La région Nord-Pas de Calais a approuvé, le 15 octobre, la déclaration de projet portant sur l’intérêt général du développement et de l’extension du port de Calais. « C’est une étape importante » pour la réalisation de Calais Port 2015, estime le Calaisien Yann Capet, président de la commission Mer au conseil régional. Après l’avis favorable du commissaire enquêteur, cette procédure annonce en effet la fin des étapes administratives d’un projet de développement conçu il y a plus de cinq ans par la chambre de commerce et d’industrie de Calais avant que la Région devienne propriétaire des ports de Calais et Boulogne-sur-Mer en 2007.
Les modifications prévues dans la déclaration de projet sont essentiellement d’ordre environnemental et n’altèrent pas l’ambition du projet. Son coût a néanmoins été réévalué à 600 M€ (contre 400 M€ lors du débat public en 2009). Calais port 2015 prévoit notamment la construction d’une digue géante de 2 500 m qui abritera un plan d’eau de 110 hectares, la construction de 90 hectares de nouveaux terre-pleins gagnés sur la mer, un terminal ferroviaire en bord à quai, un terminal croisière et jusqu’à sept postes rouliers en configuration maximale.
« Les équipements actuels sont à la limite »
Ces nouveaux équipements doivent permettre au premier port français de voyageurs de maintenir son rang. Après une série de dysfonctionnements sur des passerelles ferries qui avaient perturbé le trafic transmanche, la CCI Côte d’Opale – issue de la fusion entre la CCI de Calais et la CCI de Boulogne – a déjà aménagé deux postes qui peuvent accueillir les deux sister ships de P&O Spirit of France et Spirirt of Britain (213 m), les deux plus grands ferries de la ligne Calais-Douvres. « Pour ces navires, les équipements actuels sont déjà à la limite », note Yann Capet. Impossible en l’état d’accueillir la future génération de ferries de 240 m de longueur (voir encadré). Or, indique la Région, « sans dégradation du niveau de service, la capacité des installations actuelles est limitée à 12 millions de passagers et leurs voitures (contre 10 millions actuellement) et à 2 millions de poids lourds ». Au vu des études de trafic (Catram, 2011), la saturation serait atteinte en 2020. Selon le projet, deux ou trois postes seraient accessibles aux ro-pax de 240 m. Objectif: maintenir le temps de chargement-déchargement de trente minutes. Alors que des aménagements ont déjà été engagés côté anglais, à Douvres, les acteurs économiques et politiques du Calaisis sont unanimes pour la concrétisation du projet 2015. D’autant qu’il porte la perspective de trafics et d’activités nouvelles, tant en voyageurs que dans le fret (38 Mt annuelles).
Comme à Boulogne-sur-Mer, la Région espère améliorer l’accueil des touristes piétons et cyclistes. À l’occasion des Jeux olympiques de Londres, les collectivités du Nord-Pas de Calais avaient mené une importante campagne de promotion auprès des Britanniques. Elles développent actuellement un réseau de routes cyclables sur le littoral et plusieurs circuits liés au tourisme de mémoire autour des champs de bataille du nord de la France et de Belgique, deux axes qui intéressent les touristes anglais.
Tourisme, automobile, chimie, trafics de niches
« C’est une activité de niche, admet Wulfran Despicht, vice-président du conseil régional. Mais chaque niche ajoutée à une autre, ça améliore l’activité du port. Et aujourd’hui, il n’y a pas de capacité d’accueil convenable ni de service dédié pour les piétons, qui sont plus considérés comme des “sans voiture”plutôt que comme des voyageurs à part entière », un commentaire qui porte à la fois sur l’accueil à terre et à bord. Pour le port de commerce, le projet 2015 (extension du parc roulier, nouveaux postes réservés au ro-ro) est envisagé pour le développement des trafics liés à l’industrie chimique (dont l’activité a été réduite sur le Calaisis) et le transport d’automobiles vers la Grande-Bretagne. Bien qu’une partie du trafic ait été reportée sur Zeebrugge, Gefco (PSA) maintient à Calais un trafic régulier. Le projet prévoit de nouveaux postes d’embarquement pour les véhicules neufs et les remorques: de deux, plus un de secours aujourd’hui, Calais disposerait à horizon 2020 de quatre à six postes pour ces trafics, couplés à de nouveaux équipements de stockage et de manutention, ainsi qu’une véritable desserte ferroviaire pour répondre aux prévisions de développement de pré et post-acheminement. Qu’il s’agisse de la restructuration de la voie-mère existante (en provenance du centre de Calais) ou de la construction d’une voie nouvelle, « l’échéance d’une telle opération sera déterminée par l’évolution réelle des trafics et ne devrait pas intervenir avant vingt ans », indique cependant un rapport du Conseil régional annexé à la déclaration de projet.
Autre ambition, similaire aux projets dunkerquois: le développement du cabotage (remorques non accompagnées, conteneurs) vers les côtes Est et Ouest de l’Angleterre, ce que l’état actuel de ses équipements ne permet pas, la quasi-totalité des passerelles étant affectée au trafic transmanche vers Douvres.
Eurotunnel et la CCI en course
Ambitieux, ce projet ne verra pas le jour en une seule fois, mais sur une dizaine d’années au moins. Première étape: l’aménagement de trois ou quatre postes ferries et un poste pour navires ro-ro. À long terme, l’aménagement du port, conçu de manière évolutive, tiendra aussi compte du développement de chaque activité. Porté par la Région, propriétaire du port, le projet devrait être financé par cette dernière, avec l’appui de l’État et de l’Europe. Côté privé, le futur délégataire – qui exploitera le port pendant quarante à cinquante ans – devra aussi mettre la main à la poche. Reste à en déterminer le montant et le calendrier. Eurotunnel, qui étend ses activités sur le littoral nordiste (Calais, Dunkerque), en Grande-Bretagne et ailleurs en France (Bordeaux, Saint-Nazaire, Strasbourg…), a fait une offre, tout comme la CCI CO, actuelle concessionnaire. Actuellement, la Région échange avec l’un et l’autre pour affiner son choix et rédiger un cahier des charges plus précis avant la phase de « dialogue compétitif », en début d’année 2013.
Ni le propriétaire ni les opérateurs n’ont intérêt à faire traîner les choses. La commission nationale de débat public le résumait déjà dans son compte rendu début 2010: « La construction en cours de navires de grande taille (240 m et plus), les capacités d’accueil réduites du port de Calais, l’insuffisance de ses terre-pleins posent aujourd’hui la question cruciale de son adaptation. Ou bien celle-ci se réalise assez vite, ou bien l’accroissement du trafic voyageurs et fret avec l’Angleterre bénéficiera à d’autres sites portuaires capables d’une adaptation plus rapide ».
Calais 2015: des centaines de nouveaux emplois
C’est l’un des arguments qui favorisent le consensus. Alors que le Calaisis pinte parmi les lanternes rouges de l’emploi en France, environ 8 000 emplois directs et indirects dépendent de l’activité portuaire. Les estimations de la Chambre de commerce et d’industrie Côte d’Opale (CCI CO), concessionnaire, et du Conseil régional Nord-Pas de Calais, propriétaire, évaluent les emplois créés en phase de chantier à une moyenne d’environ 200 par an pendant six ans, « avec des variations selon les périodes ». Les grands travaux d’infrastructures (digue, etc.) ainsi que certains travaux de superstructures pourraient mobiliser 400 emplois au plus fort des chantiers (les deux années les plus actives) et une centaine par an pour les 4 autres années.
Quant aux emplois pérennes, les effectifs des compagnies devraient se stabiliser en raison de la concurrence entre compagnies et de la mise en service de navires plus grands. Même chose dans les activités de contrôle et de sûreté, très demandeuses de personnel aujourd’hui, où l’automatisation devrait être étendue. À calais, on attend des « centaines d’emplois » dans les nouvelles activités de manutention et de logistique portuaire.
MH
La concurrence est rude dans le détroit du Pas-de-Calais, l’un des plus fréquentés au monde: sur Calais-Douvres, outre P&O, MyFerryLink prend la suite de SeaFrance et LD Lines, qui avait abandonné la ligne Boulogne-Douvres après neuf mois d’exploitation, a récemment investi la ligne Calais-Douvres. Autres concurrents: DFDS, qui a repris l’activité Dunkerque-Douvres au Danois AP Moller-Maersk, et bien sûr, le tunnel sous la Manche.