Les premiers pas d’une amélioration des corridors en Afrique de l’Ouest

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Après l’édition 2007 organisée par le Conseil burkinabé des chargeurs (CBC) en partenariat avec le Port autonome de Rouen, puis celle de 2010 avec les mêmes partenaires, l’édition 2012 de Translog Africa s’est déroulée sous le partenariat du Conseil burkinabé des chargeurs et de Haropa. Cette année, Translog Africa 2012 a choisi pour thème « la promotion de la chaîne logistique dans le contexte économique, financier et technologique actuel ». La crise économique mondiale qui sévit dans le monde depuis 2008 touche l’Afrique subsaharienne. La baisse de la demande en matières premières des pays industrialisés s’est répercutée sur les pays émergents. La crise de 2008 s’est légèrement tassée en 2009 mais, depuis 2010, elle se manifeste encore plus gravement. Dans l’UEMOA (Union économique et monétaire ouest-africaine), « les chiffres à fin juin 2012 semblent confirmer la reprise. Les économies régionales bénéficient de la normalisation de la situation politique en Côte d’Ivoire », a expliqué Jules D. Pooda, économiste. La croissance en 2012 des pays de l’UEMOA atteindrait 5,3 % du PIB en 2012 contre une baisse de 0,3 % pour la zone euro. Dans ce contexte économique, il devient urgent pour les gouvernements des pays de l’Union d’améliorer les chaînes logistiques des corridors intérieurs. « Au travers de ce colloque, nous souhaitons que les travaux nous permettent de trouver des débouchés à moindres coûts pour acheminer nos marchandises vers l’Europe et le reste du continent africain et pour nos importations », nous a confié le ministre burkinabé des Transports, des Postes et de l’Économie numérique, Gilbert Noël Ouédraogo. Trouver des solutions n’est pas chose aisée. Pour Yan Alix, délégué général de la Fondation Sefacil, il faut partir de la réalité du marché. Les volumes annuels manutentionnés par les ports du range Douala-Dakar équivalent à ceux traités par le port de Shanghaï en 27 jours ou par le port de Rotterdam en un trimestre. Les volumes traités dans la région sont faibles, tant au niveau des ports que des pré et post-acheminements vers les marchés intérieurs. Le concept de logistique portuaire, à savoir « l’ensemble des moyens stratégiques et opérationnels, permettant de rendre plus rapide et plus efficiente les opérations d’un port », a été rappelé par Sérigne Thiam Diop, secrétaire général de l’Union des conseils des chargeurs africains. Et il rappelle qu’un corridor s’entend depuis le transport maritime jusqu’à la livraison. « Le transport maritime est évalué entre 39 % et 42 % du coût global du produit en Afrique. Le reste de ce coût est attribué au transport terrestre. Cette part du transport maritime passe à 57 % en Indonésie », continue le secrétaire général de l’UCCA. Le coût du maritime a atteint aujourd’hui des niveaux très bas. Alain Cazorla, directeur des lignes Afrique de MSC, estime que les taux de fret ont été divisés par 2,5 en l’espace de quelques années. « Nous avons tous constaté des changements importants depuis la fin des conférences. Des armateurs ont disparu en Afrique. D’autres ont fusionné dans le monde. Nous devons continuellement nous adapter. » Alors, quand les financiers suivent le CAC 40 de la Bourse à Paris, Alain Cazorla a mis en place son propre CAC qu’il définit comme « constat, adaptation et changement ».

Le port joue un rôle essentiel

Dans cette chaîne logistique et ces corridors de transport, le port joue un rôle essentiel. « Il est devenu impératif de développer nos capacités pour répondre à la demande », a souligné Hien Sié, directeur général du Port autonome d’Abidjan. Pour se faire, le port ivoirien a lancé un appel d’offres dans un second terminal à conteneurs. « Nous devons nous hisser à la hauteur du défi logistique à relever », a continué le directeur général du PAA. Ce nouvel outil, dont l’adjudicataire doit être connu dans les prochains mois, disposera de trois postes à quai avec un tirant d’eau de 16 m pour y recevoir les navires de dernière génération. Avec ce nouveau terminal, le port estime pouvoir atteindre un trafic de 2,5 MEVP en 2020 pour un trafic global de 25 Mt dès 2015. Pour cela, Hien Sié pose des conditions. Au-delà du développement de l’infrastructure portuaire, il est nécessaire de professionnaliser les acteurs du secteur des transports routiers, de renouveler le parc des camions et de réduire les pratiques anormales.

L’efficacité des corridors de transport passe par ces différents points mais doit aussi intégrer les frais de manutention portuaire et l’infrastructure informatique. « Les coûts et délais de transport sont hors de toute proportion par rapport à ce que les importateurs, les exportateurs et les consommateurs burkinabés reçoivent comme services, a souligné Yan Alix. Les corridors souffrent d’une corruption endémique, de la cartellisation du secteur des transports routiers, des lourdeurs administratives régulières et d’aucune intégration réelle des services inter-frontières dans la Cedeao et des mentalités très “conservatrices” dans quasiment tous les corps de métiers de la chaîne de transport », a continué le délégué général de la Fondation Sefacil. Un constat que le directeur général du Conseil burkinabé des chargeurs a nuancé. « Les comportements commencent à changer. » Si des efforts émergent, dans les ports maritimes, la situation du coût du passage reste élevé. Outre les frais de manutention, ceux du groupage et dégroupage sont aussi élevés, sans parler des nombreuses facturations pour des prestations identiques de la douane lors d’opérations de dégroupage, a noté dans sa liste sur les entraves au commerce de Sérigne Thiam Diop, secrétaire général de l’UCCA.

Les guichets uniques portuaires

Pour lutter contre ces goulets d’étranglement du commerce et diminuer les coûts de transport, des évolutions se font jour sur le continent. Ainsi, dans certains ports et sur certains corridors apparaissent des guichets uniques. Marcel Alapini, représentant la Segub (société d’exploitation du guichet unique Bénin), est venu exposer la mise en place de ce système initié avec Soget. « L’objectif de ce guichet unique est d’améliorer la performance du corridor vers l’intérieur », a commencé Marcel Alapini. L’histoire de ce guichet a démarré en 1992 avec des tentatives infructueuses de mise en place de systèmes informatiques. « Tout a basculé en 2010 quand la présidence de la république a décidé de passer au mode concessif », explique Marcel Alapini. L’appel d’offres a été remporté par Soget et Bureau Veritas qui ont mis en place les outils nécessaires. « Au Bénin nous avons réussi la mise en place opérationnelle de ce guichet unique grâce à l’appui du politique. Le président n’a accepté d’inaugurer ce guichet qu’à la condition qu’il soit opérationnel et efficace. » Aujourd’hui, la Segub fonctionne. Une performance qui tient sur trois piliers: le concessionnaire doit avoir les droits exclusifs, le concédant doit être sûr de son choix et le bénéfice doit être immédiatement mesurable pour toutes les parties. Et pour prouver la réussite de ce projet, Marcel Alapini cite l’exemple d’un conteneur. Il lui faut quatre heures pour sortir du terminal avec les formalités douanières contre plusieurs jours auparavant.

Un système un peu équivalent a été déployé dans le port sénégalais de Dakar. Depuis 2004, le système informatique Gaindé 2000 est devenu opérationnel sur le port. Il permet une simplification, une harmonisation et une automatisation des opérations avec une signature électronique des différents intervenants. En 2011, Gaindé s’est internationalisé et s’est adapté aux standards et aux technologies des prestataires.

Un observatoire des « pratiques anormales »

Un autre point pour lequel souffrent les corridors de transports sont les « pratiques anormales ». Un concept qui regroupe les contrôles faits lors des transports terrestres. À chaque contrôle, le transporteur doit verser une « obole » aux contrôleurs. Pour éviter la prolifération de ces contrôles, l’UEMOA a demandé la création d’un observatoire des pratiques anormales, OPA. « L’objectif de la première étude réalisée dans le cadre de cet observatoire a été d’identifier le nombre de camions qui possèdent tous les documents légaux et qui sont arrêtés pendant leur voyage. Au final, nous constatons que ces camions sont plus souvent harcelés que les autres », a expliqué Niels Rasmussen, directeur des transports du West Africa Trade Hub de l’USAID. En 2012, l’OPA a examiné les pratiques anormales sur sept corridors dans huit pays. Il ressort de cette étude que sur 100 km effectués, les camions subissent en moyenne 1,9 contrôle qui dure en moyenne chacun 16 minutes et qui nécessite le paiement de (3,45 €) pour s’en défaire. Pour entrer plus dans le détail, Niels Rasmussen a rappelé que le Togo a décidé d’éliminer tous les contrôles fixes. Au Sénégal, la moyenne pour 100 km s’élève aux environs de 20 000 FCFA (30,7 €) alors que pendant la crise ivoirienne, le montant des dédommagements demandés sur 100 km a atteint jusqu’à 73 115 FCFA (112,5 €). Des frais qui ne sont pas toujours du « racket ». « Le racket sur les routes ne représente que 10 % des paiements illicites sur le corridor Téma Ouagadougou, incluant le port de Téma et celui de Ouagarinter. La plupart des barrières au commerce international et régional sont parfaitement légales », a continué le directeur des transports de West Africa Trade Hub. Pour tenter d’apporter une solution, les États régionaux ont créé une structure appelée Borderless. Créée en 2011, l’Alliance Borderless est une association d’entreprises et de partenaires (publics, bilatéraux et multilatéraux) mus par le désir commun de promouvoir et faciliter le commerce et le transport en Afrique de l’Ouest. Son rôle est avant tout de contribuer à la facilitation du commerce international. « Cela peut profiter à l’ensemble de la chaîne logistique: les opérateurs économiques qui voient les coûts logistiques s’amoindrir, les gouvernements qui perçoivent toutes les taxes et les consommateurs dont les produits et les services sont meilleurs », a déclaré Justin Bayili, directeur général de Borderless. Au travers de leur « plaidoyer », les responsables de l’Alliance Borderless veulent promouvoir un commerce libre. Déjà, les premières applications concrètes ont permis des avancées sur ce front. Ainsi, à titre d’exemple, Justin Bayili cite l’élimination des « Go-Ro Boys », personnes qui perçoivent illégalement des sommes contre des licences de transport, à la frontière entre le Ghana et le Burkina Faso, la réduction des postes de contrôle sur certains corridors, la réduction des rackets sur les routes de la Côte d’Ivoire et l’installation des centres d’information frontaliers.

Un réseau feroviaire à améliorer

Parmi les sujets qui doivent encore être améliorés apparaît le réseau ferroviaire en Afrique de l’Ouest. Le manque de connectivité et leur mauvais état sont un handicap pour les transports vers l’intérieur. Le représentant de Sitarail, société de chemin de fer de la Côte d’Ivoire, détenu par le groupe Bolloré, a exposé le constat de ce réseau. « Les réseaux ferroviaires africains ont été construits pour la majorité à l’époque coloniale, dans une structure verticale, de l’hinterland vers les côtes, en vue de l’exploitation des matières premières. L’interconnexion privilégie la structure horizontale. Aujourd’hui, la croissance du continent africain nécessite la construction de lignes nouvelles pour connecter les réseaux existants et permettre une meilleure intégration régionale. Un projet de ce type est en cours pour relier le Bénin, le Niger, le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire. » Facteur de désenclavement des pays intérieurs, le ferroviaire représente aussi un capital pour le développement des transports. « Encore faut-il avoir suffisamment de wagons pour pouvoir charger », nous a confié le responsable d’un armement.

À l’issue du symposium, les différentes représentations des pays concernés sont venues présenter trois recommandations au ministre en charge des Transports, des Postes et de l’Économie numérique du Burkina Faso. La première recommande aux différentes organisations à l’image de l’UEMOA, l’UCCA et l’AOC d’appliquer chacune en ce qui les concerne les recommandations. La seconde concerne les taxes et surcharges appliquées notamment par les compagnies maritimes. Il est demandé que les organisations internationales entrent dans les discussions pour négocier ces surcharges afin d’éviter qu’elles augmentent inconsidérablement. Enfin, les représentants demandent que la pratique de taxes indues appliquées dans certains pays soit définitivement abandonnée.

La prochaine édition de Translog Africa se déroulera en octobre 2014. Elle sera l’occasion de constater les nouveaux progrès effectués dans la région.

Les effets de la surcharge des camions

Les surcharges en Afrique de l’Ouest sont un pléonasme. La réglementation de l’UEMOA (Union économique et monétaire de l’Ouest africain) autorise un camion à rouler avec 11,5 t de marchandises. Amakoé P. Adoléhoume, délégué général du Sitrass (Solidarité internationale sur les transports et la recherche en Afrique subsaharienne), est venu présenter les derniers constats en matière de surcharge. Les constats établis sur les routes ouest africaines montrent que les camions roulent avec des chargements de 36 t à 37 t, soit trois fois le poids maximum autorisé. Pour un camion dont le PTRA (poids total roulant autorisé) est de 51 t dans l’UEMOA, dans les faits, les camions qui roulent pèsent jusqu’à 133 t. « La durée de vie des infrastructures s’en trouve largement diminuée », explique le délégué général de la Sitrass. Ainsi, pour une portion de route dont la durée de vie est estimée à 15 ans, elle tombe entre quatre ans et six ans avec des camions surchargés. « En retirant 10 % des camions les plus chargés, la durée de vie passe de 7 ans à 12 ans selon les endroits », note Amakoé P. Adoléhoume. Et les conséquences sont d’abord financières. Ainsi, pour le seul Mali, la réfection des routes est estimée aux alentours de 37 MdFCFA (56,9 M€) pour les 2 000 km de routes bitumées. En matière de sécurité routière, le coût de cette surcharge, qui implique nombre d’accidents, s’élèverait à 2,35 MdFCFA (36,1 M€).

Si l’ensemble des professionnels du transport reconnaissent l’utilité de lutter contre cette surcharge, l’étude menée par le Sitrass démontre aussi qu’un camion chargé à 35 t, soit à la limite supérieure des normes de l’UEMOA, perd 34 FCFA (0,05 €) par tonne/km. Pour permettre aux transporteurs routiers d’entrer dans le cadre légal, le délégué général de la Sitrass propose plusieurs pistes dont l’exonération des droits de douane sur l’achat de matériels neufs, un dispositif de facilitation des marchandises destinées à accroître le nombre de véhicules/km (escortes) et le financement de la transformation de la flotte de véhicules. Yan Alix, délégué général de la Fondation Sefacil, va encore plus loin en proposant de financer une flotte de camions gérée par les conseils des chargeurs et redonnée à des micro-entreprises. Des pistes qui sont encore à l’étude.

Corridors européens et africains

Existe-t-il une véritable différence entre les corridors européens et ceux d’Afrique de l’Ouest Dans une présentation, Martin Butruille, directeur du trafic et de l’activité portuaire à Haropa, GIE regroupant les ports du Havre de Rouen et de Paris, est venu présenter la notion de corridor en Europe au travers des réalisations sur la Seine. « Les corridors sont présents là où le flux des marchandises est important. Ils se composent d’infrastructures mais aussi de services comme les plates-formes multimodales et des services informatiques. » L’exemple d’Haropa est significatif en France. « Aujourd’hui, l’union et la complémentarité entre ces trois ports représentent un volume de 126,9 Mt, ce qui le place en quatrième position des ports européens en trafic maritime et fluvial. » Pour appuyer sa démonstration, Martin Butruille souligne la pluralité des ports le long de la Seine. « Notre affiche montre la Seine comme une ligne de métro. En fait, il s’agit d’un système de transport avec des plates-formes multimodales reliées par la route, le fer et le fleuve. » Pour parfaire ce corridor, Soget a mis en place un guichet unique portuaire, opérationnel depuis 15 mois. En Afrique, le concept des corridors a existé bien avant Haropa. Ainsi, de Bangui via Douala ou via Pointe Noire, du Tchad, le cas spécifique du Burkina avec trois corridors, et celui du Mali qui comprend quatre corridors ont permis aux pays enclavés d’être reliés à des ports maritimes. Si les corridors européens sont véritablement multimodaux, en Afrique, la route domine très largement les transports. Le fer et le fleuve sont souvent inexistants. Du côté informatique, les expériences de ces guichets uniques apparaissent. Quant aux plates-formes multimodales européennes, elles peuvent être comparées aux ports secs africains. Ils sont pour l’instant en liaison avec un port maritime et desservent une région par capillarité. « Il existe pourtant une complémentarité logistique à relier entre eux ces ports secs », a souligné Yan Alix, délégué général de la Fondation Sefacil. « Quand un établissement maritime fait un port sec en Afrique, c’est pour décongestionner. Quand un pays enclavé en réalise un, c’est pour décloisonner la logistique. nous sommes au début de la révolution portuaire et nous allons rapidement passer à la révolution logistique. »

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