« Les ports ne pourront pas se développer sans le concours des ouvriers portuaires »

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JOURNAL DE LA MARINE MARCHANDE (JMM): LE 21 FÉVRIER, VOUS AVEZ RENCONTRÉ LE MINISTRE EN CHARGE DE LA MER ET DES PORTS, FRÉDÉRIC CUVILLIER. QUELS ONT ÉTÉ LES SUJETS ABORDÉS AU COURS DE CET ENTRETIEN?

Tony Hautbois (T.H.): Au cours de cet entretien, qui a duré plus de deux heures, nous avons abordé les questions portuaires d’une manière générale et plus particulièrement la situation des ports actuellement. Notre constat repose sur l’analyse de la situation. Les deux réformes de la manutention, celle de 1992 et celle de 2008, s’avèrent un échec. Ces deux réformes, réalisées par des gouvernements d’obédience politique différente, ont été présentées pour annoncer une croissance des tonnages. Or, les résultats parlent d’eux-mêmes. Nous sommes passés d’un trafic, tous ports confondus, de 297 Mt en 1992 à 303 Mt aujourd’hui. La relance n’est pas là. Quant aux effectifs dockers, ils ont fortement diminué. En 1992, quelque 8 000 dockers travaillaient dans les ports français. Ils sont aujourd’hui entre 4 200 et 4 300. Au final, la réalité montre l’échec de 1992. De plus, de nombreuses entreprises de manutention ont été mises en difficulté en raison de la hausse des charges fixes. Elles ont subi des restructurations. La réforme de 2008 a servi des mêmes arguments. Le gouvernement a promis 175 M€ d’investissement et nous retrouvons le même constat. Le contexte économique ne facilite pas l’état de santé par le détachement du personnel depuis les ports vers les entreprises de manutention, et le transfert de l’outillage pèse encore plus lourdement sur ces entreprises. Cette réforme est un échec. Si certains secteurs progressent, comme la conteneurisation à Fos, globalement, sur l’ensemble des ports français, cette réforme est un échec pour le gouvernement tant au niveau économique que social.

Lors de l’entretien avec le ministre, nous l’avons interrogé sur les trafics qui auraient dû découler de cette réforme et les emplois promis. Nous attendons une réponse sur sa position face à cette loi. Dès lors qu’il y est favorable, il s’associe aux promesses du précédent gouvernement. Nous attendons des actions. Dans le cadre de la campagne présidentielle, le candidat François Hollande est arrivé au même constat que nous avons présenté devant le Conseil supérieur de la marine marchande. Cela prouve que le constat est connu, et l’urgence est plutôt à l’action à entreprendre et les moyens à allouer au ministère. La réponse n’a pas été aussi directe, mais le ministre a rappelé la difficulté actuelle en raison des restrictions budgétaires.

JMM: CES QUESTIONS POSÉES, QUELLES SONT MAINTENANT VOS ATTENTES?

T.H.: Nous avons envoyé dès le lendemain de notre entretien un courrier au ministre résumant les points abordés. Nous sommes conscients que certains points, comme par exemple la relance des ports, ne se règleront pas du jour au lendemain. Ce courrier pose aussi des questions à court terme, notamment sur la pénibilité ou sur l’Europe, auxquelles le ministre peut répondre dans les trois mois. Nous souhaitons continuer le processus de dialogue mais nous voulons surtout entrer dans une phase constructive. Nous ne voulons pas brûler des étapes mais nous attendons du concret. Les ouvriers portuaires réagiront si rien ne se fait rapidement.

JMM: PARMI LES QUESTIONS POSÉES, LA RÉGIONALISATION DES PORTS N’A PAS VOS FAVEURS. POURQUOI S’OPPOSER À CETTE TENDANCE?

T.H.: La régionalisation, voire la métropolisation, pour reprendre un terme utilisé par des présidents de collectivité territoriale, ne va pas dans le sens voulu. Nous attendons que les défenseurs de ce mouvement nous prouvent que ce serait une bonne chose. Nous craignons qu’une partie des fonds prévus pour des opérations soit utilisée à d’autres fins. Ainsi, par exemple, les sommes allouées par les ports au dragage doivent ressortir de l’État. Nous voulons qu’il reste le propriétaire des ports pour conserver son rôle dans l’économie. La régionalisation des ports est une régression.

Autre point, la desserte terrestre et le foncier doivent rester du domaine de l’État. Il lui appartient de gérer l’aménagement du territoire. Le transférer entre les mains des autorités régionales n’apporterait rien de mieux, pire, pourrait nuire aux ports.

De plus, la question de la fiabilité technique à long terme se pose aujourd’hui en des termes concrets avec l’exemple du Verdon. Le transfert de l’outillage et du personnel pose la question des capacités à investir pour renouveler l’outillage. Au Verdon, les trafics ne sont pas au rendez-vous et la société de manutention est face à des difficultés financières. Nous atteignons les limites de la réforme. Aujourd’hui, la société de manutention locale réfléchit à licencier une partie du personnel et à ferrailler les grues. En faisant reposer les charges sur les manutentionnaires, la loi a diminué les capacités de développement du port. Nous ne l’accepterons pas.

Un autre exemple apparaît à Rouen. La direction du port réfléchirait à fermer la filiale de maintenance et faire revenir les salariés au port. Elle ne respecte pas l’accord-cadre national qui oblige à la pérennisation de ces sociétés.

JMM: DEPUIS L’ORIGINE DE LA RÉFORME PORTUAIRE, VOUS MILITEZ POUR UNE MEILLEURE REPRÉSENTATIVITÉ DES OUVRIERS DOCKERS DANS LES INSTANCES DE GOUVERNANCE DES PORTS. ÊTES VOUS REVENU SUR CETTE QUESTION?

T.H.: Nous avons aussi abordé ces questions de gouvernance qui nous paraissent importantes. Les ouvriers portuaires sont représentés au sein des conseils de développement comme le sont les autres professions portuaires. Cet organe est avant tout technique, mais sans pouvoir décisionnel. Nous demandons la représentation des salariés de la manutention au sein des conseils de surveillance. Aujourd’hui, dans ces organes de décision ne sont présentes que des personnes du port. La loi a transféré au privé toute la manutention mais leur a retiré le pouvoir de siéger dans les organes les plus représentatifs.

Nous voulons une présence aussi dans les conseils de coordination portuaire. Nous pensons qu’il faut une coordination entre les ports pour une véritable complémentarité. Notre position initiale est d’être opposés à ces conseils de coordination portuaire car nous n’avons pas de représentants. De plus, nous craignons qu’il s’agisse, par ses conseils de coordination, d’une fusion des services. Lors de la création d’Haropa, sur l’axe Seine, il n’y a pas eu de consultation des instances représentatives des personnels. À terme, cela pourrait avoir des effets négatifs sur l’emploi. Nous ne sommes pas opposés à la complémentarité mais ce n’est pas en fusionnant les services que nous arriverons à une qualité de service efficace. Notre approche est de considérer tous les ports à la hauteur de leur importance. Il n’existe pas de petits ports mais des établissements avec des dimensions différentes. Au travers d’Haropa, nous voyons le danger d’une redistribution des cartes selon les différents types de trafic entre Paris et Le Havre sans passer par Rouen. Nous ne voulons pas de ports mono-activités. La complémentarité signifie une répartition équilibrée des trafics entre les ports.

JMM: LE 8 MARS, UN ARRÊT DE TRAVAIL DE 24 HEURES A ÉTÉ LARGEMENT RESPECTÉ PAR LES OUVRIERS PORTUAIRES DU PORT DE NANTES/SAINT-NAZAIRE POUR MANIFESTER LEUR OPPOSITION À UNE DÉCISION DU DIRECTEUR DU PORT D’ACCORDER UNE AOT QUI NE PRÉVOIT PAS LE RECOURS AUX DOCKERS. MILITEZ VOUS POUR LE RECOURS OBLIGATOIRE À LA MAIN D’ŒUVRE SUR L’ENSEMBLE DU TERMINAL?

T.H.: La problématique est qu’aujourd’hui, lors de la délivrance des AOT par certains directeurs de port, il n’est pas prévu le respect du code des ports maritimes. L’article R 511-2 de ce code prévoit le recours à des ouvriers portuaires pour les opérations de chargement et de déchargement. Ce travail est un dû. Or, des AOT ont été délivrées sans que le recours à cette main-d’œuvre soit prévu. Dès lors que l’AOT est sur le domaine public maritime, le recours à la main-d’œuvre portuaire est obligatoire. À Nantes/Saint-Nazaire, un industriel souhaite s’implanter mais en refusant de faire appel à la main-d’œuvre docker. Si nous avions été présents dans les instances de gouvernance, nous aurions pu alerter le directeur sur ce point.

Le ministre s’est exprimé sur le sujet en rappelant qu’il faut une souplesse pour l’implantation des industriels dans les ports. Nous l’avons interpellé sur ce sujet. Il a réaffirmé que cette souplesse ne doit pas exonérer les sociétés de respecter le droit.

Nous attendons une réponse ferme du ministre sur ce sujet. Nous sommes favorables au développement des ports, mais dans le respect des travailleurs portuaires. Les ports ne pourront pas se développer sans le concours des ouvriers portuaires.

JMM: UN NOUVEAU PAQUET PORTUAIRE SEMBLE REVENIR SUR LE BUREAU DE LA COMMISSION EUROPÉENNE. UNE PREMIÈRE RÉUNION A EU LIEU EN JANVIER. Y AVEZ-VOUS PARTICIPÉ? QUELLES SONT LES POSITIONS QUE VOUS AVEZ DÉFENDUES DEVANT LE MINISTRE?

T.H.: Le ministre nous a confirmé qu’il ne souhaite pas une intervention européenne sur l’organisation du travail dans les ports; la France a déjà connu une réforme. Nous attendons maintenant une confirmation écrite de cette position. Sur ce sujet, je préfère laisser la parole à Anthony Tétard, secrétaire général adjoint de la Fédération nationale des ports et docks et représentant à l’IDC (International Dockworker Council).

Anthony Tétard: Concernant la la réunion qui s’est tenue à Bruxelles en janvier, Nous avons été présents au travers de l’IDC, organisation des travailleurs portuaires. Nous avons défendu notre position d’une organisation du travail au niveau local mais pas européen. Les différences entre les ports sont trop marquées pour que nous puissions prévoir la création d’une organisation européenne. Derrière cette volonté de changer et d’uniformiser le statut des ports en Europe, nous pensons que la Commission veut réduire le champ d’activité des ouvriers portuaires. Ce qui est ressorti de la réunion, c’est que cette organisation appartient au dialogue social entre les partenaires sociaux, mais pas au niveau de la Commission européenne. Nous avons, au niveau européen, un comité de dialogue social sectoriel que nous voulons limité à la sécurité, la santé, le travail et les qualifications. Les premières réunions devraient se mettre en place dans le courant de l’année. Nous avons eu une première réunion pour établir une charte. Ces comités regroupent la Feport, l’Espo, l’IDC et l’ETF.

JMM: LA PÉNIBILITÉ A ÉTÉ LARGEMENT ABORDÉE PENDANT LA RÉFORME. LE DISPOSITIF EST-IL OPÉRATIONNEL?

T.H.: La pénibilité est arrivée sur le devant de la scène quand le gouvernement de Nicolas Sarkozy a décidé de s’ingérer dans le système. Sans le télescopage avec la réforme des retraites, nous n’en aurions pas autant entendu parler parce que nous avions bien avancé entre les partenaires sociaux. Nous nous félicitons que le dispositif soit en place et nous constatons les premiers départs dans ce cadre. Ce système vient réparer les départs qui n’ont pas eu lieu dans le cadre de l’amiante.

Nous ne perdons pas de vue qu’en octobre et novembre 2011, nous avons abouti à un accord avec l’UPF et l’Unim qui a été remis en cause par le gouvernement de l’époque. Il faut que le gouvernement actuel respecte cet accord. Dans ce dispositif, le précédent gouvernement a promis une dotation initiale. Celui de Jean-Marc Ayrault doit confirmer cette dotation. Nous attendons sur ce point une réponse claire de la part du ministre en charge des ports.

Le dispositif pénibilité est calqué sur l’amiante. Nous voulons que l’indemnité de départ à la retraite soit défiscalisée. Lors des discussions, ce point n’a pas été précisé. Aujourd’hui, cette indemnité est fiscalisée. Si nous l’avions su, nous aurions demandé une indemnité plus élevée.

Ensuite, il a été prévu quatre ans d’anticipation, voire jusqu’à cinq ans si nous bénéficions de l’exonération de la taxe Fillon avec une participation plus importante des salariés. Quels dispositifs trouvera-t-on pour les prochaines années? Nous avons une clause de revoyure mais il faut déjà préparer l’avenir. Alors, nous demandons l’exonération de la taxe Fillon qui est mise en place dans les entreprises qui organisent des départs dans le cadre d’un PSE. Cette taxe n’est pas légitime dans notre dispositif puisqu’il ne s’agit pas d’un licenciement. En accordant l’exonération de la taxe Fillon, cela nous permet de gagner une année. Enfin, nous voulons le maintien de l’âge légal du départ à la retraite à 60 ans. L’espérance de vie est écourtée de sept à huit ans selon les CHSCT et la médecine du travail pour les métiers portuaires. Les travailleurs portuaires sont exposés à des risques. Pour compenser cette baisse d’espérance de vie, il faut un départ à la retraite à 60 ans. Cela ne nous empêche pas de faire de la prévention dans les entreprises, mais tant que la profession endure des risques, il lui faut un système de compensation.

JMM: L’ANI (ACCORD NATIONAL INTERPROFESSIONNEL) AURA-T-IL DES INCIDENCES SUR LES MÉTIERS PORTUAIRES?

T.H.: D’abord, nous considérons que la loi de l’ANI n’est pas encore promulguée. Nous nous associerons avec les autres fédérations pour nous opposer à ce texte comme nous l’avons fait le 5 mars. Si le texte n’est pas encore adopté, il apparaît, par rapport au projet de loi, que l’ANI aura des effets sur nos métiers. Elle verra une taxation du CDD d’usage constant. Nous espérons que cela obligera les manutentionnaires à mensualiser plus d’ouvriers. Nous refusons de voir la remise en cause de ces CDD d’usage constant pour voir venir de la main-d’œuvre intérimaire. Dans l’ANI, les CDD de courte durée sont taxés mais pas les contrats d’intérim.

Enfin, nous sommes surpris par l’attitude de ce gouvernement. Vingt ans après 1992, quand Jean-Yves Le Drian, actuel ministre, a vilipendé l’intermittence, voilà un revirement de position qui permet une plus grande flexibilité et une révision des accords d’entreprise.

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