JOURNAL DE LA MARINE MARCHANDE (JMM): LE GRAND PORT MARITIME DE NANTES SAINT-NAZAIRE (GPMNSN) À ENREGISTRÉ UNE BAISSE DE 1,6 % DE SES TRAFICS EN 2011, NOTAMMENT EN RAISON DES TRAFICS ÉNERGÉTIQUES. QUELLE EST LA SITUATION SUR LES SIX PREMIERS MOIS DE 2012?
JEAN-PIERRE CHALUS (J.-P.C.): Le GPMNSN n’échappe pas aux conséquences de la crise économique. Le trafic s’en ressent même si nous affichons, globalement, une relative stabilité. La structure de notre trafic repose sur une large dépendance aux produits énergétiques qui entrent pour 70 % du total avec le charbon, le pétrole et le gaz. Les fluctuations de ces marchés ont des répercussions importantes à Nantes. Sur la première moitié de l’année, nous avons enregistré une stabilité positive sur les approvisionnements de charbon. La centrale de Cordemais a su démontrer ses performances et maintenir son rôle pour alimenter la Bretagne en électricité. La situation est analogue pour le pétrole. Nous affichons une relative stabilité sur les six premiers mois. Nous n’avons pas eu à souffrir d’arrêts techniques de la raffinerie au cours de cette période. Nous avons entrepris de renforcer les appontements pour accueillir des navires de plus petite taille. Ces navires desservent le sud de l’Atlantique, des marchés sur lesquels nous avons des potentiels de développement. Les trafics pétroliers du GPMNSN sont aussi dépendants, en partie, de la production et de la consommation de pétrole aux États-Unis. Ces derniers mois, le marché nord-américain connaît de grands changements, ce qui impacte aussi notre trafic.
Enfin, dernier courant de ces trafics énergétiques, le gaz accuse pour sa part une chute de 50 %. L’activité est au ralenti. La baisse de la consommation en France et en Europe de 10 %, conjuguée à des stocks à leur pleine capacité, a eu raison de ces trafics.
JMM: NOUS CONSTATONS QUE LES TRAFICS ÉNERGÉTIQUES ONT ÉTÉ LOURDEMENT IMPACTÉS PAR LA CRISE, ET CELA D’AUTANT PLUS QU’ILS REPRÉSENTENT LES DEUX TIERS DE VOTRE GLOBAL. QU’EN EST-IL DES AUTRES COURANTS DE VRACS SOLIDES ET DE DIVERSES?
J.-P.C.: Là encore, nous suivons la tendance générale des Grands ports maritimes français dont les baisses de trafic s’échelonnent entre 5 % et 20 %. Les céréales entrent généralement pour une part importante selon les campagnes avec un niveau d’environ 1,6 Mt pour les bonnes années. Malheureusement, cette année, nous sommes sur une tendance de baisse de 20 %. Les silos sont pleins et la dernière campagne n’a pas permis de déstocker.
Les autres vracs industriels sont stables. Sur Cheviré, nous constatons une bonne progression du trafic avec une hausse de 10 %. Les bois nordiques marchent bien. Quant aux bois tropicaux, ils sont de plus en plus conteneurisés et sont stables. La filière d’alimentation animale a, pour sa part, des inquiétudes en raison des difficultés de la société Doux. Les décisions qui seront prises sur cette dernière auront inéluctablement des effets collatéraux sur les trafics du port de Saint-Nazaire pour l’alimentation animale. Sur les diverses, la situation est plus encourageante. Nous enregistrons une progression de 6 % en tonnage et une augmentation du nombre de conteneurs transbordés. L’entrée en service de la nouvelle ligne des Antilles nous a aidés. Le GPMNSN est inscrit comme premier port d’entrée et dernier port de sortie d’Europe, ce qui nous confère des avantages. Il nous manque la partie sud du feeder pour relier les hubs de Tanger et d’Algésiras. Lorsque MSC a mis un terme à sa ligne sur l’Océanie, nous aurions pu conserver une partie des trafics en proposant un feedering sur l’Espagne avec un transbordement en Méditerranée. Nous avons un potentiel sur les produits frais que nous pourrions développer en offrant des liens avec les lignes mères.
JMM: ET LE ROULIER?
J.-P.C.: Nous disposons de deux lignes au départ de Saint-Nazaire. La première relie Vigo. Elle vit des heures difficiles en raison du déséquilibre de son trafic. Nous devons réfléchir à son avenir et imaginer de nouvelles solutions, notamment sur une extension vers le détroit de Gibraltar. Quant à la ligne sur Gijón, elle affiche de bons résultats. Les trafics sont meilleurs que les prévisions du business plan. Nous attendons la réponse de l’armateur sur la mise en service d’un second navire. L’environnement est positif autour de cette autoroute de la mer et les deux États, français et espagnol, sont engagés pour une durée de sept ans. Nous sommes confiants. Enfin, sur le roulier, Gefco enregistre une petite baisse, mais se trouve dans une situation d’appel d’offres. Quant à la CAT, elle s’est installée en septembre 2011. Elle est en pleine phase d’installation progressive sur trois hectares. La montée en puissance se fait sur un rythme plus lent et dans un marché de l’automobile difficile en Europe.
JMM: EN JANVIER, VOUS AVEZ PRÉSENTÉ AU CONSEIL DE SURVEILLANCE ET AU CONSEIL DE DÉVELOPPEMENT LA PHILOSOPHIE DU NOUVEAU VISAGE DU GRAND PORT MARITIME DE NANTES SAINT-NAZAIRE. AVEZ-VOUS PRÉVU UN CALENDRIER?
J.-P.C.: Il s’agit d’un réaménagement spatial du port. C’est une déclinaison cartographique de notre plan stratégique. Dans ce grand projet qui vise principalement la partie avale du port, plusieurs phases sont prévues mais par quoi commencer? La première étape vise à mener des concertations avec les associations locales. Ensuite, nous saisirons la Commission nationale du débat public pour organiser plusieurs réunions. Il s’agit de la zone Sud de Donges Est que nous envisageons de réserver à un espace naturel, et de la zone nord qui pourrait évoluer vers une zone logistique de 30 ha. Sur la zone du Grand Tourteau, en dessous du pont de Saint-Nazaire, nous aménagerons un terminal de 50 ha pour un poste roulier. La première étape vise à étendre de 350 m le terminal à conteneurs, TMDC (Terminal à marchandises diverses et conteneurisées). Pour ce faire, nous devrons déplacer la passerelle pour le roulier sur le terminal sablier. Parmi ces 350 m supplémentaires sur le TMDC, 200 m seront réservés pour accueillir les EMR (énergies marines renouvelables). La fin de cette première étape est prévue en 2015. Il faudra que le terminal roulier soit déplacé. Aujourd’hui, nous disposons de deux passerelles doubles qui nous permettent d’accueillir trois navires simultanément. Lorsque le temps sera venu de faire « ripper » la passerelle du roulier, nous aurons besoin d’avoir moins d’escales. Nous devrons conclure avec les sabliers et les opérateurs du roulier pour une organisation du port. Au total, le futur terminal à conteneurs sera composé de quatre postes de 250 m à la fin de la décennie avec un linéaire de quai de 900 m. Les travaux devraient durer jusqu’en 2020 pour que le port ait son nouveau visage.
JMM: VOUS ÉVOQUEZ LES TERMINAUX À CONTENEURS, ROULIER ET SABLIER. QUELLE PLACE LAISSEREZ-VOUS POUR LES ÉNERGIES MARINES RENOUVELABLES?
J.-P.C.: Ces énergies ont toute leur place dans nos installations. Une partie des linéaires de quai du terminal à conteneurs sera dédiée à ce trafic. Les aménagements pour les usines d’Alstom ont démarré en juin avec une première échéance au 30 novembre. Les EMR ont des besoins logistiques terrestres importants. Une partie de leur hub sera à côté de la forme Joubert. EDF énergies nouvelles n’a pas remporté l’appel d’offres pour la baie de Saint-Brieuc. Elle a décidé de réétudier son schéma et de s’implanter à Saint-Nazaire. La production des nacelles et des générateurs est prévue pour 2014, nous serons prêts à les accueillir.
JMM: DES TRAVAUX IMPORTANTS QUI RÉCLAMENT DES SOMMES À LA HAUTEUR. SELON QUEL MODÈLE ENVISAGEZ-VOUS DE FINANCER CES TRAVAUX?
J.-P.C.: Nous avons un potentiel industriel large avec une plus-value dans le monde portuaire. Nous discutons avec le conseil de surveillance sur ces questions. Aujourd’hui, nous disposons de 80 M€. Le GPMNSN doit faire face à une problématique sur le foncier. À chaque fois, nous devons démontrer que le projet dispose de sa propre rentabilité. Entre 2013 et 2016, ce sont entre 25 M€ et 30 M€ qui seront nécessaires. Il faut assurer le maintien des réseaux, ce qui représente en moyenne 6 M€ à 8 M€ par an. D’autres travaux sont nécessaires. Nous avons refait la porte aval de la forme Joubert. Des travaux qui ont coûté 18 M€. D’ici à cinq ans, la porte amont devra aussi être revue. Notre variable d’ajustement est le maintien des installations et la façon dont nous fonctionnons. À chaque étape, nous nous interrogeons sur notre mode de fonctionnement. Ainsi, pour les dragages, par exemple, nous nous posons la question de la meilleure approche.
JMM: EN 2011, LE GRAND PORT MARITIME DE NANTES SAINT-NAZAIRE À CONNU DES TENSIONS EN RAISON DE LA RÉFORME DES PORTS. VOUS AVEZ PROCÉDÉ AU TRANSFERT DU PERSONNEL ET À LA VENTE DU MATÉRIEL. QUEL EST LE CLIMAT SUR LES QUAIS?
J.-P.C.: La réforme des ports est entrée dans la pratique. Les personnels qui ont rejoint les sociétés de manutention n’ont pas fait exercice de leur droit de retour et nous n’avons décelé aucun signal de retour vers le port. Nous avons eu un différent avec l’entreprise Sogebras après l’application de la réforme. Les choses se normalisent. L’action en justice de Sogebras a été levée. Nous nous sommes réunis pour nous expliquer et nous avons cherché les solutions pour éviter de perturber l’emploi et l’activité portuaire.
Si la partie émergée de cette réforme est passée, d’autres points ont dû être mis en place. Nous avons réorganisé socialement le port. Depuis 2011, nous avons changé la structure du port. Ainsi, par exemple, nous avons mis en place un service de relations clients dédiés par zone. Il permet de savoir précisément ce qu’il se passe dans un espace du port comme c’est le cas pour l’usine de Cargill. Nous avons aussi mis en place un congé de fin de carrière. Lorsque des salariés quittent le port, ils ne sont pas forcément remplacés. Cette nouvelle organisation signifie que nous recrutons un à deux postes pour trois départs. Ensuite, nous avons procédé à l’élection d’un comité d’entreprise. Globalement, nous avons un dialogue responsable avec les partenaires sociaux et l’ensemble de nos interlocuteurs, qu’il s’agisse de la région, du département, des milieux politiques et économiques.
JMM: LA RÉFORME DE 2008 OBLIGE LES GRANDS PORTS MARITIMES À RÉALISER 20 % DES PRÉ ET POST-ACHEMINEMENTS PAR DES MODES MASSIFIÉS, FERROVIAIRE ET FLUVIAL. LE GPMNSN RÉPOND À CES EXIGENCES?
J.-P.C.: Nous sommes au-delà. Reprenons la structure de nos trafics: 70 % sont constitués de produits énergétiques. Le charbon est importé et est acheminé vers la centrale de Cordemais par voie fluviale. Le gaz et le pétrole sont acheminés par pipeline. Sur cette part majoritaire du trafic, nous sommes à 100 % de modes massifiés. Sur les 30 % de trafics restants, l’utilisation du fluvial et du ferroviaire entre pour 15 % à 20 %. Ainsi, par exemple, la majorité de nos trafics de céréales arrivent par train dans le port. Nous travaillons sur le fluvial. La montée en puissance de l’usine d’Airbus démontre une augmentation du trafic dès 2013 ou 2014. Le nombre de colis pourrait être multiplié par six ou sept. L’utilisation plus soutenue de la barge nous incite à réfléchir aux moyens de rentabiliser cet outil à la remontée pour d’autres marchandises.
JMM: ET POUR LE FERROVIAIRE, PENSEZ-VOUS QUE LE TEMPS DE CRÉER UN OPÉRATEUR FERROVIAIRE DE PROXIMITÉ (OFP) SOIT VENU POUR LE PORT?
J.-P.C.: Nous avons un intérêt à être sur le sujet. Nous y réfléchissons. Maintenant, il n’existe pas une véritable rentabilité économique à créer un opérateur pour réaliser uniquement des manœuvres. Notre réflexion nous conduit à nous éloigner un peu de la création d’un OFP au sens strict du terme. Nous sommes plus dans la création d’un schéma directeur des transports et des services pour structurer l’offre et mieux appréhender la façon dont nous devons mener les actions. Nous devons fédérer les acteurs locaux tout en maîtrisant et comprenant le système ferroviaire. Derrière ces réflexions, l’idée principale est avant tout de réactiver le trafic ferroviaire de notre port.