Dans les locaux bruxellois des European Community Shipowners’ Associations (Ecsa), le président Juan Riva (par ailleurs p.-d.g. de Suardiaz Shipping Group) a rappelé le contexte économique dans lequel se débattent la majorité des compagnies maritimes. D’une part, une surcapacité générale de l’offre mondiale de transport, variable selon les segments. Ainsi, les car carriers sont moins exposés que les porte-conteneurs. D’autre part, la chute des demandes de transport qui entraîne une baisse des taux de fret qui alimente une réduction de la valeur des navires. Les prévisions relatives à l’évolution des demandes sont peu encourageantes. Pour parfaire le tableau, Juan Riva souligne qu’il est devenu très difficile de financer mêmes les bons projets de navires. Pour faire face à l’adversité, les compagnies européennes n’ont donc d’autre solution que de réduire les coûts. À destination de la Commission européenne, le président a rappelé que ses adhérents contrôlent plus 40 % de la flotte de commerce mondiale exprimée en jauge brute. Pour arriver à ce résultat, les Ecsa additionnent la flotte sous registre communautaire contrôlée par des armateurs non communautaires (39,15 Mtjb), la flotte communautaire contrôlée par des communautaires (184,83 Mtjb) et la flotte sous registre non-communautaire mais contrôlée par des compagnies de l’Union européenne (241,2 Mtjb). Soit 465,22 Mtjb sur un total mondial de 1 060 Mtjb. Il serait de bon ton que la Commission n’oublie pas les difficultés de ses compagnies maritimes, continue le président.
Environnement au niveau OMI
La directive soufre a été le premier sujet abordé lors de la présentation. Les armateurs euro- péens ont été soulagés par l’obtention, le 15 mai, du compromis entre le Parlement européen et la Commission, a expliqué Alfons Guinier, secrétaire général des Ecsa. Ce compromis est largement conforme à l’annexe VI de Marpol. Il exige cependant que les compagnies brûlent du fuel à 0,5 % de soufre à partir de 2020 sans tenir compte de la disponibilité réelle de ce combustible. Il prévoit des exemptions mais elles n’ont pas été précisées, souligne Alfons Guinier, qui note que les États-Unis ont déjà notifié à l’OMI les exemptions qu’ils prenaient en compte dans leur zone Seca.
Les systèmes de désulfurisation des fumées ne fonctionnent toujours pas de façon satisfaisante. Ils produisent du CO2 et des déchets dont on ne sait que faire. Alfons Guinier a confirmé que la délégation française à l’OMI est très active sur le sujet. C’est dans le nord de l’Europe que le risque de voir les marchandises quitter le maritime pour aller sur les routes est le plus important si les coûts d’exploitation des navires venaient à « exploser ».
La priorité des armateurs européens en matière de réduction des émissions de CO2 passe par la baisse de la consommation et non pas des mesures basées sur le marché. Le suivi des émissions doit être mondial et non pas régional. Le discours est constant: tout doit se discuter à l’OMI et non pas à l’échelon européen. Or à l’OMI, les prises de décision peuvent être très longues.
Piraterie: laissez-nous payer
La piraterie occupe toujours les esprits et notamment celle qui sévit en Afrique de l’Ouest, qui est beaucoup plus agressive que la Somalienne et en augmentation.
Si la solution à la disparition de la piraterie somalienne est à terre, rappelle Alfons Guinier, le recours aux gardes armés à bord ne doit pas devenir la norme. Les armateurs européens demandent que le versement de rançon ne leur soit pas interdit. C’est le dernier moyen disponible pour obtenir la libération des équipages. L’élément humain pour les armateurs européens signifie la formation des navigants et leurs déplacements dans le monde lorsqu’ils rejoignent leur navire.
À la suite de plusieurs visites en 2006 et 2010 dans les écoles philippines formant des navigants, l’Agence européenne de sécurité maritime a signalé plusieurs manquements graves. Le rapport des Ecsa évoque le manque de suivi des écoles par les autorités nationales et le faible niveau de formation. La Commission européenne a donc donné aux autorités philippines jusqu’au 31 août 2011 pour redresser la situation. Beaucoup de choses ont été faites, reconnaissent les armateurs européens, notamment des fermetures pures et simples de centres de formation. Mais il reste encore beaucoup à faire. Les armateurs sont très attentifs aux efforts que le gouvernement philippin doit poursuivre et prient la Commission de bien vouloir maintenir la pression. En effet, si les Philippines venaient à perdre leur agrément STCW, cela aurait des répercussions graves sur le réservoir de main-d’œuvre. Les Ecsa se félicitent de l’annonce faite par le gouvernement philippin selon laquelle, à partir du 1er juin 2012, sera opérationnelle une administration centrale maritime.
Les armateurs européens sont agacés par les tracasseries administratives générées par les différentes interprétations qui sont de mises dans les États membres de l’UE au sujet des visa Schengen nécessaires aux navigants non-communautaires. Avant, ce visa s’obtenait sans problème majeur à l’aéroport d’arrivée. Aujourd’hui, il faut le demander dans le pays d’origine du navigant avec un préavis d’au moins six semaines afin d’obtenir un rendez-vous à l’ambassade du pays d’arrivée en Europe. Comme souvent, les États membres interprètent de façon divergente la même directive. Ce problème est exacerbé pour le personnel hôtelier des paquebots construits en France, a rappelé MSC à l’occasion de la livraison du MSC-Divina (voir JMM du 25/5/2012). D’ici à la fin de l’année, une solution communautaire devrait être optée, espèrent les armateurs européens, à partir de scénarios types pour lesquels tous les États membres auraient les mêmes exigences.
Le pilotage n’est pas un service d’intérêt général
Les armateurs européens se réjouissent de la volonté de la Commission européenne de faire ressusciter une politique portuaire européenne. En septembre 2011, Siim Kallas, vice-président de la Commission européenne chargé des transports, a annoncé la présentation d’un nouveau paquet de mesures pour les ports en 2013. Concernant les services portuaires, « il est crucial, par exemple, de veiller à ce qu’il y ait un environnement concurrentiel et ouvert pour les prestations de services portuaires afin que les ports maritimes puissent s’adapter aux nouvelles exigences économiques, industrielles et sociales », estimait le vice-président.
« Le pilote agissant comme un conseiller du capitaine du navire, ni plus ni moins, ne peut pas être considéré comme faisant partie d’un service d’intérêt général », a souligné Alfons Guinier. Le secrétaire général des Ecsa souhaite la mise en œuvre d’un réel contrôle des connaissances des pilotes exerçant en Europe car « nous avons besoin de bons pilotes qui intègrent dans leur pratique quotidienne les apports des nouvelles technologies ».
Concernant les travailleurs portuaires, le secrétaire général rappelle l’existence du principe de liberté du traité de Rome: « Nous cherchons des solutions, non pas les conflits. »
Cela n’empêche pas de craindre que 2013 soit contrastée dans les ports européens, d’autant que le plus récent discours de Siim Kallas, prononcé le 25 septembre est assez vigoureux.
Les armateurs européens se réjouissent que la Commission européenne ait refermé le dossier du groupe international des P&I sans suite. Les inspections surprise des bureaux des transporteurs de voitures en Europe, en Amérique du Nord et au Japon ont créé une incertitude juridique, a prudemment répondu le président Juan Riva, et presque « figé » les directions générales.
Les Ecsa espèrent que la Commission européenne et le Parlement attendront que l’enquête sur les circonstances de l’échouement du Costa-Concordia soit terminée avant de durcir la réglementation. Compte tenu de l’organisation italienne où le judiciaire l’emporte sur l’enquête technique, cela risque de prendre un certain temps. Et si la justice italienne est aussi performante que son homologue française en matière d’événement maritime majeur, les opérations de croisières ont une dizaine d’années pour se préparer.
581 navires français et 16 000 marins
Le rapport annuel des ECSA réserve une bonne surprise, au moins pour un lecteur français: on y apprend qu’au 1er janvier 2012, la flotte sous pavillon français compte 581 navires représentant presque 8,3 Mtpl. Les armateurs français employent alors environ 16 000 navigants et 6 000 sédentaires, sans autre précision sur leur nationalité et lieux de travail. Six mois plus tard, elle compte 559 navires de plus de 100 tjb pour un port en lourd de 8,76 Mt. Les données sont plus flatteuses que celles de l’administration françaises.