L’étude a eu pour objet d’analyser, pour le compte du GTMO, l’opportunité et la faisabilité économique et juridique de l’instauration d’une redevance sécurité de la navigation maritime. Elle équivaut à un droit de passage à payer pour les navires qui passent par les eaux maritimes des États côtiers. Conformément à une décision des ministres du GTMO de mai 2009, rappelle Copétrans, le consultant qui a été retenu pour réaliser ce travail. L’étude a aussi évalué l’apport d’un tel dispositif pour améliorer la surveillance de la navigation maritime et les services d’aide à la navigation pour les navires. Concrètement, il s’agissait d’analyser cinq points: diagnostic des systèmes mis en place par les États côtiers, notamment par les pays du GTMO 5+5, en matière d’aides à la navigation; analyse des besoins, notamment financiers, de développement de ces moyens au regard de l’évolution prévisionnelle du trafic maritime et de la réglementation internationale en la matière; méthode de démarche opérationnelle et dispositif juridique de mise en place d’une redevance comme outil de financement potentiel de tels systèmes; impact de l’instauration éventuelle de cette redevance aussi bien pour l’État côtier que pour le navire; élaboration, sur la base des éléments d’analyse susvisés, d’un argumentaire permettant d’attirer l’attention des instances internationales concernées sur l’intérêt potentiel de cette proposition.
Le point le plus susceptible de générer un débat international “franc et contrasté” est bien sûr celui qui porte sur le fondement juridique permettant de prélever ou de récupérer environ 388,5 M€ par an pour alléger le poids des obligations qui résulte de conventions internationales (Montego Bay) ou régionales (convention de Barcelone).
Les redevances des détroits turcs
Pour ce faire, Copétrans a étudié les systèmes de redevance existant dans le monde: en mer Baltique, dans le golfe Persique, au Canada, etc. Ce sont les détroits turcs qui présentent le plus intérêt, contrairement à ceux de Gibraltar ou de Messine qui sont totalement gratuits.
Le cadre juridique qui s’applique aux détroits turcs est la convention de Montreux à laquelle s’ajoute un ensemble de règles et d’usages historiques. Avec l’aval de l’OMI, la Turquie encaisse des navires en transit trois redevances pour les feux de navigation, à l’entrée de la mer Noire, de celle de Marmara et de la mer Égée, ainsi que deux redevances de sauvetage, en mer Noire et en mer de Marmara. De la même façon, dans le corridor de Malacca, les États utilisateurs cofinancent la gestion de la sécurité et de la protection de l’environnement. Cela allège la facture pour les États côtiers, et d’autant plus que la lutte locale contre la piraterie et/ou le terrorisme a facilité la bonne volonté du Japon, de la Corée du Sud et des Émirats.
Le secteur aérien prévoit explicitement la possibilité pour un État survolé de récupérer des usagers la totalité des coûts de service de navigation aérienne, investissement et entretien par exemple, de sorte que Copétrans conclut « qu’il n’existe pas de dispositif réellement comparable à la redevance, objet de l’étude, mais il est possible de retenir, à partir de situations approchantes, des références utiles au plan juridique et comme modalités pratiques:
– Plusieurs États et autorités publiques (ports, canaux) prélèvent, directement ou indirectement, des contributions au titre de la sécurité de la navigation maritime, et les facturations portuaires de redevances ou taxes de protection de l’environnement se multiplient depuis quelques années. S’il est certain que certains États financent ainsi une partie de leurs systèmes et services, ils ne communiquent évidemment pas ce qui relève du port, du littoral, et au-delà.
– Les mers fermées ou semi-fermées, de même que les détroits, disposent généralement d’un cadre juridique régional dans lesquels ils poursuivent des politiques coopératives plus ou moins avancées de sécurité de la navigation et de défense de l’environnement marin. Ces accords politiques, qui se rattachent aux conventions internationales, sont autant de cas particuliers d’application concertée et coordonnée ou de pratiques de coopération régionale.
– Des systèmes et solutions de financement, répondant aux mêmes objectifs de couverture, au moins partielle, des dépenses collectives de sécurité et de protection de l’environnement, sont en place dans d’autres modes de navigation, en particulier en transport aérien. »
Qui contribue? Qui reçoit et comment?
La Méditerranée connaît trois types de trafics maritimes: ceux qui sont purement interméditerranéens et qui ne franchissent donc aucune “porte” d’accès (Gibraltar, Suez ou le Bosphore), le transit sans escale (porte-conteneurs passant par Gibraltar en direction de la mer Rouge par exemple) et le trafic “classique” Méditerranée/Atlantique. Dans tous les cas, il est techniquement possible de facturer et d’encaisser la redevance, car tout est contrôlé ou susceptible de l’être par un État méditerranéen. Pour diverses raisons, l’encaissement ne serait pas fait par les ports que les navires en transit ne fréquentent pas, mais directement par un organisme central du type d’Eurocontrol qui existe dans l’aérien, les ports d’escale se limitant à lui faire parvenir les informations nécessaires à la facturation. Ces données peuvent également être obtenues autrement, comme au franchissement des “portes” de la Méditerranée.
Le mode de calcul de la redevance est complexe car il doit tout à la fois être simple et efficace, neutre et justifié, transparent et proportionné aux risques, non discriminant et équitable. Enfin, il doit prévoir des exonérations pour les unités de moins de 7 m, les navires d’État (marine, douanes), de lutte antipollution, d’entretien des phares et balises, etc. Copétrans établit ainsi une matrice: en abscisse, les critères énoncés ci-dessus, en ordonnée, les types de navigation ainsi que les principales caractéristiques des navires concernés.
Dans une toute première ébauche de simulation, Copétrans estime que 80 % des 388,5 M€ pourraient être payés par les navires de charge selon leur port en lourd, soit 311 M€. Cela représente 0,06 € par tpl, et donc très en dessous des coûts de transit du canal de Suez.
La petite et moyenne plaisance prendrait à sa charge 8,4 % du total, soit 32,5 M€ ou bien encore 250 € par unité et par an. Les grands yachts prendraient 5,8 %, les croisières 3,1 %, soit 1 € par croisiériste, pas de quoi porter atteinte à la pérennité de l’activité.
La redistribution de la collecte n’est pas plus aisée dans la pratique. En effet, cette redevance ne peut qu’être affectée aux seules dépenses faites pour la sécurité de la navigation et la protection de l’environnement marin. Pour limiter le risque de dérapage, Copétrans suggère que l’organisme de collecte ait également une « mission de coordination entre les programmes des États dans le cadre des orientations définies en commun au niveau régional. » En d’autres termes, une partie serait reversée directement aux États, selon des critères objectifs, et une autre serait affectée à la mise sur pied de programmes régionaux. Officiellement, le GTMO n’a pas encore réagi.
Le GTMO en bref
Le GTMO, Groupe des ministres des Transports de la Méditerranée occidentale, a été créé en 1995. Son objectif est de créer un cadre de concertation et de coopération pour le développement du transport dans la région de Méditerranée occidentale, et de contribution au processus de l’association euroméditerranéenne dans ce domaine. Ses membres sont les ministres en charge des transports des sept pays de la région (Algérie, Espagne, France, Italie, Libye, Malte, Maroc, Mauritanie, Portugal et Tunisie), ou leurs représentants, ainsi que la direction générale des Transports et de l’Énergie de la Commission européenne (DGTREN). Le Centre d’études transports (CETMO) pour la Méditerranée occidentale assure le secrétariat technique du GETMO.