JOURNAL DE LA MARINE MARCHANDE: Quel regard portez-vous sur le port de Dunkerque et quelle vision stratégique en tirez-vous?
JEAN-LUC VIALLA: Ce qui me frappe, ici à Dunkerque, c’est l’extraordinaire capacité de résistance du port. La crise de la sidérurgie et la fermeture des hauts-fourneaux lorrains, l’arrêt de la raffinerie Total qui prive le port de 20 % de son trafic (un trafic lucratif et simple à traiter!), la crise économique et ses répercussions sur les trafics conteneurisés… voilà autant d’événements qui auraient pu avoir des conséquences catastrophiques. Je ne minimise évidemment pas leurs effets. Mais nous sommes un port relativement équilibré avec une bonne structure financière. Les comptes ne sont pas très impactés par la crise. Par exemple, l’an dernier, nous avons fait une campagne céréalière exceptionnelle. Nous disposons aussi de trafics rouliers qui se portent bien. On ne parle jamais assez du transmanche… Ces aspects positifs apportent une compensation. Cela montre, en tout cas, qu’il ne faut surtout pas nous engager dans une spécialisation. Il serait absurde, par exemple, de vouloir faire dans le tout conteneurs.
JMM: Le plan stratégique est en cours de réactualisation. Qu’en est-il du projet Baltique-Pacifique? La crise risque-t-elle de le remettre à plus tard?
J.-L. V.: Absolument pas! C’est un énorme projet structurant pour les décennies à venir. Il faut se donner tous les atouts pour le réussir. À ce jour, il n’est pas suffisamment défini dans son contenu. Mais il faut bien comprendre que nous ne sommes pas dans une approche comptable. Nous sommes sur une logique de pari industriel. Il faut investir en capacité sur les vracs lourds et les conteneurs. Nous devons mettre tous les atouts dans notre jeu, terminer les études et mobiliser nos partenaires. Le projet Baltique-Pacifique porte sur un investissement de 650 M€. Nous allons donc évidemment procéder par phases. Il n’est de toute façon pas question de nous lancer précipitamment et d’aboutir à quelque chose de sous-équipé. Nous devons penser non seulement absorption financière mais aussi commerciale. Sinon, il y aura des répercussions sur les coûts portuaires et tous les opérateurs en seront victimes.
JMM: Dans le domaine des conteneurs, le port de Dunkerque part de loin. Quelles sont les perspectives de développement?
J.-L. V.: Nous sommes en retard, c’est évident. Développer le conteneur est une priorité. D’ailleurs, la CMA CGM a parfaitement joué le jeu. Grâce à nos équipements, à la productivité et au dynamisme commercial, le port est attractif. Mais ce sera long. On peut se fixer l’objectif d’un doublement du trafic à l’horizon de cinq ans. Compte tenu du marché, c’est très ambitieux. Cela dit, nous disposons d’atouts importants. Je pense par exemple à notre position de leader sur le marché de la banane, en provenance des Antilles, avec la filière froid.
CMA CGM vient de mettre en place une nouvelle ligne, Dunkrus Express, pour le transport de fruits et légumes entre le Maroc et la Russie via Dunkerque…
C’est sur des marchés comme celui-là que nous devons porter nos efforts. Grâce à une combinaison de services qui garantiront un transit time très compétitif, Dunkrus Express reliera Casablanca, Agadir, Dunkerque et Saint-Pétersbourg. Pour cette campagne 2012-2013, le transbordement des agrumes et des primeurs se fait à Dunkerque et le service Baltique de CMA CGM prend le relais jusqu’à Saint-Pétersbourg. Voilà le type de filière que nous voulons développer. Outre le Maroc, on peut d’ailleurs envisager d’autres provenances comme l’Amérique du Sud ou les Caraïbes.
JMM: Que faut-il faire pour gagner des points en termes de compétitivité?
J.-L. V.: Le port doit conserver une situation financière solide de manière à proposer une politique tarifaire commercialement intelligente. Nous commençons à être ambitieux, d’autant que la construction du terminal méthanier va permettre de renforcer notre activité industrielle. Nous devons par ailleurs améliorer notre desserte multimodale et notre chaîne logistique, et travailler étroitement avec les ports intérieurs et plates-formes de la région. Nous avons de bons rapports avec la plate-forme logistique de Dourges et nous réfléchissons à étendre notre hinterland jusque dans la région parisienne. Nous avons mis en place une liaison avec la plate-forme de Bonneuil, dans le sud de la région parisienne. Concernant l’extension de l’hinterland, nous n’oublions pas l’Est de la France et nous nous interrogeons sur l’Allemagne. Ces initiatives et ces recherches d’offres globalisées sont importantes quand on sait que la moitié des marchandises conteneurisées destinées à la France passent par des ports étrangers.
JMM: Quelle est la place du développement durable dans le schéma du GPMD?
J.-L. V.: Le degré d’engagement des acteurs locaux a été l’une de mes principales surprises lorsque je suis arrivé à Dunkerque, en janvier 2009. Dunkerque a été le port qui s’est le plus engagé dans la voie du développement durable. Il reste beaucoup d’espaces naturels sur le domaine public du port. Mais le dialogue avec les différents acteurs – je pense notamment aux associations – est possible. On l’a bien vu avec la construction du terminal méthanier et les mesures compensatoires. Il faut trouver un équilibre et nous le trouverons.