), le port de Bordeaux a dégagé une enveloppe de plus de 13 M€ pour aménager un nouveau terminal dédié spécifiquement aux granulats, le site de Grattequina, à Blanquefort, situé sur la rive gauche de la Garonne. Doté désormais d’une nouvelle zone d’accostage, ce terminal, le 7e du port, disposera d’ici à la fin 2014 de nouveaux quais. « Ces travaux sont nécessaires, notamment pour renforcer les quais et accueillir des 30 000 t d’un tirant d’eau de 10,50 m, sachant que les opérateurs granulats arment généralement de gros porteurs », précise Thibaut Guillon.
Pourtant, pour l’instant, aucun opérateur ne s’est positionné officiellement. Stema Shipping, basée à Bassens, qui utilise la bande des silos de SPBL, dispose actuellement de surfaces conséquentes. Sur Bassens, MPA, qui a recours aux services des dockers de Sea Invest pour la manutention, détient une parcelle non négligeable pouvant recevoir 55 000 t. « Ainsi, ne sachant pas vraiment comment et quand ce terminal de Grattequina sera accessible, par quel type de navires et s’il sera concédé, nous n’avons pas pris de décision, témoigne Luc Gaudillère de la société MPA. Des discussions auront lieu cette année avec notre manutentionnaire Sea Invest. Toute une réflexion sur la stratégie doit être menée, d’autant que nos marchés dépendant beaucoup des commandes publiques, il nous est difficile de nous positionner à long terme. » Ce terminal de Grattequina sera en effet le premier, suite à la réforme, pour lequel le port devra désigner un manutentionnaire via une consultation publique.
Le port, malgré tout, reste optimiste. « Tant que le site n’est pas prêt, il est difficile pour les opérateurs de s’engager, mais tout dépendra des marchés qu’ils obtiendront et notamment ceux situés à l’ouest de l’hinterland », réagit Thibaut Guillon.
Les manutentionnaires revendiquent
Utilisant des navires autodéchargeants, les opérateurs granulats emploient essentiellement des dockers pour charger à quai les produits dans les camions. Cependant, selon les employés CGT de la société de manutention BAT, les volumes croissants de granulats sur les quais bordelais pourraient générer également du travail supplémentaire pour les manutentionnaires. « D’autant que l’utilisation de grues permettrait d’accélérer les cadences de déchargement. Cela pourrait s’inscrire dans un des projets de développement de BAT. Nous allons faire en sorte d’y être », annonce Cyril Mauran, secrétaire général de la CGT au port de Bordeaux.