La croisière en Méditerranée: côté cour

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Du côté du verre à moitié plein, on trouve le président du conseil européen de la croisière (CEC), Manfredi Lefebvre d’Ovidio (également président de Silversea Cruises) qui a souligné la résilience de la de­mande européenne après l’accident du Costa-Concordia, la solidarité des compagnies de croisières en matière de renforcement de la sécurité des navires, l’importance de l’activité en termes d’emplois locaux et de retombées financières – entre 2012 et 2016, 24 paquebots doivent être livrés par les chantiers européens représentant un investissement de 12 Md€ –, plus de 153 000 emplois directs ont été créés en 2011 dans toute l’Europe; les dépenses directes en Europe ont atteint les 15 Md€. La présidente de l’Association internationale des compagnies de croisières (CLIA), Christine Duffy, a rappelé l’importance de la croissance du nombre de passagers dans le monde (10 % entre 2010 et 2011, et probablement plus entre 2011 et 2012). Et l’émergence de nouvelles demandes, chinoise ou brésilienne, par exemple.

David Dingle, p.-d.g. de Carnival UK, a expliqué que malgré la situation économique et politique des États côtiers de la Méditerranée (principalement occidentale), la plupart des opérateurs ont maintenu leurs capacités. De grands espoirs sont fondés sur la demande russe. Partant de bas, la demande française offre un grand potentiel de croissance.

« Nos navires sont pleins, mais à quel prix? », s’est interrogé Gianni Onorato, président de Costa Croisières, filiale de Carnival Corp, de loin le premier opérateur mondial. « Il ne faut pas confondre le volume et la rentabilité. Notre défi est de faire remonter les prix. Nous ne vendons pas des denrées agricoles. Nous avons été obligés de remplir nos navires en 2012. Cela ne pourra pas durer. Nous avons également un problème de coût de distribution de nos produits en Europe: en Espagne, la distribution est concentrée entre les mains de quelques réseaux, en Italie, elle est éclatée, et équilibrée en France. La vente directe est possible en Allemagne, difficile au Sud. »

Domenico Pellegrino, directeur général de MSC Croisières, a poursuivi sur le même thème: « Nous ne vendons pas des denrées. Cessons de nous faire concurrence les uns les autres et essayons de construire une relation durable avec les clients. »

Un message qui pourrait ne pas être bien entendu par Royal Caribean International: « Nous sommes encore rentables et nous continuons à nous développer, à rechercher de nouveaux marchés source (demande) et à faire pression sur les ports », a expliqué John Tercek, vice-président chargé des ventes et du développement des nouvelles activités chez RCI, 2e groupe mondial de croisières.

Les places portuaires sous pression

L’augmentation de la taille et le nombre des paquebots exploités en Méditerranée conduit mécaniquement à la saturation de certains ports, ceux qui sont soit « incontournables », (les « marquee ports » comme Venise, Civitavecchia pour visiter à Rome, etc.), soit à la frontière de deux bassins de navigation. Les ports italiens étant souvent les deux. Ainsi John Tercek (RCI) a-t-il regretté que Naples soit complètement saturée et dans l’impossibilité physique de s’agrandir; Livourne est proche de la saturation. Venise est la « seconde » victime du Costa-Concordia car une « poignée d’activistes relayés par les médias s’oppose aux escales des grands paquebots », s’est exclamé Roberto Perocchio, directeur général de Venezia Terminal Passegegeri. Mais une stratégie a été définie en 2012 pour expliquer aux médias pourquoi il est « impossible » que se produise un accident et « pour contrôler l’opinion publique ».

« Nous avons fait de grands efforts pour maintenir vos escales en hiver, notamment en baissant nos tarifs. Mais le coût du passage portuaire est resté le même », a regretté le d.g. de MSC Croisières. « Si la situation devait perdurer, nous serions contraints de reconsidérer nos décisions et, vers 2015, nos navires pourraient être exploités en Extrême-Orient. »

Neil Palomba, président du sous-comité des ports et des infrastructures au CEC et chargé de l’exploitation chez MSC, a approfondi le même sillon: « Nous apportons des touristes, nous apportons des devises et dans la crise que nous traversons, nous ne constatons aucune réaction des ports, aucune aide de leur part, ni aucune amélioration de leurs prestations. » Concernant les problèmes de réservation de postes à quai, en Méditerranée, le représentant de MSC a expliqué qu’il est inacceptable, sauf force majeure, d’être prévenu trois jours avant l’escale que le port n’a plus de place, le jour dit. En conséquence de quoi, les paquebots ont forcé l’allure pour arriver en premier.

Toujours du côté du verre à moitié vide, MSC a mis en garde les autorités portuaires qui facilitent la présence ou même organisent des excursions concurrentes à celles vendues à bord, génératrices de belles marges. En effet, grâce à internet, des croisiéristes astucieux organisent eux -mêmes certaines de leurs excursions à terre. Ce qui réduit encore les recettes, déjà amoindries, des opérateurs. Pour prendre en charge leurs clients, les autocaristes ou les taxis doivent pouvoir accéder assez facilement à quai. Certaines autorités portuaires facilitent les choses; d’autres, non. Partout où les compagnies de croisières sont co-actionnaires des terminaux (à Civitavecchia ou à Marseille Provence Cruise Terminal, par exemple), l’accès aux quais est strictement réservé.

Le système des concessions portuaires en Europe ne convient pas

Senior vice-président de Carnival Corp chargé du développement des destinations et des ports, Giorea Israel a expliqué pourquoi sa compagnie ne souhaite pas contracter avec les concessionnaires portuaires en Europe. Ils sont révocables à tout instant. Leurs intérêts financiers ne convergent pas nécessairement avec ceux des compagnies de croisières ainsi que des collectivités locales. Ces dernières cherchent souvent à créer de l’emploi local ainsi que des revenus fiscaux, souligne Giorea Israel alors que les concessionnaires s’intéressent, comme cela est bien normal, à leur compte d’exploitation. Si en plus, le concessionnaire est l’unique prestataire des services portuaires (pilotage, lamanage ou remorquage), le risque est augmenté d’être pris en otage.

Carnival a commencé à s’impliquer dans la gestion portuaire sur l’île de Roatan appartenant à l’Honduras. Moyennant une concession de 30 ans accordée en 2007 par le gouvernement pour 1 $, Carnival a fait passer la fréquentation de 80 000 croisiéristes en 2005 à 800 000 en 2010.

Le schéma traditionnel au moins en Europe pour la concession de l’exploitation des terminaux de croisières est l’association entre deux ou trois des principaux opérateurs que sont RCI, Carnival, Costa, MSC, voire Louis Cruises. Pour limiter les risques financiers, les terminaux gérés en commun sont toujours ouverts aux paquebots d’autres compagnies. Si la concurrence est très forte sur le prix du billet, il y a une bonne entente sur les quais entre les compagnies qui ont de nombreux moyens de se faire bien comprendre localement.

Aux États-Unis, le schéma est totalement différent, explique Giorea Israel: « Tous les terminaux de croisière sont publics. Ils fonctionnent exactement comme nous leur demandons. Ils gagnent de l’argent et ne nous subventionnent d’aucune manière. »

Arbitrage délicat entre économie et ports d’escale

Le remplissage des paquebots à coups de promotions commerciales et l’augmentation du prix des soutes qui peuvent représenter jusqu’à 25 % des coûts d’exploitation, plongent les compagnies dans la perplexité. Pour réduire les consommations de fuel, il est possible de réduire la vitesse, mais alors le nombre d’escales risque d’être réduit. Or chaque escale sautée représente certes des économies de dépenses portuaires, mais aussi la disparition de recettes sur les ventes d’excursion. En outre, même proposée à bas prix, il faut que la croisière reste attractive pour le client. Il faut donc que les ports « incontournables » dans la zone de navigation soient touchés. Et ce dans de bonnes conditions. Si les petits paquebots de luxe peuvent se satisfaire d’une escale sur rade, les passagers étant amenés à quai par des grosses « barques », les tenders, les unités de 2 500 pax et plus doivent faire escale directement à quai et, de préférence, loin des navires de charge ou d’autres immeubles flottants.

Outre les éventuels problèmes de disponibilité des moyens d’excursion que sont les bus ou de saturation des routes qu’ils empruntent, les compagnies doivent faire de plus en plus face à des contraintes écologiques. Outre les contrôles des émissions qui s’appliquent ou s’appliqueront à tout navire, selon les zones de navigation, les paquebots doivent également trier leurs déchets par type selon leur capacité à être recyclés. Jusqu’à dix catégories différentes. Le vrai problème viendrait, une nouvelle fois, des ports. Certains sont bien loin d’être capables de réceptionner dix catégories de déchets. Les obligations pesant sur les navires sont strictes. Celles des ports, sensiblement plus souples.

The Winner is… Jean-Emmanuel Sauvée

L’indispensable cérémonie des Oscars organisée par Seatrade a décerné à Jean-Emmanuel Sauvée, président-directeur général de la Compagnie du Ponant, le titre de « Mediterranean Cruise Personality of the Year ». Victimes de la crise internationale qui a sévi dans le maritime au milieu des années 1980, Jean-Emmanuel Sauvée, Philippe Videau et une vingtaine de jeunes officiers de la marine marchande se lancent dans l’aventure de la croisière de luxe avec un voilier de 82,80 m. Financé par la loi Pons DOM-TOM et immatriculé à Walis et Futuna, devenu le paradis des quelques rares paquebots français, l’Île-du-Ponant est construit par feu la Société française des constructions navales. Les débuts commerciaux de la Compagnie des Îles du Ponant (CIP) sont très difficiles. Peu à peu, grâce au marché américain, la situation s’améliore. La CIP prend livraison en novembre 1998 d’un yacht neuf, Le-Levant. Elle rachète deux anciens navires. Commande trois yachts dont deux seront livrés en 2013. Se spécialise dans les croisières en Antarctique et se fait racheter par CMA CGM. Organise sa revente au fonds d’investissements Bridgepoint, il y a quelques semaines. Elle pourrait même annoncer de grandes choses prochainement. Fidèle à une certaine morale, Jean-Emmanuel Sauvée a dédié son Oscar à l’ensemble des salariés de la Compagnie du Ponant (les Îles ayant disparu).

Élargissement de la passe Nord des bassins de Marseille

Si tout se passe bien comme espéré, au début de 2016 et moyennant un investissement d’environ 32 M€, la passe Nord des bassins Est du Grand port maritime de Marseille aura été élargie. Ainsi, les plus grands paquebots actuellement en exploitation en Méditerranée pourront être mis à quai jusqu’à 35 nœuds de vent, contre 25 nœuds aujourd’hui. Ainsi en a décidé, fin novembre, le conseil de surveillance du port, après plusieurs mois d’hésitation. Concrètement, il est question de réduire de 50 m la digue de Saumaty ainsi que celle de Mou­repiane. Pour éviter que cela ne risque de provoquer de l’agitation dans le bassin de Mourepiane et au poste roulier 144, la digue du large devra être prolongée de 90 m pour former une sorte d’entonnoir. La question ouverte reste la répartition du financement. Les collectivités locales, qui sont les principales bénéficiaires directes et indirectes des retombées économiques de la croisière, pourraient fournir la moitié de la somme selon une clé de répartition que le préfet de région aura à trouver.

Frédéric Cuvilliers apporte le soutien du gouvernement

Invité surprise du dîner de gala, le ministre des Transports et de la Mer est venu apporter le soutien du gouvernement au secteur de la croisière, créateur d’emplois. L’exemple de la réussite marseillaise pourrait inspirer d’autres ports en France.

L’Alaska refuse la zone à émissions contrôlées

Le Seatrade Med sert à tout, y compris à un citoyen d’Alaska pour dénoncer les agissements de Washington contraires aux intérêts de la population de l’extrême nord-ouest des États-Unis. En effet, le 14 juillet, l’État d’Alaska a officiellement déposé plainte contre plusieurs administrations fédérales, dont l’Agence de la protection de l’environnement et le ministère de la sécurité intérieure, pour avoir décidé la mise en place, à partir du 1er août 2012, d’une zone à émissions contrôlées recouvrant les ZEE nationales. Dans ces zones, à partir de 2015, il sera obligatoire d’utiliser du fuel contenant moins de 0,1 % de soufre. Cela affectera l’économie de l’État, souligne la plainte qui a été modifiée en septembre dernier: d’une part, tous les achats publics de marchandises qui arrivent par mer seront plus chers, d’autre part, les taxes que perçoit l’État sur la production pétrolière seront moindres. De plus, le niveau de vie des citoyens d’Alaska sera également affecté par le renchérissement du prix des produits importés par mer (l’Alaska est séparé du reste des États-Unis par le Canada). En outre des milliers d’emplois dans la croisière seront menacés si les paquebots réduisent leurs escales en Alaska. Les justifications juridiques sont les suivantes: l’annexe Marpol VI n’a pas encore été approuvée par les deux tiers du Sénat américain. Elle est donc impossible à appliquer aux États-Unis. De plus, il n’y a eu aucune étude d’impact spécifique concernant l’Alaska. Enfin, l’Agence pour la protection de l’environnement n’a jamais consulté les autorités d’Alaska pour recueillir leurs commentaires.

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