« Un pas est franchi vers plus de concurrence »

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JOURNAL DE LA MARINE MARCHANDE (JMM): LA SAISON ESTIVALE DES LIAISONS ENTRE CORSE ET CONTINENT TIRE À SA FIN. POUVEZ-VOUS NOUS DRESSER UN PREMIER BILAN DE CES QUELQUES MOIS?

PIERRE MATTEI (P.M.): Le début de la saison a été difficile. La fin a inversé la tendance avec un mois d’août et un mois de septembre qui se sont bien tenus. Au final, nous devrions être stables en comparaison avec l’année dernière. L’analyse montre que sur les premiers mois de cette saison estivale, nous avons perdu entre 5 % et 6 %. Une partie de notre clientèle est originaire d’Italie et les difficultés économiques de ce pays pèsent sur les choix touristiques des familles. Les deux tiers de nos passagers sont français, l’autre tiers est italien. Dès lors, les problèmes économiques de l’Italie touchent une partie non négligeable de notre clientèle. Cela est aussi vrai pour la France. Notre clientèle type se retrouve dans une famille française de type middle ou upper class. Cette catégorie a sensiblement réduit son budget vacances, ce qui nous touche directement.

Nous conservons nos parts de marché avec environ 62 % des passagers. Dans les conditions actuelles du marché qui chancelle, nous attendons la suite des événements pour voir ce qu’il va se passer.

JMM: CORSICA FERRIES A ENTAMÉ PLUSIEURS ACTIONS JUDICIAIRES. L’UNE VISE À FAIRE ANNULER LA DÉLÉGATION DE SERVICE PUBLIC CONCLUE EN 2007 ENTRE LA COLLECTIVITÉ TERRITORIALE DE CORSE ET LE CONSORTIUM FORMÉ PAR LA SNCM ET LA CMN. L’AUTRE VISE À L’ANNULATION DE LA DÉCISION DE LA COMMISSION EUROPÉENNE SUR LES FONDS APPORTÉS PAR LE GOUVERNEMENT FRANÇAIS POUR LA RECAPITALISATION DE LA SNCM AVANT SA PRIVATISATION. EN JUILLET, LE CONSEIL D’ÉTAT VOUS A DONNÉ TORT, ET EN SEPTEMBRE LE TRIBUNAL DE L’UNION EUROPÉENNE VOUS A DONNÉ RAISON. COMMENT ABORDEZ-VOUS VOTRE AVENIR FACE À CES DEUX DÉCISIONS?

P.M.: Comme vous le soulignez, nous avons deux actions parallèles avec des échéances récentes qui ne sont pas toujours en notre faveur. Ces deux actions ne sont pas interdépendantes.

Face au contrat de délégation de service public, nous estimons que nous progressons sur le chemin d’une subvention de ce qui est uniquement nécessaire. Il faut bien comprendre notre position. Nous ne sommes pas opposés à la délégation de service public. Certaines lignes reliant la Corse et le continent ne sont pas rentables. Il est normal qu’elles soient financièrement aidées pour maintenir un lien. À côté de ces lignes, il existe d’autres liaisons qui entrent dans le marché concurrentiel et qui peuvent fonctionner sans aucune subvention. Il appartient alors à la région de Corse de mettre le curseur au bon endroit pour délimiter ce qui ressort de la DSP de ce qui reste dans le domaine de la concurrence pure.

Depuis 20 ans, nous nous battons pour avoir une activité qui soit concurrentielle. Nous ne souhaitons pas la fin de la SNCM ni de la CMN, nous souhaitons que les subventions accordées par la collectivité de Corse le soient uniquement pour les lignes qui relèvent du domaine du service public. À chaque fois que nous constaterons des surcompensations, nous nous y opposerons pour éviter de voir le secteur concurrentiel impacté. La loi européenne est claire à ce sujet. Elle établit que des services publics peuvent exister dans de nombreux domaines mais interdit les cross-subsidies, à savoir des subventions données au titre d’un service public mais qui sont surévaluées et qui permettent à la société de prendre des parts de marché dans le domaine concurrentiel. Dans la décision du Conseil d’État, il est clairement établi que la délégation de service public doit se faire ligne par ligne ou trajet par trajet; cela confirme notre combat face aux cross-subsidies. Le Conseil d’État a surtout demandé à la cour d’appel de mieux motiver son rejet.

L’affaire est donc renvoyée devant la cour d’appel administrative. Il ne faut pas non plus oublier que Bruxelles a ouvert une enquête approfondie sur cette DSP. Les parties ont jusqu’au 10 octobre pour donner leur point de vue sur le sujet.

JMM: L’AUTRE PROCÉDURE JUDICIAIRE CONCERNE LES SOMMES REÇUES PAR LA SNCM AVANT SA PRIVATISATION. LE TRIBUNAL DE L’UNION EUROPÉENNE A ANNULÉ LA DÉCISION DE LA COMMISSION EUROPÉENNE. PENSEZ-VOUS QUE VOUS ÊTES SUR LA BONNE VOIE?

P.M.: Nous le rappelons, notre but n’est pas de voir la SNCM disparaître du paysage maritime. Nous voulons simplement que les choses soient claires entre ce qui est subventionné et ce qui ne l’est pas. Maintenant, après la décision du tribunal de l’Union européenne rejetant la décision de la Commission européenne acceptant les conditions de la recapitalisation de la SNCM, nous ne pouvons que constater qu’un pas est franchi vers plus de concurrence.

Nous pouvons comprendre que des sociétés doivent être aidées par l’État et continuer leur activité. Avant d’en arriver à ce stade, il est nécessaire qu’elle cherche par tous les moyens à mobiliser ses moyens en interne. À l’époque, nous avions clairement dit qu’avant toute recapitalisation, la SNCM devait se séparer de la CMN. Elle a refusé de le faire à l’époque et l’a fait par la suite. Le gouvernement intervient en 2003 pour lui donner 76 M €. Nous nous sommes opposés à cette aide. Nous avons gagné et avant de céder la SNCM, l’État a recapitalisé à hauteur de 280 M€. À chaque fois, des pressions sociales et économiques sont menées pour éviter de voir la SNCM s’effondrer. Il suffit de lire les délibérés lors de l’assemblée Corse qui parle des compagnies maritimes sans aborder le sujet sous l’angle des services maritimes.

Enfin, l’économie de la SNCM ne semble pas continuer d’intéresser Veolia. Dans son rapport à fin juin, Veolia souligne avoir fait jouer la clause résolutoire de la privatisation depuis le 16 janvier. L’avenir de la SNCM est entre ses mains.

JMM: DANS CES CONDITIONS DE MARCHÉ UN PEU PARTICULIÈRES, COMMENT IMAGINEZ-VOUS L’AVENIR DE CORSICA FERRIES?

P.M.: L’avenir de notre compagnie dépend en grande partie des suites des procédures judiciaires. La prochaine DSP doit prendre effet le 1er janvier 2014. Dès le 27 septembre, les premiers débats se tiendront à l’Assemblée territoriale de Corse. En fonction des critères de l’appel d’offres, nous déciderons de la position à adopter. Je pense que nous irons vers une simplification des aides accordées. Nous ne sommes pas favorables à des subventions mais plutôt à des aides de trafic qui iraient directement pour les passagers et le fret. La subvention n’est pas dans notre ADN.

JMM: EST-CE À DIRE QUE VOUS N’ÊTES PAS CERTAIN DE POSTULER À CET APPEL D’OFFRES?

P.M.: Notre décision à répondre à l’appel d’offres de la DSP se fera après les débats du 27 septembre. Selon les critères demandés, nous déciderons de la position à tenir. Elle sera fonction de la durée du contrat, du montant des subventions accordées. Si ces dernières sont trop généreuses, nous réfléchirons à notre participation à cet appel d’offres. Nous avons des liaisons au départ de Nice et de Toulon et nous vivons bien.

JMM: DES VOIX S’ÉLÈVENT EN CRITIQUANT VOTRE COMPAGNIE, L’ACCUSANT DE VIVRE DANS LE SECRET DE SES COMPTES ET DE SES ACTIVITÉS. VOUS POUVEZ NOUS DONNER DES DÉTAILS SUR CORSICA FERRIES?

P.M.: Nous n’avons aucune politique de secret. D’ailleurs, nous ne pourrions pas postuler à des appels d’offres si nous refusions de donner nos chiffres.

Notre société se porte bien. En 2011, nous avons réalisé un chiffre d’affaires de 200 M€ environ pour un résultat d’exploitation de 14 M€. Nous exploitons 14 navires qui arborent tous le pavillon italien et dont l’âge est de 10 ans au plus. Nous employons entre 800 et 900 navigants, toutes catégories confondues, dont la grande majorité est de nationalité italienne. Nous avons une vingtaine de Français. Le pavillon italien est différent du français mais il reste un pavillon européen avec ses règles particulières. Nous n’avons pas plus de navigants français parce qu’ils ne demandent pas à venir chez nous.

Enfin, pour rassurer tout le monde, Corsica Ferries est détenue par Lota Maritime, une société basée à Bastia. Les actionnaires sont, pour partie, basés en Suisse non pas pour des raisons fiscales mais pour des raisons familiales. L’histoire de la société a commandé sa nature actuelle.

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