Le 22 février 1940, Le Journal de la Marine Marchande reprend une tribune de René La Bruyère sur le sabordage des navires de commerce allemands. La question soulevée par l’auteur est de placer sur le terrain juridique l’action menée par les capitaines allemands lorsqu’ils sont arraisonnés par des bâtiments de guerre français ou anglais. Les capitaines allemands préfèrent saborder leurs navires plutôt que de les livrer aux navires français ou anglais. Pour l’auteur, en ces temps de guerre, « il n’est pas douteux qu’en agissant de la sorte, les bâtiments allemands commettent une infraction aux plus anciennes traditions maritimes ». Et il fait le parallèle entre ces prises et la « course avec lettre de marque » telle qu’elle a existé au cours des xviie et XVIIIe siècles. En agissant ainsi, les capitaines allemands commettent « une infraction au droit de propriété du capteur ». Alors il pose la question de savoir à quel moment le navire arraisonné « ne s’appartient plus ». Il apporte une réponse en établissant le point de départ de ce transfert de propriété « au coup de semonce » envoyé par l’arraisonneur. « En juger autrement, c’est enlever toute espèce de possibilité de capture aux croisières navales », note René La Bruyère.
Le droit est une chose, son respect en est une autre. Le propre d’une règle de droit est de prévoir des sanctions si elle n’est pas appliquée. En l’occurrence, aucune sanction n’est possible à l’encontre des capitaines allemands qui décident de saborder leurs navires. La radio allemande s’est insurgée contre l’ordre reçu par la marine française de tirer sur les canots de sauvetage. « Ces procédés barbares sont réservés à nos ennemis », souligne René La Bruyère. L’article 22 du traité de Londres de 1930 fait obligation à tout navire de ne point couler un navire sans avoir mis au préalable son équipage en lieu sûr. Pour l’auteur, cet article est aussi une condamnation du sabordage puisque « la règle de l’assistance cesse de devenir impérative lorsque le navire oppose un refus persistant de s’arrêter après sommation régulière ou de résistance passive à la visite. »
Des questions qui, en temps de guerre, peuvent paraître à la limite de la futilité. Pour René La Bruyère, ces propos interviennent alors que 400 navires allemands se sont réfugiés dans des ports neutres dès la déclaration de la guerre. Quelque 123 000 tonneaux ont été sabordés. « Ce butin de guerre allemand, sur lequel nous aurions pu compter, constituerait un appoint précieux. »
Le 27 novembre 1942, pour éviter de livrer aux Allemands la flotte française, l’amirauté française décide de saborder sa flotte militaire. René La Bruyère pourrait alors revoir ses positions sur le sabordage des navires, qu’ils soient marchands ou militaires.