JOURNAL DE LA MARINE MARCHANDE: En 2011, Dunkerque-Port a vu ses trafics augmenter et cela malgré le choc provoqué par la fermeture de la raffinerie des Flandres et la crise économique mondiale. L’année 2012 est déjà bien entamée. Quelles sont les grandes tendances à la fin du mois d’août?
CHRISTINE CABAU-WOEHREL: Nous avons fini l’année 2011 avec un trafic de 47,5 Mt, en hausse. Nous nous relevons progressivement du traumatisme de la fermeture de la raffinerie des Flandres de 2008 et 2009. Le contexte économique morose nous avait conduits à envisager l’année 2012 en baisse de tonnage par rapport à 2011. Nous sommes heureux de constater à fin août que les chiffres ne sont pas si pessimistes. En fait, nous affichons une certaine stabilité de notre trafic puisque Dunkerque a réalisé 31,25 Mt, soit une baisse de 0,5 % en cumulé à fin août, mais le mois d’août est particulièrement bon avec une hausse de 9,4 %. La tendance est bonne et nous devrions finalement nous situer pour 2012 à des niveaux voisins de ceux de 2011.
JMM: Après l’émotion suscitée par la fermeture de la raffinerie des Flandres, vous êtes-vous engagés sur la voie de la diversification?
C. C.-W.: La raffinerie des Flandres participait aux trafics de vracs liquides. Lors de l’annonce de la fermeture, l’ensemble de la région a été profondément affecté. En quittant le paysage portuaire, cette raffinerie a obligé l’autorité à s’interroger sur la nécessaire diversification de ses trafics. Nous l’avons souhaitée et elle est maintenant en marche. Je cite pour exemple le doublement du Terminal Multivracs (TMV) et la participation de Dunkerque-Port à l’investissement privé pour la construction du terre-plein bord-à-quai du terminal Silonor SGD. Nous avons travaillé sur le maintien de l’activité des vracs secs et le développement des trafics de marchandises diverses comme le conteneur et le roulier.
Je souhaite néanmoins rappeler que nous conservons un trafic de vracs liquides, mais dont la part dans les trafics portuaires diminuent.
JMM: Quelle est la tendance pour les vracs secs?
C. C.-W.: La situation des vracs secs est plutôt bonne, mais là encore, il convient de différencier les produits. Globalement, nous conservons un volume avec une baisse relative de 1 % à 15,5 Mt. Les minerais se sont légèrement tassés en août mais demeurent en hausse de 2 % à 7,8 Mt sur le global de l’année. Le site ArcelorMittal de Dunkerque reste très moteur pour l’économie locale. Le charbon s’inscrit dans une bonne tendance avec une hausse de son tonnage de 16 % à 5,4 Mt. Pour ces deux catégories de vracs secs, la position géographique et nautique du port de Dunkerque en fait une place intéressante pour la desserte du Nord-Est européen. Toutefois, les céréales sont en baisse de 55 %, mais il faut dire qu’en 2011, Dunkerque a enregistré une campagne céréalière exceptionnelle (record historique). Nous avons réalisé à ce jour 604 000 t même si les expéditions de la récolte 2012 n’ont pas encore vraiment débuté. Enfin, les petits vracs solides sont en repli de 18 % à 1,7 Mt.
JMM: Vous nous avez confié que Dunkerque mène sa diversification sur les marchandises diverses. Comment se sont comportés ces courants sur les premiers mois de l’année?
C. C.-W.: Les flux de marchandises diverses ont globalement largement progressé. Sur les huit premiers mois de l’année, leur trafic augmente de 10 % à 11,1 Mt. Elles maintiennent la bonne orientation constatée depuis le début de l’année. Le roulier a réalisé de meilleures performances que le conteneur. Il augmente de 19 % à 9,9 Mt. Le trafic fret sur le transmanche a bien tenu avec 378 000 camions et remorques, soit une hausse de 21 %. Il est probable qu’une partie du trafic de Calais se soit reportée sur notre port lors des difficultés de SeaFrance au cours des premiers mois, sans que nous puissions véritablement la quantifier. Mais les flux restent solides. Quant aux conteneurs, ils sont en léger repli de 3 % à 177 500 EVP sur les huit premiers mois, mais compte tenu des reports de trafics enregistrés dans ce domaine en 2011, ce chiffre est plutôt encourageant pour 2012. Des marges de progression existent sur cette filière. Dunkerque dispose d’un large hinterland avec un potentiel à développer et d’une position stratégique. Nous pouvons accueillir des porte-conteneurs jusqu’à 16,5 m de tirant d’eau. Nous constatons une véritable volonté des industriels et des distributeurs de la région, mais ils attendent une offre maritime renforcée. Nous avons réussi à accueillir plusieurs nouvelles lignes depuis le début de l’année. En juin, le service Epic de CMA CGM a initié une escale régulière à Dunkerque, ce qui ouvre de nouvelles perspectives, non seulement sur le puissant marché Inde Pakistan, mais également sur le Moyen-Orient. Dès novembre, CMA CGM compte renforcer son offre depuis le Maroc et lancera une nouvelle desserte sur la Russie depuis Dunkerque, offrant ainsi une nouvelle combinaison pour la desserte des fruits et légumes sur le nord de l’Europe via Dunkerque.
JMM: Vous aviez déjà la ligne sur les Antilles et une ligne en provenance d’Agadir. Cette nouvelle desserte améliorée depuis le Maroc confirme votre position sur la filière des produits à température dirigée. Pensez-vous qu’il s’agisse d’une voie de développement pour Dunkerque?
C. C.-W.: L’arrivée de nouvelles lignes, qu’elles soient spécialisées ou non, permet de provoquer un effet boule de neige en termes de flux. En développant l’offre maritime, nous offrons des choix plus larges aux chargeurs. Plus notre offre de services sera diversifiée, plus les chargeurs trouveront le service qui leur convient et feront confiance à l’option Dunkerque. En réponse à votre question sur les conteneurs sous température dirigée, il est clair que Dunkerque dispose d’un véritable savoir-faire. Le terminal possède de nombreuses prises frigorifiques (700) et des logisticiens spécialisés de la filière avec des installations quasiment bord-à-quai. Vous l’avez mentionné, outre les lignes depuis les Antilles et le Maroc, nous recevons aussi les services de Delmas en provenance d’Afrique de l’Ouest et la ligne de Delta Shipping spécialiste de la Russie, toutes très orientées « reefers ». Tout cela démontre la reconnaissance de l’expertise et du savoir-faire de Dunkerque sur cette filière particulière. D’autres provenances sont très actives pour ce marché en plein sous le phénomène croissant de la conteneurisation de la filière froid. Dunkerque a une véritable image de spécialiste de cette filière, et nous comptons bien renforcer son développement.
JMM: Sur le roulier, vous nous avez confirmé la bonne tenue des trafics. Pensez-vous qu’avec la stabilisation de l’offre sur Calais et le retour de MyFerryLink, il est possible d’envisager un rapprochement entre Calais, Dunkerque et Boulogne sur ce trafic?
C. C.-W.: Nous venons de vivre une année de transition sur ce marché. Dunkerque a pu faire la preuve de la cohérence de son offre. La stabilisation des acteurs dans les ports du détroit du Pas-de-Calais appelle à des mois plus calmes et à la stabilisation de l’offre sur le secteur. Mon analyse de la situation est issue de l’observation des flux. Les trois ports ne doivent pas se positionner en concurrents mais renforcer une complémentarité qui fonctionne bien et que le marché a choisie. Je préfère voir les choses par l’œil du marché. Celui-ci a validé une offre à Calais et une à Dunkerque. Alors, de fait, nous coopérons, sans oublier que Dunkerque a les capacités de son développement et des opportunités.
JMM: Avant la crise économique de 2008, Dunkerque-Port s’est lancé dans de grands projets d’investissements avec, en premier lieu, le terminal méthanier du Clipon puis, plus récemment le projet de terminal Baltique Pacifique. Quel est le calendrier de ces deux projets?
C. C.-W.: Ces deux projets sont emblématiques mais nous avons d’autres investissements à l’étude, certes sur des échelles plus modestes.
Concernant le projet de creusement de nouveaux bassins, nous avons commandé des études sur le projet du terminal Baltique Pacifique. Elles seront remises avant la fin de l’année et donneront les axes de travail, notamment la façon dont nous devons les dimensionner. Sur ce dossier, nous travaillons sur une longue période. Nous ne devons pas nous arrêter à du court terme et hypothéquer l’avenir. Nous constatons déjà qu’il existe plusieurs alternatives ou paliers pour ce dossier. Il faut avoir une grande flexibilité pour s’adapter à la volatilité des trafics tout en étant prêt pour l’avenir.
Quant au terminal méthanier du Clipon, le chantier se déroule bien. Nous sommes en avance sur le calendrier prévu. La plupart des zones que nous devons livrer à EDF le seront avec de l’avance. La fin des travaux doit intervenir à fin 2015. Concernant ce chantier, de grands efforts ont été faits sur le volet social, le port ayant intégré dans le contrat une clause d’heures d’insertion pour lesquelles nous nous étions engagés à assurer au minimum 10 000 heures. À fin août, le chiffre effectif dépasse les 27 000 heures.
JMM: Vous parliez d’autres investissements?
C. C.-W.: Parmi eux, figure l’électrification de la ligne ferroviaire sur Calais. Le chantier a commencé et devrait s’étaler jusqu’au milieu de l’année 2014. Il est important pour le port puisqu’il permettra une amélioration de la desserte vers le Transmanche et complétera l’offre de transport pour relier plus efficacement le réseau du port vers le nord et l’est de l’Europe.
JMM: Et la logistique?
C. C.-W.: Le développement des zones logistiques portuaires et des dessertes multimodales fait partie de nos axes d’action et est essentiel pour tous les acteurs régionaux. Nous offrons une capacité logistique importante sur le port avec les entrepôts déjà installés. Le taux d’occupation de ces bâtiments est satisfaisant, mais nous souhaitons accueillir de nouvelles implantations. Dunkerque dispose d’une capacité foncière disponible et la filière doit en profiter. La proximité de plates-formes logistiques sophistiquées sur notre hinterland très proche – comme par exemple celle de Dourges – l’efficacité des zones bord-à-quai du port, le maillage des opérateurs maritimes et terrestres… tout cela contribue à la complémentarité qui fait l’offre logistique globale de la région. Le port doit activement participer à leur renforcement et leur compétitivité pour enrichir l’offre proposée aux clients.
JMM: La réforme portuaire de 2008 s’est déroulée calmement à Dunkerque. Comment envisagez-vous les relations avec, d’une part, les différents organes de gouvernance du port et, d’autre part, les partenaires sociaux?
C. C.-W.: Nous sortons tout juste de la réforme. La complémentarité des organes de gouvernance mis en place par la réforme (conseil de surveillance, conseil de développement, directoire) est efficace et proactive. Elle fonctionne bien. Par exemple, s’agissant du conseil de développement, nous partageons avec ces membres issus de divers collèges une vision à plusieurs niveaux (industriel, environnemental, organisation du territoire) et les personnes qui y siègent sont des représentants et acteurs de la place portuaire qui nous permettent d’élargir le débat.
Nous devrons maintenant procéder à la révision et à l’ajustement de notre plan stratégique dans les prochains mois. Nous réfléchissons déjà tous ensemble aux options pour le futur du port ou le port du futur. L’axe principal de réflexion de redimensionnement de nos capacités de trafics devra nous projeter dans la diversification des trafics du port et l’élargissement de notre hinterland.
Quant aux relations avec les partenaires sociaux à Dunkerque, elles se déroulent depuis longtemps sur un terrain constructif. Nous sommes d’accord sur la nécessité de développer Dunkerque. Nous avons ce paramètre en commun. Le port a toujours été en avance socialement et il est important de conserver cette force. Nous devons renforcer nos messages et notre image à l’international, notamment auprès des opérateurs asiatiques qui nous connaissent mal.
JMM: Nous avons parlé du port, du ferroviaire mais assez peu du fluvial. Pensez-vous que ce mode de transport ait un rôle à jouer à Dunkerque, même si Seine-Nord ne se réalise pas?
C. C.-W.: Le fluvial a un rôle très important à jouer dans les pré et post-acheminement du port. Ce mode de transport a un potentiel sur la région Nord-Pas-de-Calais, mais cela ne pourra se faire qu’avec une croissance des trafics. La région dispose d’un réseau de canaux à grand gabarit et d’autres à gabarit plus restreint. Il faut déjà réfléchir à la façon d’augmenter la part du fluvial avec les voies existantes. C’est un des objectifs pour 2013. Compte tenu de notre position nous souhaitons bien sûr voir le canal Seine-Nord à grand gabarit se réaliser, mais l’action sur le développement du fluvial doit être lancée dès maintenant sur les axes existants et nous allons nous y employer avec les acteurs concernés.
JMM: Votre arrivée à la présidence du directoire de Dunkerque-Port a surpris. Votre parcours professionnel détonne par rapport aux choix opérés auparavant pour ce poste. Qu’est-ce qui vous a motivée à accepter ce poste?
C. C.-W.: J’ai travaillé pendant plusieurs années dans une compagnie maritime en observant l’évolution des ports et les flux de trafics. J’étais de l’autre côté de la barrière et il est maintenant très important pour moi de travailler en gardant la compréhension des opérateurs et des utilisateurs de services portuaires.
Je suis persuadée depuis longtemps que les ports français ont un fort potentiel de développement et peuvent se positionner clairement en points d’entrée européens privilégiés, en élargissant l’hinterland au-delà du marché traditionnel immédiat.
Dans la chaîne logistique globale maritime, le port est le mieux placé pour jouer un rôle de fédérateur, d’architecte et de coordonnateur de tous les acteurs de cette chaîne. Nous devons accentuer la promotion commerciale de la place portuaire, mettre en place des solutions logistiques intégrées et replacer le client au cœur de notre stratégie de développement.