Avec un estuaire navigable, le transport par barge semble une bonne solution entre Montoir et Nantes. Reste que cette option intra estuairienne a connu l’échec récent de la ligne lancée par Marfret en mars 2009. Quelque six mois après son inauguration, les initiateurs de cette liaison fluviale ont mis fin au service. Trois ans après, l’échec commercial pèse encore dans les esprits.
« Vis-à-vis de la recette du transporteur routier sans rupture de charge, l’option fluviale a quatre postes de dépense: hormis le trajet sur l’eau, on paye pour passer le conteneur du quai à bord, on paye pour le décharger et on paye aussi pour la traction sur le dernier kilomètre. En toute honnêteté, si la rentabilité est très faible, voire quasi inexistante, dit Vincent Saurel, responsable des activités fluviales chez Marfret, et basé à Rouen. Le fluvial, c’est 85 % de frais variables, essentiellement la manutention, et pour les 15 % restant, la logique veut que l’on cherche la rentabilité avec la massification, donc en se tournant en priorité vers les industriels. D’autant qu’on leur offre un intérêt logistique certain, entreposage, dédouanement… Mais si l’industriel reste sur une logique de prix, c’est rédhibitoire. »
Déterminant pour l’arrêt de la ligne, l’échec des négociations visant à capter le trafic de sucre pour le faire passer par la Loire. « Le sucre, c’est typiquement un transport massifié dont les volumes sont propices à faire fonctionner une ligne. Les négociations ont pris trois à quatre mois. le couperet est tombé en septembre 2009. Quand on a vu qu’on n’arrivait pas à se placer face aux offres terrestres encore plus basses, et que le client n’était sensible qu’à l’impact tarifaire, on a préféré arrêter. »
Quant aux transporteurs routiers souvent accusés d’avoir torpillé la ligne en pratiquant du dumping, le responsable fluvial de Marfret pondère cette analyse: « Ils ne sont pas les principaux responsables. En 2009, on était déjà dans la crise, leurs volumes étaient en train de faiblir, ils ont souffert et dans ces périodes-là, on cherche plus à transporter ce qui est disponible qu’à monter ses tarifs. »
Le retrait de Marfret a aussi buté sur une autre conjoncture, liée au calendrier, celle-là. « On est tombé dans le contexte de la réforme portuaire, ce qui ne nous a pas aidés. La manutention a les clefs du développement fluvial. À Montoir, CMA CGM et SDV ont tenté d’avoir le monopole, et nous, travaillant avec notre agent Sogebras, on a vu que les conditions de tarifs n’allaient pas être maintenues dans les trois mois qui suivaient. À l’époque, les portiques appartenaient encore à l’État qui pouvait faire ainsi jouer sa volonté de développer ce mode de transport alternatif. Depuis la réforme, l’autorité portuaire a perdu ce levier. »
Quant à relancer cette ligne, Vincent Saurel n’est pas convaincu: « On ne le referait pas. Dans l’estuaire de la Loire, ça ne me semble pas viable. Pas assez de trafic. Sur le papier, les politiques mettent en avant la solution fluviale, mais dans le contexte de crise, les recommandations du Grenelle de l’environnement sont vite oubliées, et il n’y a plus que l’effet prix qui marche. Chacun veut bien “se mettre au vert”, mais au minimum à tarif égal. »
Dans un contexte de rentabilité tendue, le fluvial a aussi un handicap en Basse-Loire: la trop faible distance, moins de 50 km entre Nantes et Montoir, ce qui comparé à la route induit un coût cumulé, de la barge elle-même et de la redistribution des quais de Nantes aux clients de l’agglomération, qui n’atteint pas la compétitivité requise.
Pour Roland Vonthron de Sea Invest Nantes, la tentative de Marfret « a mis, à juste titre, l’accent sur le côté novateur et écologique de ce mode de transport, mais s’est très vite heurtée à différents obstacles, distance trop courte entre les deux terminaux, ruptures de charge et donc des coûts supplémentaires, rendant cette option économiquement impossible ».
« On ne peut pas recopier la solution de la Seine. Ici, nous n’avons que 50 km. On a monté la ligne et parlé prix après. Le port, les manutentionnaires ont joué le jeu et fait en sorte que cette expérience voie le jour et perdure, notamment à travers diverses formes d’aides. Mais il y a des ruptures de charge et les clients veulent le prix à qualité de service égale. Ils préfèrent un conteneur livré chez eux que juste sur le quai à Cheviré. » Et les essais ont aussi péché sur la fiabilité: « La barge vient, ou ne vient pas s’il n’y a pas assez de fret… » Autre impératif, créer un parc à conteneurs à Cheviré, évitant que les boîtes ne repartent à vide à Montoir, tout en commercialisant le trajet amont-aval. Le transport par barge a un avenir s’il commence par fédérer tous les intervenants de la chaîne logistique, clients, armements, manutentionnaires et transporteurs.