En Afrique, le maritime se joue sur la terre

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Certes, l’Afrique de l’Ouest attire les investisseurs (par exemple, le projet de port en eau profonde d’APM au Nigeria) et l’on estime à 1 Md$ l’investissement des mises en concessions portuaires entre Dakar et Cotonou, dans le conteneur essentiellement. Pourtant, les infrastructures ne suivent pas. Ou pas assez. Comme l’a rappelé Yannick Danvert, de Bolloré Africa Logistics, premier réseau intégré de logistique en Afrique, son groupe investit entre 200 M€ et 300 M€ par an en Afrique. Les infrastructures ne répondent pas au boom commercial permis par internet, a expliqué Alain Cazorla, le directeur des lignes Afrique de MSC, en déplorant que l’on « continue à faire de l’anti-Bolloré ». La réalité est que les infrastructures ne permettent pas d’acheminer la marchandise avec la fluidité nécessaire. « Il n’y a aucune plate-forme logistique en Afrique », a affirmé Alain Cazorla, appelant de ses vœux une « grande réflexion sur le terrestre » impliquant les armateurs. « Les armateurs vont devoir aller à terre. La mer, nous connaissons, mais que faire quand la marchandise est bloquée dans les ports? » Ce deuxième carrefour a été organisé en partenariat avec Soget, spécialiste mondial des guichets uniques portuaires et Haropa, le GIE commercial des ports de l’axe Seine (Le Havre-Rouen-Paris) concerné par l’Afrique du fait des relations historiques du port de Rouen avec l’Afrique. Comme l’a indiqué Yasmine Jourdan, directrice du pôle Transport et tourisme de Wolters-Kluwer France, la finalité de ce type de « carrefour » est d’offrir des « espaces de partage » sur une thématique resserrée.

Trois millions de boîtes en Afrique

Invité à « planter le décor » par Hervé Deiss, rédacteur en chef du Journal de la Marine Marchande, Yann Alix, le délégué général de Sefacil, a rappelé que l’Afrique se dote « d’interfaces de plus en plus modernes ». Prenant l’exemple du Nigeria, il a ajouté que les infrastructures de l’arrière-pays étaient « catastrophiques. Résultat, le Nigeria ne croit pas à la vitesse où il devrait croître ». Il a souligné qu’il faut prendre en compte l’ambition forte des Chinois « d’investir l’espace logistique » en Afrique. Ils arrivent, explique-t-il, avec tous les moyens intégrés, dont les prêts bancaires. En attendant, la logistique conteneurisée reste modeste en Afrique. Le continent totalise 3 millions de boîtes (30 % proviennent d’Asie), soit un mois de conteneurs traités à Shanghai ou un trimestre à Rotterdam! Son graphique traduisant la conteneurisation par habitant et par continent montre bien le décalage avec le reste du monde: moins de 20 EVP/habitant en Afrique contre 120 en Amérique du Nord. Ceci étant posé, il ne faut pas se focaliser uniquement sur le conteneur, a-t-il observé. « Il y a en Afrique un énorme marché potentiel pour aller manutentionner correctement ce que l’on ne met pas dans une boîte. »

Serge Latschenko, de Conti-Lines, armateur de vracs d’Anvers, a confirmé qu’il ne faut pas oublier l’activité portuaire conventionnelle. « Les acteurs dans le conventionnel et le vrac sont toujours là. L’activité de ces armements est liée à la démographie, car très liée à l’agroalimentaire. »

Mais Serge Latschenko rejoint ces collègues du conteneur sur les ratés de la chaîne logistique: « Nous avons un navire qui charge à Abidjan; le navire est bloqué faute de camions et les camions sont bloqués par des problèmes douaniers. »

Le « gros mot » de la fiabilité (terrestre)

Boîte, vracs ou conventionnel, on se heurte toujours au même « gros mot » de la « fiabilité » sur terre, a expliqué Yann Alix qui s’est interrogé à haute voix sur l’opportunité de mettre en place en Afrique des « routes dédiées au fret ». En marge des problèmes d’infrastructures, il faut aussi évoquer le fonctionnement mafieux sur les routes d’Afrique qui est un frein évident à la circulation de la marchandise. Sur la carte des grandes routes d’Afrique de l’Ouest, Yann Alix a représenté toutes les « barres » qui représentent les barrages formels et informels auxquels sont soumis les ensembles routiers. « Chaque barre signifie qu’il faut s’arrêter », a expliqué Yann Alix aux béotiens de la salle.

Que fait-on pour diminuer ces barrières, a demandé Hervé Deiss « Ce phénomène existe toujours. Chacune des institutions à son niveau prélève un peu d’argent sur chaque camion entre Cotonou et Niamey. C’est un gros problème pour les chargeurs », a confié Damase Kakoudja de la représentation « Europe et Amériques » au conseil gabonais des chargeurs. Il réclame la mise en place « d’escortes pour réduire le phénomène des “PDG” sur les routes », les PDG étant la réunion des trois institutions police, douanes et gendarmerie… « On cherche à en quantifier l’impact, on tente d’inciter les gens à dénoncer les mauvaises pratiques. C’est un début, même si cela n’a pas encore eu d’effet sur le nombre de barrières », a expliqué Yann Alix. Il a aussi rappelé cette évidence mathématique: « En Afrique, les coûts de transport et de transaction sont forts car les volumes sont faibles: on fait encore de la dentelle. » Il va falloir « progressivement massifier les volumes et orchestrer cette massification ». Une évidence qui s’impose quand on corrèle le potentiel de besoins économiques à la démographie. L’Afrique, qui a atteint le milliard d’habitants en 2009 devrait passer la barre des deux milliards en 2050. En attendant que l’Afrique n’engrange les « dividendes économiques » de son dynamisme démographique, une partie de sa population s’est mise à consommer. Pour mesurer l’évolution, Yann Alix a choisi l’exemple saisissant de l’équipement téléphonique. « Il y a 25 ans, personne n’avait le téléphone en Afrique. Aujourd’hui, tout le monde a un téléphone cellulaire de dernière génération. »

Que font les États d’Afrique de l’Ouest pour fluidifier l’acheminement des marchandises? On aurait peut-être pu le savoir, si quelques « désistements politiques » n’étaient intervenus à la dernière minute, selon la formule d’Hervé Deiss. Les chargeurs africains de l’Ouest et du Centre étaient eux, représentés. « Les chargeurs ne maîtrisent pas les difficultés liées à la chaîne logistique », a observé Damase Kakoudja qui s’est exprimé au nom de l’Union des conseils des chargeurs africains. En revanche, les chargeurs subissent ces difficultés. Damase Kakoudja a insisté sur le prix des transports qui a un « impact final important sur le panier de la ménagère » et indiqué que des discussions étaient en cours en vue d’une « réduction des coûts du fret ». Ce dernier point à naturellement fait bondir son voisin à la tribune, Alain Cazorla. « Je ne peux pas vous laisser dire cela. La chute des taux de fret est constante depuis 20 ans. 5 000 € en 1992 pour un Anvers-Libreville, contre 1 500 € aujourd’hui. C’est la réalité des chiffres! » Si l’on veut s’attaquer à la vie chère, il ne faut pas regarder du côté des compagnies maritimes, confrontées notamment à la hausse du prix du fuel (700 $ la tonne aujourd’hui), mais s’attaquer au « problème endémique de la documentation », a plaidé Alain Cazorla. « Si la chute des taux de fret a été constante, les coûts logistiques ont été multipliés et le séjour des conteneurs a été multiplié par cinq.? »

Une chose est sûre, Damase Kakoudja est en phase avec Alain Cazorla sur une partie du diagnostic: le temps de transit de la marchandise est trop long: il peut s’étaler sur 7 à 10 jours. « Il devrait être ramené à 7 heures! », s’est exclamé Damase Kakoudja. Pour s’attaquer aux difficultés du transit-time, il faut un « meilleur partage de l’information. Il faut inciter les communautés portuaires africaines à créer des guichets uniques portuaires. Le système AP + de Soget contribue à réduire le temps de séjour de la marchandise car il fluidifie les échanges ».

« Fluidity for your business », le nouveau slogan de Soget

Pour un coup de pub, c’est un coup de pub! « Je me réjouis des recommandations du conseil des chargeurs africains et de la promotion du guichet unique », a déclaré Pascal Ollivier, le directeur du développement de Soget, qui équipe 20 places portuaires en France et dans le monde de « guichets uniques portuaires », à commencer par les terminaux de l’axe Seine. Martin Butruille, directeur des trafics d’Haropa, a souligné, pour sa part, le rôle fédérateur de Soget dans la réflexion « communautaire » sur l’axe Seine. « Nous n’aurions pas fait Haropa si nous n’avions pas eu Soget et le cargo community system AP+ sur les terminaux de l’axe Seine. »

Cette SA à directoire et Conseil de surveillance a pour actionnaires le Grand port maritime du Havre port et les syndicats professionnels de la place portuaire havraise. Le nouveau slogan de Soget, « fluidity for your business », vise ni plus ni moins qu’à fluidifier la chaîne logistique, a expliqué Pascal Ollivier, fin connaisseur de l’Afrique. Comment? En facilitant et en sécurisant le commerce dans un contexte de globalisation des échanges et de réglementations complexes à mettre en œuvre (directives, réglementations internationales en sécurité et sûreté).

Or, cette fluidité est d’autant plus vitale en Afrique qu’il faut « trois semaines en moyenne pour gérer la documentation », a précisé Pascal Ollivier. Ces plates-formes électroniques portuaires ont pour fonction de dématérialiser et d’accélérer les échanges documentaires au sein de communautés portuaires constituées de multiples intervenants: compagnies maritimes, services portuaires, douanes, opérateurs de terminaux, logisticiens. Ces intervenants se connectent sur un même logiciel qui permet la gestion partagée et instantanée des multiples opérations portuaires (dédouanement, confirmation d’arrivée de navire, listes de chargement, déclaration des marchandises dangereuses…) pour tous types de marchandises: conteneurs, vracs solides et liquides, véhicules. C’est cette « distribution » instantanée des informations dans la chaîne logistique qui crée la fluidité.

Le guichet unique portuaire de Cotonou repéré par le FMI

Naturellement, l’information est à la fois sécurisée et confidentielle, de sorte que chaque acteur de la chaîne n’a accès qu’aux informations qui le concernent directement. « C’est un tiers de confiance. Les gouvernements n’ont rien à faire dans les transactions du secteur privé », a expliqué Pascal Ollivier. Les gains de productivité engendrés par cette dématérialisation sont énormes. Au Havre, une marchandise internationale est dédouanée en 7 mn! Soget est en train de changer de braquet, car elle vient, avec Microsoft, de remporter un gros contrat avec les 151 ports d’Indonésie dont Jakarta, (5,3 MEVP) après avoir équipé Port-Louis à l’île Maurice (où elle a formé 5 000 personnes) et Cotonou au Bénin (où elle a formé 700 personnes). La PME havraise, qui est experte auprès du FMI et de l’organisation mondiale des douanes, a l’ambition de s’attaquer aux ports des pays émergents non encore équipés de plates-formes portuaires dématérialisées. L’Afrique est sur la liste. « Si je suis une entreprise de télécom et qu’il me faut 90 jours pour acheminer ma marchandise en RDC, dont la moitié en documentation, j’ai un problème! » a indiqué Pascal Ollivier.

Dans ce contexte, la mise en place d’une concession et d’un guichet unique portuaire à Cotonou (une première en Afrique) a retenu toute l’attention. Comme celle du FMI, d’ailleurs. « Le délai de déchargement/enlèvement d’un navire MSC est passé de 39 jours à 1 jour. C’est sans commentaire », a indiqué Pascal Ollivier, en rappelant les différentes étapes. « Nous avons gagné un appel d’offres international et signé fin 2010 une convention de concession avec le gouvernement du Bénin en partenariat avec Bureau Véritas. » L’objectif du ministre de l’Économie maritime était de sécuriser les recettes de l’État, avec un système de facturation unique pour les droits et taxes. Si les droits et taxes ne sont pas payés, les marchandises ne sont pas autorisées à sortir. « Le 12 octobre 2011, nous avons démarré l’import avec un système de facturation unique de l’ensemble des acteurs publics », a ajouté Pascal Ollivier. Sans oublier un détail qui a son importance. « À Cotonou, nous avions en face de nous un patron, le ministre de l’Économie maritime qui est devenu le Président! »

11 jours de formalités douanières au Cameroun

Le cas de Cotonou explique aussi en creux les échecs des tentatives des autorités portuaires africaines depuis 20 ans. À écouter Pascal Ollivier, ils sont dus à l’absence de soutien fort de la part des États (Bénin excepté), au manque de transparence et à la non-prise en compte de la communauté portuaire dans son ensemble. « Cela fait 20 ans que l’on essaie au Sénégal et 12 ans en Afrique du Sud. Le guichet mis en place depuis 10 ans au Cameroun est une plate-forme administrative, pas un environnement électronique », a lancé le responsable développement de Soget, en rappelant qu’il faut compter 11 jours de formalités douanières au Cameroun.

« On a pensé qu’un guichet unique portuaire était de l’informatique. En fait, c’était de la conduite du changement. Or, on ne savait pas conduire le changement avec les autorités portuaires qui avaient oublié ce qu’étaient une communauté portuaire et une communauté douanière. » On retrouve ici le leitmotiv de Soget, qui aime se présenter comme un « animateur » de communautés portuaires. « Chez Soget, nous sommes 50 % autorité portuaire, 50 % autorité douanière et … 50 % communauté portuaire! » Pour « servir la fluidité des opérations portuaires », ce modèle du partenariat public-privé et de la concession de service dans le domaine portuaire est la solution, a plaidé Pascal Ollivier. Ce dernier a précisé que Soget se rémunére sur dix ans dans le cadre de cette convention de concession. « Choisir une concession, c’est le seul moyen pour un pays et une autorité portuaire pour accélérer la modernisation. C’est le meilleur moyen de fluidifier la chaîne logistique au niveau d’un pays. » Puis s’adressant directement à la salle, le directeur du développement de Soget a invité la « place parisienne à proposer son expertise en matière de concession de services » et invité l’Union des ports de France à « aider les Africains à se structurer dans ce domaine ». Comme le shipping ne connaît pas de frontières, le « carrefour » a aussi été l’occasion d’échanger sur d’autres rivages. Il va falloir surveiller de près les stratégies liées à l’ouverture de l’extension du canal de Panama fin 2014. Ce projet va à l’évidence rebattre quelques cartes maritimes et portuaires et renforcer le rôle du hub de Kingston (Jamaïque).

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